- Accueil
- Actualités
- Écologie
- Église de témoins
- Prédications
- Vie spirituelle
- Tu seras avec moi (Luc 23,35-43)
Tu seras avec moi (Luc 23,35-43)
Partage
Prédication du dimanche 23 novembre 2025
C’est aujourd’hui le dernier dimanche de l’année liturgique, puisque dimanche prochain nous entrerons dans l’Avent. Nous fêtons ce jour le Christ roi.
Une royauté étonnante et paradoxale, puisque le roi des Juifs est en même temps le crucifié, suspendu au milieu des malfaiteurs. Ce roi n’est donc pas seul, mais environné d’autres personnes, qui montrent l’importance de la relation. En particulier le malfaiteur qui a des paroles pour défendre Jésus. Le roi lui promet alors sa présence au paradis. Promesse très belle mais aussi énigmatique pour nous.
Trois fois, Jésus est pris à partie, par les chefs (probablement les chefs religieux, mais peut-être aussi les princes, les gens d’Hérode et les officiers de Pilate), puis par les soldats, enfin par un des malfaiteurs, dans une gradation négative jusqu’à ce que même le plus méprisable méprise encore Jésus. C’est une mise en doute et un défi posé à Jésus, dans la certitude qu’il sera impuissant à le relever : « s’il est le messie », « si tu es le roi des Juifs », « n’es-tu pas le messie ». Ces interpellations sont une triple question sur la réalité de l’identité et du pouvoir messianique et royal de Jésus.
Et une réponse est donnée, en toutes lettres. Au cœur de notre passage, figure cette inscription, probablement historique : « Cet homme est le roi des Juifs ». Ou plutôt le roi des Judéens. En effet, juif est devenu pour nous une religion, alors que c’est à l’origine l’appartenance à un peuple. Et le titre de roi est évidemment politique. Le royaume de Juda est devenu la province romaine de Judée. Dans les évangiles, nous voyons des oppositions entre Judéens, Samaritains et Galiléens, les habitants des trois régions qui divisent le territoire.
Pour les Romains, l’inscription « Cet homme est le roi des Judéens » est le motif de condamnation de Jésus. Car aucune revendication politique ne doit contester le pouvoir de Rome. Appeler ironiquement Jésus roi des Judéens est encore une manière de se moquer à la fois de lui et des Juifs. Voilà ce que nous faisons de votre roi, un crucifié, nous l’anéantissons.
Et en même temps, en enlevant l’ironie et en le lisant au sens propre, il est affiché à la vue de tous que Jésus est roi. La déclaration de foi est confirmée par l’annonce officielle, et même ses ennemis participent à le proclamer roi.
Le roi de Juda vient de la lignée de David. Ce roi est aussi serviteur de Dieu, donné par Dieu à son peuple, pour le guider y compris spirituellement. Le politique et le religieux sont tissés ensemble dans toute l’histoire d’Israël. Or voici la crucifixion, c’est-à-dire la peine de mort pour le roi. Comme à la révolution française, cela indique la fin de la monarchie. Politiquement, le roi d’Israël n’existe plus.
Or soudain le spirituel se détache et se libère du politique. Et la mort politique ouvre à la renaissance spirituelle. Christ est roi ; et il n’est pas un roi mort, mais un roi vivant.
Et qui comprend cela ? Qui le déclare ? C’est le second malfaiteur. Il dit : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton royaume. » Ou « quand tu viendras dans ton règne », « dans ta royauté ». Il sait, lui, que Jésus deviendra roi. Il voit au-delà des apparences, l’invisible. Il parle de la royauté spirituelle de celui qui est désormais totalement dépouillé de la royauté politique. Il parle d’une victoire malgré l’écrasante évidence de la mort et de l’échec.
Qu’à nous aussi, il nous soit donné de percevoir ce qui ne paraît pas, ce que l’écrasante majorité ne voit pas. Que Jésus se révèle à nous comme roi, roi intérieur, roi de notre être et de notre vie, roi à venir et déjà présent aujourd’hui, si nous recevons de le ressentir et de le croire.
Un roi qui souffre et qui a l’expérience d’être rejeté, frappé, humilié, qui connaît et qui vit au milieu des malfaiteurs, lui qui n’a rien fait de mal. Que nous aussi nous puissions découvrir que Jésus est tout entier rempli de bonté belle, d’actions lumineuses, de clarté céleste, comme une fleur blanche qui pousse au milieu des ordures. Que nous sentions que Jésus est à la fois tout proche de nous et totalement différent, à la fois crucifié et roi.
