Faim de Dieu (Jean 6,1-15 et 2 Rois 4,42-44)

Prédication du dimanche 28 juillet 2024 au Chambon-sur-Lignon.

À réécouter dans le culte enregistré au Chambon-sur-Lignon (musique assurée à l’orgue par Guy Henriette Russier).

 

 

Vérité historique ? Qui sait ?

Jésus fait des « signes » (versets 2 et 14). Le signe appelle à chercher une signification.

 

Le miracle pour moi est énigmatique. Mais cette approche scientifique est très matérialiste. Que s’est-il vraiment passé ? Comment retrouver un événement d’il y a deux mille ans ? L’historien se pose de belles questions, mais il ne peut pas y répondre.

 

Et plutôt que d’avancer quelque hypothèse explicative, forcément réductrice, je préfère dire « je ne sais pas ». Qui sait ? À Dieu, tous les possibles. J’aime ce peut-être, qui dit toute la possibilité d’être. La possibilité d’une explication nouvelle à laquelle je n’aurais pas pensé, la surprise, l’explication inconnue. [Le miracle, c’est quand je ne comprends plus rien, et qu’au lieu d’en être vexé, je m’émerveille de voir la puissance de Dieu.]

 

Mais si l’événement ce n’est pas d’avoir mangé du pain, si l’événement c’est Jésus, alors il n’est pas perdu dans un passé inaccessible, il est au présent.

 

Quelle est notre faim aujourd’hui ? Quel est notre pain en ce jour ? Qui nous rassasiera ?

La faim du désir

Tout commence par la faim, par la famine. La famine, c’est le contexte d’Élisée. Le pain est un besoin vital. Voilà l’enjeu : sentir quel est notre besoin.

 

« Les jours viennent – déclaration du Seigneur DIEU – où j’enverrai une famine dans le pays ; non pas une faim de pain ni une soif d’eau, mais la faim et la soif d’entendre les paroles du SEIGNEUR. » (Amos 8,11).

 

Le désert est une épreuve pour expérimenter cette faim, pour découvrir notre faim spirituelle.

 

Le fils prodigue rumine au milieu des cochons : « Combien de salariés chez mon père ont du pain en surabondance, et moi, ici, je meurs de faim ! » (Luc 15,17). Car il a connu la surabondance de Dieu notre père. Il voit combien les richesses s’épuisent vite, combien les dépenses nous laissent sur notre faim. Il rêve d’un retour à son père.

 

Paul Claudel a écrit :

« Dans la privation de bonheur, le désir seul subsiste. Situation tragique ! J’éprouve un immense besoin de bonheur et je ne trouve pas à le satisfaire parmi les choses visibles. »

« Il y a dans l’homme un besoin de bonheur épouvantable […] »

(Lettres de Paul Claudel à Albert Mockel [1891] et à W.G.C. Byvanck [1894], citées par Michel Lioure. Paul Claudel, Tête d’Or, Gallimard, Folio théâtre, 2005, pp. XIX, et Annexes pp. 285, 288).

 

J’aime la conception du désir comme manque. Le désir est une absence qui nous creuse, un vide qui s’approfondit dans l’attente d’être comblé, rassasié. La beauté du désir, c’est cette espérance qu’il porte, même au cœur de la souffrance.

 

Et le désir est infini. Même les économistes le savent : au fur et à mesure qu’on possède de plus en plus de bien être, de bonheur matériel, le désir augmente, et on a envie d’en avoir encore plus.

Pouvoir d'achat ?

Face à cette épreuve, il y aurait la solution d’aller acheter ce qui nous manque. Mais Philippe souligne bien le problème : deux cents deniers de pains ne suffiraient pas. Un denier représente un salaire honnête pour une journée de travail, disons 50 €. Donc deux cents deniers vaudraient 10 000 €. Pour 5 000 repas, c’est un prix raisonnable ; mais sans doute c’est au-dessus des moyens de Jésus et de de ses disciples.

 

Nous voudrions le bonheur. Et en guise de solution, nous réclamons plus de pouvoir d’achat, en imaginant pouvoir acheter l’objet de nos désirs.

 

Alors où achèterons-nous des pains ? Ésaïe donne une réponse extraordinaire à la question de Jésus :

« Holà ! vous tous qui avez soif ! Venez vers l’eau, même celui qui n’a pas d’argent ! Venez, achetez et mangez, venez, achetez du vin et du lait, sans argent, sans rien payer ! Pourquoi pesez-vous de l’argent pour ce qui n’est pas du pain ? Pourquoi vous fatiguez-vous pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi donc et mangez ce qui est bon, et vous vous délecterez de mets succulents. » (Ésaïe 55,1-2).

Ce qui rassasie ne s’achète pas.

« L’être humain ne vivra pas sur le pain seulement, car l’être humain vivra sur tout ce qui sort de la bouche du SEIGNEUR. » (Deutéronome 8,3).

Notre désir de bonheur est spirituel. Nous avons faim de Dieu.

Jamais assez ?

