La parole dans nos oreilles (Luc 1,1-4 et 4,14-21)

Prédication du dimanche 26 janvier 2025 à l'église catholique de Saint-Agrève, dans le cadre de la semaine de prière pour l'unité des chrétiens.

Laisser résonner la parole

De façon inhabituelle, aujourd’hui les textes du jour prévoient non pas un passage de l’évangile, mais deux. Et ce qui les relie, c’est le thème du livre et de l’enseignement. Nous sommes le dimanche de la parole de Dieu.

 

On reconnaît souvent aux protestants un rapport particulier et intense à la parole de Dieu qui surgit à travers les mots de la Bible. Mais la parole de Dieu, en latin Dei Verbum, c’est aussi le titre d’une des quatre constitutions de Vatican II, pour dire que la parole de Dieu n’est aucunement le monopole des protestants, et qu’elle a retrouvé sa place essentielle au XXe siècle.

 

Dans la préface de Luc, nous entrevoyons derrière l’évangile la personne de l’écrivain, et son projet, et aussi la personne à qui il s’adresse, Théophile. Et si la démarche d’interroger des témoins peut nous faire penser au travail d’un journaliste ou d’un historien, la présence de l’auteur nous souligne aussi que c’est un texte engagé, un texte de foi.

 

La tradition de l’Église a retenu dans le canon quatre évangiles, comme quatre témoignages, qui racontent globalement la même histoire, mais avec la diversité de quatre voix, quatre points de vue et des nuances distinctes. L’Église n’a pas choisi d’effacer les différences, ou de choisir un seul des quatre, mais elle a préférer garder cette diversité.

 

De même les croyants sont très variés aujourd’hui, dans des Églises différentes ou des sensibilités différentes au sein de la même Église. Et nous prions pour l’unité, pour que l’amour véritable règne entre nous, et que nous vivions en sœurs et frères. Et en même temps cette pluralité de voix, de sensibilités, de manières de prier, de goûts musicaux, c’est aussi autant de témoignages uniques et singuliers d’une relation personnelle à Dieu.

 

Luc écrit son évangile pour une personne, Théophile. Mais le nom Théophile veut dire « ami de Dieu », « amoureux de Dieu ». L’amour philia, par rapport à l’amour agapê, insiste sur l’affection, le sentiment, sentiment d’amitié ou sentiment amoureux ; faire un baiser s’exprime avec la même racine. Donc l’évangile de Luc s’adresse à tous ceux qui ont des sentiments pour Dieu.

 

Et Luc donne un enseignement comme une catéchèse, car il emploie le verbe qui a justement donné le mot catéchèse, qui a donné aussi écho. Luc a écrit, dit-il à l’ami de Dieu, « afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus. » Ou encore « afin que tu reconnaisses la sûreté des paroles dont tu as résonné. » Oui être catéchisé c’est écouter et laisser résonner en soi les paroles de Dieu, comme Marie déposait les paroles et les événements dans son cœur, comme un trésor.

Aujourd'hui

Quand Jésus lit les Écritures, il se produit cet événement par lequel les mots prennent vie et sens, s’animent et deviennent réellement parole de Dieu, par la présence de Dieu qui parle aujourd’hui.

 

« Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. » Là les traductions courantes ont pris tout de même une grande liberté car il est écrit : « Aujourd’hui est comblée cette écriture dans vos oreilles. » Il y a cette dimension concrète et physique de la parole de Jésus qui atteint les oreilles de l’assemblée à l’écoute à chaque instant.

 

Quand nous regardons davantage le chapitre 4, Luc s’efface pour laisser maintenant Jésus lui-même enseigner. Et pourtant Luc nous offre un procédé littéraire qui s’appelle la mise en abyme. Une lecture dans la lecture. Car aujourd’hui nous sommes réunis en assemblée le dimanche pour lire et entendre un texte biblique. Et dans ce texte biblique, la synagogue est rassemblée le jour du shabbat pour lire et entendre un texte biblique, pour entendre Jésus lire le prophète Ésaïe. Ainsi les deux lectures se superposent.

 

Et quand Jésus dit aujourd’hui, nous pourrions dans un premier temps penser qu’il nous parle d’un jour il y a deux mille ans. C’est juste d’un point de vue historique, mais c’est faux d’un point de vue littéraire. Car en faisant cela nous nous transformons aujourd’hui en hier, et nous dénaturons le sens du mot aujourd’hui.

 

Si de fait le texte est fait pour être lu en assemblée le dimanche, il est fait pour revivre l’expérience de la lecture par Jésus. Si nous prononçons le mot aujourd’hui, il s’entend réellement comme aujourd’hui, en 2025, il est automatiquement actualisé.

 

J’aime entendre dans ce texte comme un vœu de bonne année, l’annonce et la promesse d’une année de grâce de la part du Seigneur, d’une année bénie.

 

De même que Luc veut que sa bonne nouvelle trouve un écho et une résonance personnelle au cœur de Théophile l’amoureux de Dieu, il veut par la lecture nous faire entendre dans nos oreilles cet aujourd’hui de la parole de Dieu.

 

Hier c’est le passé, demain c’est le futur, aujourd’hui c’est le présent, c’est la présence de Dieu. C’est un présent donc c’est un cadeau, pour nous. Chez Luc, aujourd’hui est un mot puissant, chargé de sens.

 

Aujourd’hui est le jour du salut. C’est maintenant, c’est urgent, il n’y a pas un instant à perdre. Ce mot apparaît à des moments décisifs, existentiels, extraordinaires.

 

  • À Noël, l’ange annonce aux bergers : « Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur » (Luc 2,11).
  • Jésus rencontre Zachée le collecteur de taxes : « Zachée, descends vite : il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison. […] Aujourd’hui, le salut est venu pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. » (Luc 19,5.9).
  • Jésus rencontre un brigand crucifié avec lui, condamné à la peine de mort : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. » (Luc 23,43).

L'événement qui change tout

La parole est accomplie, comme une promesse est tenue, comme un engagement est rempli. La parole de la prophétie devient réalité. Et cette parole ancienne d’Ésaïe devient réalité, elle est révolutionnaire.

 

L’Esprit du Seigneur est sur Jésus ; Jésus est pleinement inspiré, empli du Saint-Esprit, uni à Dieu son Père. Voilà déjà une révélation bouleversante : Dieu est là au milieu de nous.

 

Et voici que tout va changer, les aveugles voient la vérité de Dieu, les captifs reçoivent la liberté. Jésus annonce au cœur de sa bonne nouvelle la délivrance.

 

Jésus enseignait selon sa coutume dans la synagogue ; mais cette fois-là, il s’est passé quelque chose de spécial, pour que Luc nous raconte cet épisode. Il y a une nouveauté aujourd’hui, qui vient rompre l’habitude, et la parole devient vraiment agissante.

 

C’est vrai que nous sommes encore prisonniers d’habitudes, de limites que nous croyons être les nôtres, d’une résignation. Mais Jésus nous libère de toutes nos chaînes, parole subversive et dérangeante, parole extraordinaire et qui change notre vie.

***

 

Seigneur viens, aujourd’hui. Donne-nous aujourd’hui notre pain essentiel, existentiel. Donne-nous d’écouter et de voir ; donne-nous la liberté de tous nos esclavages qui nous oppressent. Fais-nous entendre ta voix, chaque jour. Et dans la diversité des témoins qui parlent de toi, que ce soit ton Esprit Saint qui nous révèle qui tu es, qui nous fasse entrevoir que tu es présent.

 

Amen.

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