Jouant face à lui en tout temps (Proverbes 8,22-31)

Prédication du samedi 14 juin à Yssingeaux et du dimanche 29 juin au Chambon-sur-Lignon

Le rouleau des Proverbes fait partie de la littérature de sagesse, avec d’autres écrits comme l’Ecclésiaste. Il contient au chapitre 8 ce petit bijou, ce poème qui relie la sagesse et la création, comme pour dire à la fois l’origine du monde, son sens et sa beauté.

 

Nous allons voir comment il nous parle de la terre, de Dieu, et enfin de nous-mêmes. Et nous allons essayer de comprendre ce que signifie cette sagesse.

La sagesse avec la création

L’auteur nous propose d’abord une réécriture du poème de la création qui se trouve en ouverture de la Bible, en Genèse 1. Nous retrouvons le même vocabulaire : commencement, terre, abîme, eaux, ciels, mer, jour, humain (en hébreu adam). Enfin cela ne se remarque pas toujours, mais Genèse 1 est ponctuée par le verbe être. En hébreu le verbe être n’est pas nécessaire ; il est souvent sous-entendu. Alors quand il employé, ça veut dire quelque chose. Quand Dieu dit à Moïse : « Je serai qui je serai », c’est ce verbe être, haya, qui est répété (Exode 3,14). « Je deviendrai qui je deviendrai ». Dieu existe, il est l’être même, un être en mouvement vers l’avenir.

 

C’est le verbe être au sens fort d’arriver, devenir, advenir, venir au monde. Dans le récit de la création en Genèse 1, il est omniprésent, et revient 27 fois en 31 versets, par exemple dans les phrases : « Qu’il y ait de la lumière ! Et il y eut de la lumière » (Genèse 1,3). Ou dans le refrain : « Il y eut un soir, et il y eut un matin » (Genèse 1,5). Tout est dynamique, arrive la lumière, arrive le soir, arrive l’aurore. Eh bien en Proverbes 8,30, nous retrouvons deux fois ce verbe : « et je suis arrivée à ses côtés comme un maître d’œuvre, et je suis arrivée ses délices jour après jour ».

 

Tout cela nous invite à admirer la création en devenir. La création qui peut garder comme une empreinte, une trace de Dieu et mener à lui. Quand je ressens un sentiment d’immensité devant le ciel étoilé, je pressens l’infini et j’ai l’intuition de l’absolu. Quand je m’émerveille de la beauté de l’univers, je ne suis pas loin de la prière.

 

Or voici que les Proverbes font apparaître un nouveau personnage dans le poème de la création : une figure féminine, la sagesse. C’est elle qui parle en « je » ; elle est personnifiée, elle s’anime. Elle est présente à l’origine du monde.

 

Qu’est-ce que ça nous dit pour aujourd’hui ? C’est un regard profondément positif sur le monde. La sagesse dirige le monde, dès le commencement. Quand le monde semble absurde ou paraît près de s’effondrer dans une ultime catastrophe, nous savons que la sagesse est là et demeure. Le monde n’est pas le fruit du hasard et des caprices de l’humain, mais de la sagesse, intelligente et stable, qui lui donne une cohérence, une intention, un sens, un projet.

 

Nous avons besoin de cette espérance : notre terre est dès l’origine fruit de la sagesse et remplie de sagesse.

La sagesse d’un créateur

Ainsi plonger le regard dans la création nous donne à entrevoir le reflet de Dieu. En effet, au XIXe siècle la science triomphante croyait pouvoir tout expliquer sans Dieu ; mais aujourd’hui les scientifiques sont redevenus modestes en découvrant de nouveaux mystères. Nous découvrons combien nous savons peu. Et l’étonnement revient. La théorie du Big bang implique que l’univers a eu un jour un commencement, alors que jusque là dans la pensée matérialiste il paraissait plus facile d’imaginer qu’il avait toujours existé. Pourquoi ce commencement, et qu’est-ce qui l’a déclenché, quelle en est la cause première ? Pourquoi l’univers est-il beau, viable et habitable, au lieu de s’effondrer en soupe ou d’exploser en magma ? Pourquoi n’est-il pas seulement inerte et minéral ; d’où vient la vie ? Et l’ADN qui est comme un code, comme un livre et un programme, a-t-il pu se créer et s’écrire sans écrivain ?

 

Peut-être qu’après tout, le hasard n’explique pas grand-chose, et nous pouvons de nouveau penser comme l’explication la plus simple qu’une intelligence est à l’œuvre dans tout ce qui existe. Une sagesse agit depuis toujours et se laisse deviner par ses ouvrages. Elle a conçu et dessiné une création. Elle révèle un créateur. Un Dieu créatif et inventif, un Dieu artiste aimant la beauté.

 

Voilà la modernité de la notion de sagesse, en même temps très ancienne.

 

La sagesse vers le Seigneur

Qu’est-ce que la sagesse ? Nous associons la sagesse à des cultures et des religions d’un âge vénérable. Le mot de philosophie s’applique davantage à la Grèce antique, mais c’est la même chose : la philosophie est littéralement l’amour de la sagesse. La sagesse se dit sophia en grec ; sainte Sophie s’identifie à cette même image féminine de la sagesse célébrée par les Proverbes.

