Cornes d’abondance (Luc 6,27-38)

Prédication du dimanche 23 février 2025, par Michelle Valléry.

Le monde dans lequel nous vivons nous pousse à vouloir toujours plus : plus de pouvoir, plus d’argent, plus de longévité, etc… Ce serait ça le bonheur.

 

A première vue on pourrait penser que Jésus aussi est dans cette logique du « toujours plus », en l’occurrence toujours plus d’exigence. Pourtant, Jésus nous propose une autre voie : vivre le royaume de Dieu ici et maintenant.

 

L’évangile que nous avons entendu fait partie de ce que l’on nomme le sermon dans la plaine, sorte de double au sermon sur la montagne qui figure dans l’évangile de Matthieu au chapitre 5. Le titre nous suggère que Jésus ne se place pas au dessus de la foule, mais au milieu. Ce sermon dans la plaine nous est proposé sur trois dimanches et on pourrait le découper ainsi :

  • Luc 6 ; 17-26 : heureux et malheureux que nous avons entendu dimanche dernier. Pour rappel Jésus proclame 3 « Heureux » et 3 « malheur à qui… ».
  • Luc 6 ; 27-38 : prescriptions qui nous est proposées aujourd’hui.
  • Et Luc 6 ; 39-49 : paraboles que nous entendrons dimanche prochain.

 

Le texte d’aujourd’hui est donc la partie centrale du sermon dans la plaine. Jésus commence par donner des injonctions à l’auditoire, c’est-à-dire à nous aussi aujourd’hui. Quand on entend ce texte on peut se sentir écrasé, tant la barre nous semble haute dans l’exigence. D’ailleurs, longtemps on a considéré que ce discours ne s’appliquait qu’aux religieux ou à un petit nombre de personnes ayant une spiritualité supérieure. Mais ce n’est pas notre théologie, nous qui professons le sacerdoce universel : le texte nous le dit bien « à vous qui m’écoutez » c’est-à-dire à nous tous, sans distinction… Si les premières injonctions sont de l’ordre du sentiment : aimer, faire du bien… les suivantes sont plus d’ordre spirituel : prier, bénissez. Les dernières nous poussent à ne pas répondre aux injures, coups ou vol. A l’écoute, on a l’impression d’un programme à plusieurs niveaux, de plus en plus difficiles. Outre le fait que cela ne nous semble pas très juste : pourquoi donner à des voleurs ? Se laisser dépouiller sans rien dire ? Pourquoi prier pour des gens qui font le mal ? etc… Cela est extrêmement difficile à faire. On peut se demander pourquoi Jésus nous demande de réagir ainsi.

 

La première réponse que je vois : c’est pour nous rappeler que nous sommes tous imparfaits : qui peut se vanter, sinon Dieu, de mettre ces règles en pratique dans sa vie de tous les jours ? Personne. Oui, nous sommes tous pécheurs, que nous le voulions ou non ; cela fait partie de notre humanité. Mais cela ne doit pas nous enfermer dans la culpabilité, mais plutôt nous rendre moins sévère avec nos frères et sœurs.

 

La seconde réponse que je vois, c’est que le royaume de Dieu est déjà là : Dieu est avec nous et nous précède sur le chemin. La réussite de ce qui nous est demandé ne dépend pas de notre seule volonté. Pour y arriver nous devons nous reposer sur Dieu. Pourtant, le royaume de Dieu est aussi en devenir : la violence, la vengeance, l’envie ne pourront pas disparaître sans que nos comportements changent.

