Témoins et sentinelles
Il suffit de deux ou trois témoins. Pour faire une Église de témoins. Une nuée de témoins. Témoins du Christ qui est là, au milieu de nous, qui est avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde, comme dit la finale de l’évangile de Matthieu.
Et cette figure du témoin rejoint celle du prophète, nous en avons une belle esquisse dans le texte d’Ézékiel. C’est l’image du guetteur, du veilleur, de la vigie, de la sentinelle. La parole du Seigneur ne s’adresse pas qu’à Ézékiel. Si la parole de Dieu a toujours du sens pour aujourd’hui, alors les prophètes existent encore, et Dieu n’a pas cessé de donner ses bénédictions. La parole du Seigneur reçue par Ézékiel s’adresse à « Toi, fils d’humain ». Toi, toi et toi, chacun de nous, chaque être humain. « Toi, fils d’humain, je t’ai donné guetteur. » Le prophète est un lanceur d’alerte, un chien de garde au service de la vérité de Dieu. Il avertit les gens, il les provoque pour les faire réagir, il les fait sursauter.
Il est une mouche qui réveille le croyant endormi, la sentinelle fatiguée, le guetteur aux paupières lourdes. Paul lance aux Romains : « Vous savez le moment, parce qu’il est déjà l’heure de vous éveiller d’un sommeil. » Il est déjà l’heure de ressusciter. Je pense aux apôtres endormis dans le jardin de Gethsémani, pendant la prière d’agonie de Jésus. Jésus leur dit : « Demeurez ici et veillez avec moi. […] Veillez et priez » (Mt 26,28.41) ; et il les réveille.
Il les réveille pour qu’ils reviennent de leurs actes, qu’ils reviennent à Dieu, qu’ils fassent demi-tour et se convertissent, qu’ils changent de pensée et dans tout leur être. Le prophète Jonas doit réveiller Ninive, non pas pour qu’elle soit détruite, mais pour qu’elle se convertisse. Même quand la parole du prophète semble sévère, ce n’est pas une parole de fatalité dans la condamnation. C’est toujours une parole pleine d’espérance pour un cœur nouveau, transformé, converti.
Les deux ou trois témoins sont des guetteurs. Le pape Jean-Paul II, si vous voulez bien que je le cite, exhortait spécifiquement les femmes à être « sentinelles de l’Invisible ». Il expliquait que cela voulait dire « être dans la société actuelle témoin des valeurs essentielles qui ne peuvent se percevoir qu’avec les yeux du cœur ».
Voici ce qu’écrit Antoine de Saint-Exupéry, amoureux du désert, dans Citadelle :
« Mais toi, sentinelle, si tu veilles, tu es en rapport avec la ville livrée aux étoiles. […] Sentinelle, sentinelle, c’est en marchant le long des remparts dans l’ennui du doute qui vient des nuits chaudes, c’est en écoutant les bruits de la ville quand la ville ne te parle pas, c’est en surveillant les demeures des hommes quand elles sont morne assemblage, c’est en respirant le désert autour quand il n’est que vide, c’est en t’efforçant d’aimer sans aimer, de croire sans croire, et d’être fidèle quand il n’est plus à qui être fidèle, que tu prépares en toi l’illumination de la sentinelle, qui te viendra parfois comme récompense et don de l’amour. […] Sentinelle, sentinelle, je ne sais où s’arrête ton empire quand Dieu te fait la clarté d’âme des sentinelles, ce regard sur cette étendue à laquelle tu as droit. »
La sentinelle se tient debout et en éveil, au milieu de tout ce qui l’entoure, du bruit et du silence. Elle est l’image de la foi, de la droiture.
Le témoin, prophète et guetteur et sentinelle, porte en lui le message de la grâce et de la conversion, le message de l’amour du Père qui donne tout. Il n’est pas seul. Que Dieu nous donne d’être deux ou trois témoins, et notre parole sera établie sur notre bouche, la vérité de Dieu tiendra, nous demeurerons debout et bien réveillés. Toi, guetteur de Dieu, veille et prie, pardonne et encourage, sois lumière du monde, et rayonne comme un phare.
Amen.