 

Le livre des Proverbes a explicitement une visée éducative ; il s’adresse à un fils pour lui faire apprendre l’intelligence et la sagesse. Et la sagesse ne reste pas théorique, elle est pratique et donne l’habileté, la compétence pour l’action. Mais ce n’est pas encore tout. Cette sagesse ne se réduit ni à la raison humaine, ni à l’action humaine.

 

« Le début de la sagesse est la crainte du SEIGNEUR ; et l’intelligence est la connaissance des saints. » (Proverbes 9,10). Oui cette sagesse s’acquiert en Dieu ; cette intelligence est pour ceux qui vivent de lui. La sagesse est un attribut de Dieu et un don de Dieu. En voyant la sagesse, nous découvrons Dieu, et nous nous orientons vers lui.

La sagesse et le Christ

Après les Proverbes, c’est au tour de l’évangile de Jean de réécrire le poème de la création dans son prologue. La sagesse est renommée Logos, ce qui signifie la Parole, le Verbe, mais aussi la logique et la science. « Au commencement était la Parole. » (Jean 1,1). Et cette Parole comme la sagesse est décrite comme une personne, au point qu’elle devient chair et demeure parmi nous. La sagesse disait : « et je trouve mes délices parmi les humains. »

 

Alors dans une perspective chrétienne, nous pouvons voir dans la sagesse une esquisse des personnes de la Trinité, du Christ, Verbe incarné, engendré, non pas créé, ou de l’Esprit saint, souffle de sagesse.

La sagesse et nous, la sagesse qui joue

Nous avons vu la beauté de la création, nous avons perçu la sagesse à l’œuvre, nous y avons discerné le doigt de Dieu, l’Esprit de Dieu. Il nous reste à suivre le conseil des Proverbes, à frémir au contact du divin, à fonder notre existence sur la sagesse de Dieu. La sagesse se laisse découvrir à l’être humain qui la recherche, elle nous fait grandir spirituellement, c’est la présence de Dieu.

 

Nous sommes donc conduits à un choix de vie, et c’est tout l’objet des Proverbes de proposer une éthique pour notre action, dans la vie quotidienne, dans des situations concrètes, couvrant jusqu’aux relations amoureuses et à l’engagement politique. Les principaux rapports humains et nos activités sont abordés avec des sentences concises, comme un concentré de connaissance, les proverbes donc. Mais cet ancrage dans notre réalité ne fait pas oublier pour autant ce panorama qui embrasse toute la terre en train d’être créée, sous les regards de la sagesse.

 

Choisis la sagesse, ne cessent de dire les Proverbes : « Car la sagesse est meilleure que le corail et rien n’est plus désirable. » (Proverbes 8,11).

 

Et oui, croire en Dieu, c’est un choix réfléchi et sensé, logique et cohérent. Mais en même temps, c’est un poème, c’est un rêve, qui remonte plus loin que nos origines. Elle nous précède et nous dépasse.

 

Il y a toute une ambiance très maternelle et enfantine dans ces premiers jours du monde. La sagesse crée, elle est avant tout, mais elle n’est pas seule et ne fait pas tout. Elle vient d’ailleurs.

  • La sagesse est née, elle a été enfantée. Qui l’a enfantée, si ce n’est Dieu ?
  • Elle trouve ses délices parmi les humains, et dans ces délices j’entends les gazouillis, les caresses, les enchantements qui relient un petit bébé à ses parents.
  • Elle joue, comme un enfant. Elle joue aussi comme on joue de la musique ou comme on danse, joue avec la terre et en présence du Seigneur.

 

Après le Dieu créatif et dessinateur, c’est ici un Dieu de légèreté, un Dieu spontané qui s’amuse et qui a la sagesse de ne pas se perdre dans des abîmes philosophiques, un Dieu qui vit, tout simplement.

 

Avec d’autres passages bibliques, approfondissons le sens de cette sagesse qui joue et fait ses délices.

 

« Moi, je fais mes délices de ta Tora », dit le Psaume 119 (Psaume 119,70). Le délice est de suivre l’enseignement de Dieu, ses indications, et c’est une joie. Dieu nous invite à vivre aussi, comme un enfant, dans ses délices, auprès de lui, entouré des merveilles de la création, dans l’étonnement et la curiosité, dans la confiance et la fraîcheur.

 

Quand l’arche de l’alliance du Seigneur entre à Jérusalem, tout le peuple le fête. « David et toute la maison d’Israël jouaient devant le SEIGNEUR sur toutes sortes d’instruments en bois de cyprès, sur des lyres, des luths, des tambourins, des sistres et des cymbales. » (2 Samuel 6,5). Ils chantent et dansent, en oubliant tout dans leur joie.

 

C’est ainsi que la sagesse joue. Être en Dieu ne veut pas dire être austère et sérieux, silencieux jusqu’à marcher sur la pointe des pieds, au point d’entendre le froissement de la robe. Être en Dieu, être sage, c’est danser et se réjouir délicieusement, dans la légèreté du jeu. C’est pour nous tous une leçon de sagesse, pour commencer à unir notre intelligence et notre sensibilité, pour aimer le Seigneur de tout notre être, avec tout ce que nous sommes, tels qu’il nous a créés, pour jouer avec délices en sa présence.

 

Dieu sûrement s’était mis à rire, quand il a eu l’idée de créer l’univers. Et quand il a vu le résultat, il était très content, car tout était à son image, d’une grande beauté, d’une profonde sagesse, mais aussi aérien comme un papillon dans la danse. Il fait bon de vivre là.

 

Amen !

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