Au milieu de loups (Luc 10,1-20)

Prédication du dimanche 8 juillet 2025

Ce passage est placé sous la couleur de la joie, joie des envoyés à leur retour, joie pour nous dont les noms sont écrits au ciel. C’est dans cette joie que la mission a été possible.

 

Et c’est la paix qui est proposée à chaque maison. La paix qui nous est annoncée à chaque culte en salutation : « La grâce et la paix nous sont données. »

 

Et en face de la joie et de la paix, il y a les loups, devant lesquels nous nous nous retrouvons comme de pauvres brebis impuissantes. D’un côté les merveilles du royaume des cieux, de l’autre notre sentiment d’impuissance humaine et terrestre.

 

Je voudrais explorer avec vous cette image des brebis au milieu des loups, pour voir quelle place nous pourrons trouver dans le monde.

Être un loup

Les loups évoquent les puissants de la terre, les riches, les chefs d’entreprises, les dirigeants politiques, les chefs d’État, les tyrans. Déjà le prophète Ézéchiel dénonçait ces loups humains, en parlant de Jérusalem :

« Ses chefs sont au milieu d’elle comme des loups qui déchirent une proie, prêts à répandre le sang, à faire périr les gens pour en tirer profit. » (Ézéchiel 22,27).

C’est terriblement d’actualité.

 

Et ça ne se limite pas à la sphère des dirigeants politiques, financiers, ou religieux. Les autres hommes ne sont pas meilleurs, simplement ils n’ont pas accès au même pouvoir. Nos dirigeants sont à notre image. Dans ce monde impitoyable, la plupart rêve d’être un loup, et pas n’importe quel loup, mais le loup mâle dominant, le numéro un, l’alpha. Ils oublient qui est l’alpha et l’oméga, « le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant » (Apocalypse 1,8).

 

« L’homme est un loup pour l’homme », a dit Thomas Hobbes. Livré à ses instincts et ses envies, sans régulation, il va naturellement s’entre-dévorer, s’autodétruire. Mais parfois notre culture même, loin d’y mettre un frein, encourage nos tendances égoïstes et cruelles.

 

Les jeunes loups aux dents longues, dévorés d’ambition, sont nourris de conseils de développement personnel et de lutte sociale : sois fort, bats-toi, réussis et sois le meilleur. Avec ces principes, il ne faut pas nous étonner de nous retrouver dans une société de concurrence impitoyable, en entreprise ou sur les réseaux sociaux, et dans des relations de domination et d’inégalité. Ce n’est pas seulement un système aveugle, ce sont aussi derrière les structures, des gens qui décident plus ou moins consciemment, qui font le choix d’être des loups. Une même entreprise, un même État, peut mener des actions magnifiques ou atroces, selon les personnes qui les dirigent.

 

Je crois qu’il faut changer l’humain, que Dieu mette en lui un cœur nouveau, un souffle nouveau, qu’il change le cœur de pierre en cœur de chair (Ézéchiel 36,26).

Être un agneau

Sans rien

Face à la meute des loups destructeurs et violents, nous pouvons nous sentir comme des agneaux sans défense, juste bons à être dévorés. Jésus envoie ainsi les 70, selon le nombre des nations de la terre énumérées en Genèse 10. Il les envoie vers toutes les nations païennes, sans pouvoir humain, sans armes et sans équipement, et même sans bourse, sac ou sandales, sans rien. Démunis, pauvres, nous ne dépendons plus que de la grâce de Dieu. Nous n’avons que notre faiblesse, pour mieux nous inviter à la confiance et découvrir la puissance de Dieu.

 

Il existe en effet un agneau puissant, un agneau à cornes, un agneau à « sept cornes et sept yeux, qui sont les sept esprits de Dieu envoyés par toute la terre » (Apocalypse 5,6). L’agneau immolé, c’est-à-dire égorgé, est debout au milieu du trône.

 

Jésus est celui qui s’est vidé, dépouillé de tout, comme un agneau mené à l’abattoir, jusqu’à la mort sanglante et la boucherie.

 

Nous pouvons subir d’être un agneau. Nous pouvons aussi choisir de l’être. Jésus nous invite à être des agneaux, même au milieu des loups. L’agneau a peur, nous avons peur. Il faudrait un courage surhumain, le courage de Dieu. Être un agneau au milieu des loups, c’est téméraire, c’est très risqué, c’est même suicidaire à vues humaines. Il n’y a aucun suspense, aucun doute que l’agneau sera déchiqueté et dévoré. Est-ce vraiment la volonté de Dieu pour nous ?

 

Avec un berger

Oui si nous faisons confiance à la puissance de Dieu, à notre sauveur. Dans le monde animal, certes les loups reviennent, mais les moutons ont survécu, et sont devenus beaucoup plus nombreux. C’est le loup qui a été menacé d’extinction. Pas si bêtes, les moutons ! Ils n’ont pas survécu par leurs propres forces, mais par un protecteur.

 

Il y a bien sûr de mauvais bergers, qui sont une autre variété de loups, ceux qui prennent des agneaux pour mieux les asservir et les mener à l’abattoir avant de les manger.

 

Mais le beau berger, lui, donne sa vie pour ses brebis. Il est la seule puissance de l’agneau. Lui seul permet que l’agneau destiné à mourir très jeune au milieu des loups, survive. Lui seul va le chercher au fond du précipice où il s’est perdu, et le ramène sur ses épaules. Nous ne survivrons pas par nos propres forces, mais par le Christ notre sauveur.

 

Le Christ réalise cette révolution de la non-violence, de la non-agressivité, de la douceur. Il accomplit l’impossible, la survie de l’agneau au milieu des loups.

