Le piège des scribes
Voici d’abord les scribes et pharisiens, dans le temple, qui veulent appliquer la justice, toute la justice. À la lettre, l’Écriture seule, ou comme disaient les Réformateurs en latin, Sola scriptura.
Ils veulent faire d’une pierre deux coups, et réduire au silence à la fois la femme adultère et Jésus. Le narrateur précise : « Ils disaient cela pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. ». Ils formulent donc à l’intention de Jésus une question piège : « toi, donc, que dis-tu ? »
Soit Jésus se range du côté de la loi de Moïse, irréprochable ; et il cautionne alors la cruauté de la peine de mort. Soit il fait preuve d’indulgence et d’humanité ; mais en ce cas il contredit la loi de Moïse et pourra être accusé de laxisme et d’immoralisme. Jésus doit choisir entre l’être humain et Dieu.
Que faire ? Examinons plus attentivement ce qu’affirment les scribes et pharisiens. Premièrement, l’enquête : « cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. » Dans tout ce récit il semble que cela soit admis comme un fait. Pourtant à ce stade ce n’est qu’un ouï-dire, une rumeur, une dénonciation anonyme. Qui sont donc les témoins qui l’ont prise en flagrant délit ? Elle a été surprise, au passif, nous ne savons pas par qui. L’accusation est bien légèrement étayée.
De plus, pour tout jugement équitable, il faut entendre les deux points de vue de façon contradictoire. La femme, même dans l’hypothèse où elle ne conteste pas l’adultère, pourra expliquer ce qui s’est passé, raconter sa version, indiquer les circonstances atténuantes. Or ici elle est exposée au milieu, sans personne pour la défendre. Elle est inaudible ou muette, sauf à la fin quand Jésus lui donne enfin la parole et un espace d’écoute. Singulière conception de la justice qui relève en vérité du lynchage.
Après l’enquête réduite à une phrase, vient deuxièmement, la sentence, la peine de mort : « Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes. » Là aussi, c’est ce qu’ils disent, avec aplomb et sans vergogne.
Avec un peu d’esprit critique, nous pouvons nous demander à quels textes de la Tora ils se réfèrent. Et nous en trouvons deux. Lévitique 20,10 : « Si un homme commet l’adultère avec une femme mariée, s’il commet l’adultère avec la femme de son prochain, l’homme et la femme adultères seront mis à mort. » Et Deutéronome 22,22 : « Si on trouve un homme couché avec une femme mariée, ils mourront tous les deux, l’homme qui a couché avec la femme, et la femme elle-même. »
Quelle surprise ! Il n’y a pas que la femme ! L’homme adultère est censé mourir aussi, l’homme adultère qui est le grand absent. Pourtant s’ils ont été surpris en flagrant délit, ils devaient bien être ensemble ? Et l’homme adultère est même effacé de la restitution de la loi, alors que les scribes sont comme leur nom l’indique ceux qui savent lire et écrire, et en particulier les spécialistes des Écritures saintes.
Eux entre tous ne sont pas censés ignorer la loi ! Mais ils n’en retiennent que ce qui les arrange, et en font une lecture biaisée et machiste.
Jésus ne les accuse pas directement, évite l’affrontement qui serait un autre piège encore. Il apparaîtrait comme le fauteur de trouble, qui fait un scandale et déclenche une polémique de plus dans le temple. Par son silence, il apaise et suscite la réflexion intérieure. Il amène à un examen de conscience. Il donne une leçon de sagesse et d’humilité.
Chacun admet silencieusement qu’il n’a pas une conscience pure. Aucun n’est sans péché. Parmi eux peut-être, comble de l’hypocrisie, se trouve l’homme ou les hommes adultères, pressés d’effacer par la lapidation celle qui leur rappelle trop leur propre faute. La femme adultère est un miroir où ils se reconnaissent si bien qu’ils veulent le briser. Ils renoncent donc à appliquer la loi de Moïse.
Ironiquement, ils tombent ainsi dans leur propre piège et révèlent leurs incohérences. Jésus dénonce leur égocentrisme aveugle, leur confiance en soi criminelle, leur abus de pouvoir.