Du désert au fleuve (Luc 3,1-6 et Ésaïe 60,1-11)

Prédication du dimanche 8 décembre 2024, deuxième dimanche de l'Avent

Nous partons du désert, Dieu nous fait passer le Jourdain, et entrer en terre promise, comme le peuple hébreu avec Moïse et Josué.

Le désert

Le point de départ, c’est cette situation historique, des dirigeants romains, l’empereur Tibère, et Ponce Pilate préfet de Judée. En effet, à la naissance de Jésus régnait Hérode le grand, mais après lui le territoire a été divisé entre ses fils : Hérode Antipas, Archélaos, et Philippe. Archélaos a été remplacé par le Romain Pilate, à cause d’une agitation en Judée, au sud. Hérode Antipas a autorité sur la Galilée, au nord, tandis que Philippe a un territoire en Jordanie et Syrie. Donc des divisions territoriales et des troubles politiques avec l’occupation romaine.

 

Et Jean va au désert. Jean fils de Zacharie le prêtre (Luc 1) préfère le désert au temple, comme pour chercher du calme et de la spiritualité loin des influences du pouvoir.

 

Le désert est ce lieu du désir qui prépare quelque chose. Le désert est ce lieu de vide et de creux, où Dieu trouve un espace.

 

Dans le désert, Hagar l’esclave de Sara en fuite rencontre l’ange du Seigneur, qui lui annonce la naissance d’un fils, Ismaël (Genèse 16).

 

Dans l’histoire d’Israël, c’est au désert que le peuple a erré quarante ans après la sortie d’Égypte, connaissant la soif et le manque. Il vit un dépouillement. C’est au désert que Dieu parle et se révèle, que sa gloire apparaît et qu’il donne le décalogue, les dix paroles, et tout l’enseignement de la Tora. Dieu se fait connaître, conclut alliance avec nous, et nous apprend à vivre et à aimer.

 

Le livre des nombres commence par les mots : « Dans le désert du Sinaï, le SEIGNEUR parla à Moïse dans la tente de la rencontre »… (Nombres 1,1). Le livre du Deutéronome commence par les mots suivants : « Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël, au-delà du Jourdain, au désert »… (Deutéronome 1,1). Nous retrouvons le désert, le Jourdain, et les paroles de Dieu.

 

À partir d’Ésaïe 40 qui est cité ici par Luc, commence la deuxième partie du livre d’Ésaïe. Le peuple est alors en exil à Babylone, et le prophète utilise l’image du désert pour décrire ce temps.

 

Mais il annonce aussi que le désert fleurira, qu’une route y sera tracée, que son relief même sera transformé (Ésaïe 35 et 60). Dans le cycle de romans de Dune, de Frank Herbert, Dune est une planète aride, totalement désertique, où la moindre goutte d’eau est précieuse et doit être économisée et recyclée. Et il apparaît là le rêve écologique d’un verdissement du désert pour façonner un nouveau paysage, un paradis végétal, et rendre cette immensité sauvage habitable et hospitalière.

 

Transformer le désert, c’est changer la souffrance en joie, les aspérités en douceur, la soif en eau jaillissante, la mort en vie. Le désert devient alors l’espace de l’attente de Dieu, de l’espérance de sa venue et de notre retour à lui.

Le fleuve

Et dans ce désert, Jean va au Jourdain, le fleuve frontière à passer pour entrer en terre de Canaan.

 

La plaine du Jourdain apparaît d’abord avec Sodome et Gomorrhe, des terres initialement irriguées comme un jardin de verdure, mais abîmées à cause du péché, et devenues une mer de sel, comme un désert liquide (Genèse 13 et 19). Mais ce péché va être lavé, purifié, traversé.

 

Au début du livre de Josué, qui porte le même nom que Jésus, le Seigneur lui dit : « Maintenant, lève-toi, passe ce Jourdain, toi et tout ce peuple, vers la terre que je donne aux fils d’Israël. » (Josué 1,2).

 

Et ce sont les prêtres, portant l’arche de l’alliance du Seigneur, qui s’arrêtent au milieu du Jourdain, et font traverser le peuple.

« Les prêtres qui portaient le coffre de l’alliance du SEIGNEUR se tinrent immobiles sur la terre ferme, au milieu du Jourdain – tout Israël passait sur la terre ferme – jusqu’à ce que toute la nation eût achevé de passer le Jourdain. » (Josué 3,17).

Jean joue le rôle de ces prêtres, et fait passer le Jourdain à toutes les foules qui viennent.

 

Face au désert, le fleuve vient tout submerger ; sur ses rives poussent des palmiers, et toutes sortes d’arbres fruitiers. Les bords du fleuve contrastent avec le désert comme l’oasis. Le prophète Ézékiel a cette vision d’un fleuve qui coule du temple, et qui apporte avec lui la vie ; cette vision est reprise dans l’Apocalypse (Apocalypse 22,1-2).