 

Fils de paix

Ainsi il apporte la paix, et heureux ceux qui font la paix ! Dans chaque maison, il invite à venir sans rien qu’une offre de paix. Il prend ce risque. Il fait le pari d’aimer le premier, de donner d’abord. Il a cette foi dans l’être humain, dans l’humanité qui se cache au cœur des loups. Il aime son ennemi.

 

Évidemment, ça change tout. Si tout le monde agit ainsi, nous fonderons une société de paix et de douceur. La parole du Christ est ici renversante, subversive, à contre-courant. L’homme sera un agneau pour l’homme. Il vivra en paix, contre toutes les guerres ; il ne cherchera plus à dominer, mais à aider ; il ne tuera plus, mais il soignera son prochain blessé pour qu’il guérisse.

 

Devenir agneau, c’est se faire volontairement inoffensif, doux, gentil, accessible, sans défense. C’est penser à l’autre, et être soi-même pauvre parmi les pauvres, et faible en présence du fort. La paix proposée est désarmante, la non-violence est efficace, elle met fin à la spirale infernale de la guerre sans fin.

 

Et si la paix est refusée, si les envoyés ne sont pas accueillis ? Jacques et Jean, face au village de Samaritains hostiles avaient une suggestion : comme le prophète Élie face aux prophètes du Baal, dire au feu de descendre du ciel pour les détruire (Luc 9,54). Les traiter comme Sodome et Gomorrhe, anéanties par une pluie de soufre et de feu venant du ciel (Genèse 19,24).

 

Jésus a une autre solution : aller ailleurs, sans nous énerver, en haussant les épaules, en secouant la poussière, nous en aller sans faire d’histoires, et garder en nous cette paix que nous avons souhaitée. Que la paix nous habite, avant, pendant et après, une paix intérieure, profonde et imprenable, la paix de Dieu.

 

Il existe aussi la possibilité de rencontrer, non pas un loup, mais un fils de paix, et avec lui nous pourrons manger, faire vraiment connaissance, découvrir un nouvel ami. Il n’y a pas que des loups autour de nous, mais aussi, si nous savons les voir, des hommes et des femmes de paix.

Le règne de Dieu

Et nous entrons dans la joie du royaume.

 

Les agneaux sont au milieu des loups ; que peut-il se passer ? Première hypothèse, les loups les dévorent ; deuxième hypothèse, un berger ou juste un gros chien chasse les loups. La troisième hypothèse est une utopie. Que les agneaux convainquent les loups de devenir végétariens. Que les loups se mettent à aimer les agneaux. Que les loups deviennent des chiens de berger, et se mettent au service des agneaux plus faibles à protéger.

 

Le prophète Ésaïe porte cette vision messianique, pour une création réconciliée :

« Le loup habitera avec l’agneau, et la panthère se couchera avec le chevreau ; le veau, le lionceau, et le bétail qu’on engraisse, seront ensemble, et un petit enfant les conduira. » (Ésaïe 11,6).

 

Il fait le rêve d’une humanité réconciliée, où le fer des lances sera fondu pour être recyclé en soc de charrue (Ésaïe 2,4), où les soldats deviendront cultivateurs, où ils feront croître au lieu de détruire, où le budget militaire sera redéployé pour l’aide humanitaire et le développement humain.

 

Il annonce le bonheur d’une nouvelle création :

« Le loup et l’agneau auront un même pâturage, le lion, comme le bœuf, mangera de la paille, et le serpent aura la poussière pour nourriture. Il ne se fera aucun mal, il n’y aura aucune destruction dans toute ma montagne sacrée, dit le SEIGNEUR. » (Ésaïe 65,25).

Jésus déclare : « Je vous ai donné l’autorité pour marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l’ennemi, et rien ne pourra vous faire de mal. »

 

Que ferons-nous de cette autorité ? Deviendrons-nous les nouveaux dominants, les jeunes loups qui ont tué le chef pour mieux prendre sa place, les révolutionnaires qui déposent les tyrans pour mieux instaurer la terreur ou la dictature ? Après la victoire paradoxale des agneaux sur les loups, deviendrons-nous cette fois les serpents et les scorpions pour exercer la vengeance, œil pour œil, dent pour dent ?

 

Ou saurons-nous cohabiter en paix ? Vivrons-nous dans cette harmonie où tous sont égaux dans leur diversité ? Alors nous serons dans le jardin d’Éden, le paradis. Nous pourrons dire alors : « Le royaume de Dieu s’est approché de nous. »

 

La mission est là. Jésus ne développe pas une stratégie pour la mission, une campagne d’évangélisation, un plan de bataille, une croisade. Il donne une bonne nouvelle à porter, et si nous portons en nous cette paix, cette joie, cette puissance dans la non-puissance, l’Esprit de Dieu reposera sur toutes les maisons et villes où nous irons. Nous sommes faibles et confiants. Il n’y a pas d’autre secret que le rayonnement de ce que nous sommes, que l’ouverture qui laisse voir la paix qui nous remplit le cœur. Le message en nous rayonne, notre visage brille d’avoir contemplé Dieu, nous sommes lumière du monde.

 

Humainement, c’est impossible, mais Dieu peut tout. La confiance en lui nous fait vivre, elle est vraie et ne déçoit pas. Il nous donne la surnaturelle assurance des agneaux au milieu des loups. Il croit à la conversion des loups. La violence et la mort ne seront plus. En lui la paix devient possible, s’installe, existe et demeure. En lui nous avons une espérance. Réjouissons-nous !

 

Amen !

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