Le bonheur, c’est servir
Pourquoi les pieds ? Les pieds sont la partie la plus basse, la plus poussiéreuse. C’est celle qui soutient tout le reste, la base, le fondement ; ce qui nous relie à la terre. C’est ce qui nous fait tenir debout et marcher. C’est cela que Jésus nettoie et essuie spécialement.
Et puis, pour nous laver les pieds, Jésus doit se baisser, s’humilier comme un esclave ; ce qui nous amène au second sens : un exemple de service pour révolutionner toutes nos relations.
Imaginez que vous, les hommes, vous laviez les pieds de votre femme ; que vous, épouses, vous laviez les pieds de votre mari. Que les professeurs enlèvent leur beau costume et essuient les pieds de leurs élèves avec une simple serviette. Que les hommes politiques en maillot de bain lavent les pieds des gens du peuple.
Aujourd’hui comme hier, le geste est choquant. On ne se déshabille pas, on ne s’incline pas devant les autres, on ne touche pas les pieds, tout cela est très intime et gênant.
Je comprends la réaction instinctive de Pierre : non, jamais, il n’en est pas question ! C’est inimaginable. Car c’est le Seigneur. Jésus est quelqu’un d’important, un maître spirituel, un VIP qu’il faut respecter, honorer. Mais non ; Jésus a une autre idée de lui-même. Jésus se dépouille de ses vêtements et parures, de tout ornement ; il vient dans sa simplicité. Il ne vient pas même à notre niveau, mais en-dessous de nous, soumis à nous.
Il nous enseigne qu’aimer ce n’est pas seulement se sentir bien, c’est aussi devenir serviteur de l’autre. Nous n’aimons pas être soumis. Pour nous soumettre à quelqu’un, nous devons vraiment l’aimer. Aimer au point que moi-même je n’ai plus d’importance, que mon envie de pouvoir ou mon désir de reconnaissance, ma soif d’exister n’ont plus d’importance. Tout est don tendu vers l’être aimé. L’autre passe avant. Car nous nous mettons tellement à la place de l’autre que le bonheur de l’autre fait notre bonheur. L’autre ou moi ont autant d’importance. Nous aimons notre ami comme nous-mêmes.
Jésus nous apprend que servir n’est pas triste. C’est s’oublier, mais certainement pas se perdre, au contraire c’est se trouver. Quand des voix nous murmurent : « Pense à toi ! Prends soin de toi ! Fais ce qui te fais plaisir ! Cherche d’abord qui tu es et épanouis-toi avant de pouvoir t’ouvrir aux autres ! » Jésus au contraire, dit : « Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. […] Si vous savez cela, heureux êtes-vous, pourvu que vous le fassiez ! »
Le secret du bonheur, c’est donc de laver les pieds des autres, d’apprendre la pédicure. Quoi ! Ne faudrait-il pas un sens un peu plus spirituel, moins bassement terre à terre ? Je veux bien vous laver les pieds spirituellement, sans vous toucher, sans me mouiller, sans me salir, en fait en ne faisant rien de concret.
Pourtant Dieu vient sur terre, il se fait nouveau-né hurlant dans le foin, humain aux pieds couverts de poussière, crucifié saignant des mains et des pieds. C’est ainsi qu’il nous aime, dans le concret un peu trivial du quotidien, sans chercher à se préserver.
Nous aimer les uns les autres, c’est être prêts à nous salir les mains, à faire la vaisselle, à passer l’aspirateur. Le service est une preuve d’amour, un langage pour l’exprimer par des actes simples et vrais, mieux encore que par des mots d’une langue parfois manipulatrice.
Jésus nous donne le secret du bonheur : servir.
Cette réponse nous déçoit peut-être. Elle va contre beaucoup de conseils de développement personnel. Nous sommes comme Naaman chef de l’armée du roi de Syrie, qui est lépreux, et qui vient voir plein d’espoir le prophète Élisée.
« Élisée envoya un messager lui dire : Va te laver sept fois dans le Jourdain ; ta chair redeviendra saine, et tu seras pur. » (2 Rois 5,10). Naaman est furieux d’un remède si banal, si peu surnaturel ou spirituel. « Mais ses serviteurs vinrent lui dirent : Si le prophète t’avait demandé quelque chose de difficile, ne l’aurais-tu pas fait ? A plus forte raison s’il te dit : ‟Lave-toi et sois pur !” » (2 Rois 5,13).
Comme à Naaman, Jésus nous demande une chose simple et concrète : servir. Et il nous promet que c’est le secret du bonheur. Alors ça vaut la peine d’essayer. Les serviteurs de Naaman ont raison. Il faut toujours écouter les serviteurs.