« Il me dit : Cette eau sortira vers le district oriental, descendra dans la plaine aride et entrera dans la mer ; lorsqu’elle se sera jetée dans la mer, les eaux de la mer deviendront saines. Partout où le torrent arrivera, tous les êtres vivants qui grouillent vivront ; il y aura une grande quantité de poissons, car cette eau arrivera là-bas et les eaux deviendront saines, et il y aura de la vie partout où arrivera le torrent. […] Près du torrent, sur ses rives, de chaque côté, pousseront toutes sortes d’arbres fruitiers. Leur feuillage ne se flétrira pas, leur fruit ne s’épuisera pas ; ils donneront des primeurs tous les mois, parce que ses eaux sortiront du sanctuaire. Leur fruit servira de nourriture et leur feuillage de remède. » (Ézékiel 47,8-9.12).

Voilà un fleuve de vie, qui fait passer dans une terre nouvelle. Être baptisé, c’est traverser ce fleuve, passer la frontière, passer la mort et naître à la vie. C’est être submergé d’eau vive, inondé, baigné d’une eau qui emporte le sel des larmes, fait pousser les fleurs et frétiller les poissons.

 

Nous sommes changés radicalement : c’est un baptême de conversion. Nous sommes pardonnés, allégés de toute la pesanteur de notre humanité, de nos faiblesses, de nos limites, de notre finitude, du poids de nos actions passées. Tout est dissous dans l’eau de la grâce, dans la force du torrent de vie. Nous revenons au Père, nous changeons de pensée et de cœur, pour un cœur de chair et d’amour et de tendresse.

La terre donnée, la bonne nouvelle, l'aurore du Seigneur

Et puis, ayant passé le Jourdain, nous entrons dans la terre que le Seigneur donne, où ruissellent le lait et le miel. C’est spirituellement le royaume de Dieu.

 

Dans notre histoire, dans un temps et un lieu précis, dans l’humanité souffrante, Dieu vient. C’est un événement, l’événement fondateur et déclencheur de tout. Pour sa venue nous préparons une route. Nous allons voir la gloire du Seigneur : « et tous verront le salut de Dieu. » La gloire du Seigneur, c’est que nous soyons sauvés. Alors sa gloire est comme une grande lumière qui rayonne et se reflète sur nos visages, qui illumine toutes les noirceurs, et que tous peuvent voir.

 

Si nous lisons la suite d’Ésaïe 40, comme ce que Luc suggère sans le dire explicitement, nous trouvons :

« Monte sur une haute montagne, Sion, toi qui portes la bonne nouvelle ; élève ta voix avec force, Jérusalem, toi qui portes la bonne nouvelle ; élève ta voix, n’aie pas peur, dis aux villes de Juda : Votre Dieu est là ! Le Seigneur DIEU vient » (Ésaïe 40,9-10).

 

Luc résume au verset 18 du même chapitre 3 : « Jean annonçait la bonne nouvelle au peuple avec beaucoup d’autres encouragements. »

 

Cette bonne nouvelle, cet évangile est donc celui-ci : « Voici votre Dieu ! voici, le Seigneur DIEU vient » !

 

Cette terre royaume de Dieu devient règne de Dieu, venue de Dieu en nous, et demeure spirituelle, sanctuaire. Ce n’est plus la géographie avec ses limites, mais la terre promise est pour toute chair, tout être vivant, argile humaine que Dieu façonne en créateur et artiste, lissant nos aspérités, polissant nos rugosités, effaçant nos défauts.

 

Ésaïe 60 annonce que toutes les nations afflueront vers Jérusalem, que Dieu sera pour tous. « Lève-toi, brille : ta lumière arrive, la gloire du SEIGNEUR se lève sur toi. […] Des nations marcheront à ta lumière et des rois à la clarté de ton aurore. » (Es 60,1.3).

 

Jean Baptiste annonce l’aurore de Jésus, présence de Dieu au milieu de nous et en nous. Sa parole n’est pas la sienne, il ne fait que prêter sa voix pour proclamer la parole de Dieu qui lui est arrivée dans le désert. Le lieu même de la mort devient le lieu de la vie.

 

Quand notre cœur est un désert, ou occupé par des puissances étrangères, l’événement de Jésus Christ survient, et submerge tout. Il vient, il apporte la vie à notre âme, nous buvons ses paroles comme du miel, il nous donne une nouvelle sève et saveur, il fait fleurir nos visages, et nous portons un fruit : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi » (Galates 5,23). Voilà ce que Dieu fera quand il viendra dans nos déserts.

 

 

Amen.

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