Et puis il y a la réponse d’André. Cinq pains et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela ? [Et si André s’était trompé en dénombrant seulement cinq pains et deux poissons… ?] En fait nous avons déjà reçu. Mais cela nous paraît insignifiant, dérisoire.

 

Si nous voulons compter tous les dons de Dieu, ils seront aussi nombreux que les grains de sable de la mer ou que les étoiles du ciel.

 

Je mange à ma faim ; j’espère que c’est aussi votre cas. Si donc nous pouvons envisager nos besoins spirituels, c’est parce que Dieu a déjà rassasié notre faim physique par une nourriture terrestre. Dieu nous a donné la terre, sa création. Il nous a donné le miracle du grain de blé, qui se multiplie et qui permet de nourrir, non pas 5 000 hommes, mais 8 milliards d’êtres humains.

 

Sur cette terre qui ruisselle de lait et de miel, nous pouvons remercier Dieu, et partager, et le monde entier mangera à sa faim. Nous pouvons prendre nos milliards de pains et de poissons, rendre grâce, distribuer, et tous mangeront et seront rassasiés. Le Deutéronome nous y invite :

« Et tu mangeras et tu te rassasieras ; et tu béniras le SEIGNEUR ton Dieu pour la belle terre qu’il t’a donnée. » (Deutéronome 8,10).

 

Je dirai alors, oui j’ai à manger à satiété. Mais je trouve toujours que mes qualités sont insuffisantes ; de moi-même, de ce bonheur, de cette faim de vie, je suis insatisfait, insatiable. Et mon apparente humilité devient vite fausse modestie et vraie exigence, et tristesse.

 

Jésus prend nos dons que nous croyons trop petits ; il remercie, il les partage, et il y en a en surabondance.

Le seul qui rassasie

Quand nous restons affamés, Jésus répond :

« C’est moi qui suis le pain vivant descendu du ciel. » (Jean 6,51).

« Moi, j’ai à manger une nourriture que vous, vous ne connaissez pas. » (Jean 4,32).

 

Vivre avec Jésus, c’est ce rêve.

« Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif ; la chaleur torride et le soleil ne les feront plus souffrir ; car celui qui a compassion d’eux sera leur guide, et il les conduira vers des sources. » (Ésaïe 49,1).

« Il a fait le bien, en vous donnant du ciel pluies et saisons fécondes, en rassasiant vos cœurs de nourriture et de bonheur » (Actes 14,17).

 

Jésus est le pain vivant : lui seul rassasie le désir de notre cœur. Lui seul nous est nécessaire comme une nourriture.

 

Le pain reconstitue nos forces, nous donne de l’énergie, nous fait vivre. De même le Christ nous fortifie, nous dynamise, nous fait vivre.

 

Le pain entre en nous, s’incorpore à nous, devient une partie de nous-mêmes. Le Christ vient en nous, s’unit à nous. Nous participons à sa communion, à son corps.

 

Il nous nourrit de sa parole. Et la parole est toujours liée à la présence de la personne qui parle. Quand survient l’événement de la parole de Dieu, il y a Dieu qui parle. Et Dieu peut parler de bien des manières, qui n’impliquent pas toujours les mots. Il parle au cœur. La parole est arrivée chair, elle a habité en nous. Jésus se donne à nous corps et âme. Il se donne à goûter, à savourer dans la Sainte Cène. Il veut que nous puissions le sentir concrètement, être touchés par lui. Ce qui est spirituel est aussi réel. La présence de Jésus implique tout son être.

 

Il vient bientôt. La Pâque, la fête, est proche. Le royaume de Dieu s’est approché. La terre promise nous est donnée. Voilà l’espérance dont nous vivons.

Devenir panier

Dans la surabondance de Dieu, sont apparues douze corbeilles de pain. Ce n’est pas un problème d’arithmétique. Dieu donne sans compter, à l’infini.

 

Les douze corbeilles sont les douze apôtres. Les douze tribus d’Israël. L’Église. Nous sommes les douze corbeilles de pain. Nous qui avons été rassasiés du pain de vie, nous sommes remplis, comblés, débordants. Nous portons maintenant ce pain pour le partager à d’autres. Parce que nous avons été nourris, nous pouvons nourrir à notre tour. Parce que nous avons été aimés, nous avons de l’amour à revendre, à donner gratuitement.

 

Nous ne repartons pas comme nous étions venus. Nous sommes comblés, et nous sommes devenus des paniers pour le monde.

 

« C’est vraiment lui, le Prophète qui vient dans le monde. »

 

Dieu a mis sa parole dans la bouche de Jésus. Jésus est la parole parmi nous, il est celui qui vient. Nous avons faim de toi, Seigneur ! Seigneur, toi seul as la dimension de notre désir, toi seul peux nous rassasier. Quand nous mourons de faim, sauve-nous ! Rends-nous forts, fais-nous vivre, parle et nourris-nous de ta bouche ! Fais-nous surabonder de toi !

 

« Heureux vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés ! » (Luc 6,21).

 

Amen.

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