La grâce
Caïn a peur maintenant. Peur non pas d’abord de Dieu mais de l’autre. Et même si cette peur est irrationnelle : qui y a-t-il d’autre à part ses parents, et éventuellement sa future femme ? Mais la phobie de l’autre est là, même si elle ne se justifie pas. Car en brisant l’inconcevable du meurtre, Caïn a inauguré la loi de la jungle : tuer ou être tué. Puisque lui-même a tué, l’homme est capable de tuer ; et Caïn risque à son tour d’être tué, si les autres lui ressemblent. Ce cercle infernal de la violence et de la vengeance est adéquatement appelé une malédiction. Caïn vivra désormais dans l’insécurité permanente, en voyant en tout homme le reflet de sa propre violence.
Jusqu’ici, c’est donc l’histoire tragiquement humaine d’un fratricide. Or voici que Dieu intervient pour marquer Caïn d’un signe protecteur. Dieu garde celui qui n’a pas gardé son frère. Le plus naturel aurait été la symétrie d’une vie pour une vie. Mais voici que Dieu refuse d’appliquer la peine de mort. Comment si longtemps le christianisme n’a-t-il pas vu, pas voulu voir que ce texte biblique fondateur est étonnamment, résolument opposé à la peine de mort ? Et Caïn n’hérite pas même d’une peine de prison. Ce Caïn criminel et menteur, et dont l’aveu semble motivé davantage par la peur de la vengeance que par le regret, ce Caïn somme toute très antipathique, c’est lui que Dieu protège.
C’est pourquoi l’ACAT, qui s’occupe des Abel victimes d’une injustice, s’occupe aussi des Caïn pour qui la condamnation est justice, d’autant plus que nous ne savons pas bien distinguer entre les deux, et l’erreur judiciaire est toujours possible. Oui dans la bonté de Dieu, même les Caïn sont dignes de vivre.
Paul écrit aux Romains :
« Oui, quand nous étions encore sans force, Christ, au temps fixé, est mort pour des impies. C’est à peine si quelqu’un voudrait mourir pour un juste ; peut-être pour un homme de bien accepterait-on de mourir. Mais en ceci Dieu prouve son amour envers nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. » (Romains 5,6-8).
Christ est mort de la peine de mort, comme un criminel à la place des criminels.
Alors ce signe sur Caïn, c’est peut-être le nom du Christ, c’est peut-être le sang du Christ, ou comme dit Jean, l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (Jean 1,29). Car dans l’Exode, le sang de l’agneau pascal est justement appelé un signe (Exode 12,13). Marquant les montants et le linteau des portes des maisons, il protège les Hébreux de l’extermination.
Selon le dernier chapitre de l’Apocalypse,
« Il n’y aura plus de malédiction. Le trône de Dieu et de l’agneau sera dans la cité, et ses serviteurs lui rendront un culte, ils verront son visage et son nom sera sur leurs fronts. » (Apocalypse 22,2-3).
Ainsi nous vivons par la grâce, par le don gratuit de Dieu. Alors que nous étions condamnés, nous sommes graciés par Dieu, comme peut être gracié un condamné à mort.
Selon la première lettre de Jean : « Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort dans la vie, puisque nous aimons nos frères. » Et Jean poursuit : « si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur » (1 Jean 3,14.20).