Et il entre en relation. À la tentation du « qu’il se sauve lui-même », c’est-à-dire de faire son propre salut seul, il répond par une parole entre je et tu. Quand les chefs parlent devant lui en le désignant à la troisième personne, le second malfaiteur dit : « souviens-toi de moi ». C’est entre toi et moi, au niveau intime. Et alors, Jésus, qui n’a pas prononcé un mot jusque là, malgré toutes les injures et les provocations qui lui ont été envoyées, Jésus répond à cet homme. « Je te le dis », ces mots pourraient paraître superflus, s’ils ne soulignaient pas le dialogue entre un je et un tu, une relation interpersonnelle.
Je ne le dis pas à tous et à n’importe qui, mais je te le dis à toi, pour toi. « Tu seras avec moi ». Et voilà une deuxième fois affirmée cette proximité entre je et tu. Immanou-El, Dieu avec nous, annonçait le prophète Ésaïe (7,14).
Le Seigneur a dit à Isaac : « Je serai avec toi et je te bénirai, car je te donnerai toutes ces terres, à toi et à ta descendance. » (Genèse 26,3). Il a dit à Moïse : « Je serai avec toi. Voici pour toi le signe que c’est moi qui t’envoie : quand tu auras fait sortir le peuple d’Égypte, vous servirez Dieu sur cette montagne. » (Exode 3,12). Et tout de suite après il donne son nom : « Je serai qui je serai. Et il ajouta : C’est ainsi que tu répondras aux Israélites : “Je serai” m’a envoyé vers vous. » (Exode 3,14). Il le dit avec le même verbe être, hayah, qui a un sens fort et dynamique en hébreu, devenir, arriver. Il est le Dieu qui est, qui est avec toi et avec nous. Le Dieu qui deviendra et qui arrivera, toujours avec nous.
Il dit à Josué : « Comme j’ai été avec Moïse, je serai avec toi » (Josué 1,5). À Gédéon, le messager du Seigneur apparaît et dit : « Le Seigneur est avec toi, vaillant guerrier ! » (Juges 6,12). Et de même, l’ange dit à Marie : « le Seigneur est avec toi. » (Luc 1,28).
Ésaïe développe :
« Si tu traverses les eaux, je serai avec toi ; si tu passes les fleuves, ils ne t’emporteront pas ; si tu marches dans le feu, tu ne te brûleras pas, et les flammes ne te dévoreront pas. » (Ésaïe 43,2).
Jérémie reçoit la parole :
« Je ferai de toi, pour ce peuple, un mur de bronze fortifié ; ils te feront la guerre, mais ils ne l’emporteront pas sur toi, car je suis avec toi pour te sauver et te délivrer – déclaration du Seigneur. » (Jérémie 15,20).
Il est avec chacun, chacune. C’est donc à toi aussi qu’il le dit : « Je serai avec toi. » Et « aujourd’hui tu seras avec moi ».
Selon Apocalypse 2,7, « Au vainqueur, je donnerai de manger de l’arbre de la vie qui est dans le paradis de Dieu. »
Mais le mot paradis, le grec paradeïsos se trouve surtout dans la version grecque de l’Ancien Testament, la Septante. Il est employé au début de la Genèse pour traduire le jardin, ou le jardin d’Éden. Initialement le paradis est un grand parc naturel avec des animaux. Le paradis, c’est un peu une utopie écologique.
Cette image est pour nous une promesse de vie, de création nouvelle, de renaissance. Sur la croix, à l’heure de l’agonie, voici le jardin verdoyant de la présence de Jésus.
Et quand d’autres passages bibliques laissent penser qu’il faut du temps avant la résurrection, pour que tous ressuscitent ensemble, ici étonnamment c’est sans délai, aujourd’hui. Sans même attendre le troisième jour, le jour de la mort est déjà le jour de la vie. Le Christ est avec nous au paradis, sur la nouvelle terre qu’il crée, aujourd’hui. Nous ne savons pas imaginer comment, mais quand nous sommes avec Jésus, la vie se multiplie au moment même de l’impuissance, de la paralysie et de la mort. C’est cela, le royaume du Christ, le royaume de Dieu.
Amen.