 

La deuxième partie du texte nous invite à regarder en quoi les réactions normales que nous avons dans la vie de tous les jours n’ont rien de méritoire : aimer pour être aimé, prêter pour qu’on vous rende… Comme nous le rappelle Paul dans 1 Corinthiens 15, « Ce n’est pas le spirituel qui est premier, c’est le naturel ; le spirituel vient ensuite. ». Le naturel, c’est de rendre coup pour coup, voire d’être dans la surenchère. Le spirituel nous pousse à aller chercher au plus profond de notre humanité une réponse qui fait grandir l’agresseur comme l’agressé. Il ne s’agit pas d’être dans un angélisme béat, dans une spiritualité de Bisounours dégoulinante de bons sentiments. Un exemple de ce que nous propose Jésus aujourd’hui nous a été donné par le journaliste Antoine Leiris qui a perdu sa femme Hélène, le 13 novembre 2015, pendant l’attentat terroriste du Bataclan, à Paris : sa réaction, malgré la douleur a été de crier « vous n’aurez pas ma haine ». Vous n’aurez pas ma haine c’est dire que les terroristes ne gagneront pas, mais c’est aussi refuser de s’abaisser au même niveau que ces agressions barbares. C’est aussi ne pas se laisser détruire par la haine. L’évangile nous le dit d’ailleurs un peu plus loin dans le texte : « Soyez magnanimes, comme votre Père est magnanime. ». Être magnanime, voilà une expression que l’on emploie plus beaucoup aujourd’hui. Elle sous-tend une relation de supérieur à subordonné. Être magnanime c’est pardonner ou être bienveillant avec quelqu’un qui est en dessous de vous ou que vous considérez comme tel ; c’est ne pas s’abaisser à son niveau.

 

Le point essentiel de l’évangile d’aujourd’hui me semble être dans le verset 35 : « aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer.» Autrement dit : cessons de nous comporter dans un donnant/donnant, mais donnons gratuitement. Comment est ce possible ? Jésus dit dans l’évangile de Matthieu, aux disciples qui se demandent comment entrer dans le royaume de Dieu : « Pour les humains, c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible ». Peut-être faut-il nous rappeler que nous-mêmes, nous sommes au bénéfice de la grâce, de l’amour inconditionnel de Dieu ; inconditionnel c’est-à-dire sans mérite de notre part. C’est ce don de la grâce de Dieu qui peut nous permettre parfois d’aimer gratuitement, de faire du bien gratuitement ou de donner sans attendre en retour. Un cantique nous le rappelle :

Trouver dans ma vie ta présence,

tenir une lampe allumée.

Choisir avec toi la confiance ;

aimer et se savoir aimé. (même si, pour ma part, je préfèrerais qu’on dise « se savoir aimé et aimer »).

 

A la fin du texte, Jésus nous promet des conséquences à cette façon de réagir :

« Ne jugez pas, et vous ne serez jamais jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez jamais condamnés ; absolvez, et vous serez absous. Donnez, et l’on vous donnera ; on versera dans la grande poche de votre vêtement une bonne mesure, serrée, secouée et débordante. »

J’aime beaucoup cette image car elle me fait penser aux cornes d’abondance : elles sont énormes et malgré tout elles débordent. Il en va de même de la grâce de Dieu : Dieu ne nous donne pas seulement ce dont nous avons besoin, mais au-delà.

 

« C’est avec la mesure à laquelle vous mesurez qu’on mesurera pour vous en retour », poursuit le texte. On peut voir dans ces promesses, une image du jugement dernier, puisque le texte ne nous dit pas quand nous recevrons cette abondance. Mais on peut y voir aussi, plus simplement, la promesse qu’un changement de comportement induit un changement autour de nous. Vous avez tous fait l’expérience de parler plus fort dans une salle dans laquelle il y a du bruit : en réaction, les gens se mettent à parler encore plus fort et ça devient une cacophonie inaudible. Pourquoi, un comportement plus philanthropique, plus humain, n’entraînerait-il pas, lui-aussi, un changement positif ?

 

Jésus nous invite à répondre au monde comme il l’a fait : aimer, bénir, prier et offrir ; et à devenir ainsi fils et filles du très-haut, mais aussi et surtout à vivre le royaume de Dieu ici et maintenant.

Amen.

 

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