Israël et Gaza (Actes 3,12-26)

Prédication du dimanche 14 avril 2024

Ne pas en parler ?

Jésus apporte la paix et le pardon.

 

Je crois que la parole de Dieu touche notre vie. Et que donc dans une prédication, Dieu nous parle de ce qui nous préoccupe, nous inquiète. Je voudrais vous dire ce que j’ai sur le cœur, concernant Israël. Nous sommes là pour parler justement des sujets brûlants. C’est là que l’évangile a toute sa pertinence.

 

Vendredi soir nous avons eu un dîner réunissant l’ancien conseil presbytéral et le nouveau. Et nous avons parlé de la guerre à Gaza. Une personne a dit qu’Israël est un sujet qui divise fortement l’Église. C’est vrai. Une personne ayant la fibre sociale, et horrifiée par le nombre de morts, prendra parti pour les Palestiniens. Une autre, attachée à la vision biblique du peuple élu, soutiendra toujours les Israéliens.

 

Le pasteur a un ministère d’unité, et je ne veux surtout pas créer des clivages supplémentaires. Mon réflexe a été de me dire que la question est trop polémique, trop politique pour que je présente mon opinion. La parole de Dieu peut se situer sur un autre plan, transcender les débats. Nous avons seulement à prier pour la paix. Et ça reste peut-être juste.

 

Face à toutes ces nouvelles terrifiantes du monde, nous sommes des spectateurs impuissants. Nourrir notre tête de ces drames ne nous fait pas du bien. Peut-être faut-il changer de sujet, ne pas subir le flux constant des actualités horribles, et choisir vraiment ce qui nous fait du bien, ce qui désaltère notre âme. Dieu nous appelle à aimer notre prochain, et non pas forcément tous les lointains du monde pour lesquels nous ne pouvons rien faire. Notre prochain, notre voisin, au singulier, commencer par une personne, celle qui se trouve là à ma porte. Nous avons le droit de nous protéger. Nous n’avons pas à porter toute la douleur du monde. Seul Jésus le fait.

« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » (Matthieu 11,28).

 

Il ne nous est pas demandé d’entrer dans l’empathie au point d’être contaminés à notre tour par la peur. Jésus dit : « N’ayez pas peur ! »

 

En parler, comment ?

Et pourtant, d’un autre côté, je crois qu’il faut prendre le risque de l’engagement. Pierre et Jean prennent un risque, en venant prêcher dans le temple. Après la mort de Jésus, ils auraient pu chercher la vengeance, entrer dans la résistance armée des zélotes, organiser un attentat contre le gouverneur Pilate ou le roi Hérode ou le grand prêtre Caïphe. Ils ne l’ont pas fait ; ils n’ont pas choisi la riposte violente. Ils auraient pu se cacher, s’enfermer dans le deuil. Ils ne l’ont pas fait ; ils ne sont pas restés dans la peur. Mais remplis de l’Esprit Saint, ils sont venus au temple, pour guérir et appeler à la conversion. Ils ont eu ce courage, non pas un courage guerrier, mais le courage de dire les choses en face. Après ce discours ils sont arrêtés et retenus en garde à vue.

 

« Vous avez tué le pionnier de la vie », cette accusation directe me fait frémir, car sans doute elle ne répond pas aux critères de la diplomatie et de la communication non violente : elle juge et donc elle est mal reçue. Mais elle énonce aussi un simple fait.

 

Ces mots, au fil des siècles, ont été mal interprétés, instrumentalisés, pris comme un prétexte à l’antisémitisme. Nous avons donné à Israël l’injure de peuple déicide. Pourtant, si des Judéens de l’époque de Jésus ont réclamé sa mort, Pilate et les Romains païens en sont autant responsables. Juifs et non-Juifs des nations se sont alliés contre Jésus ; Pilate et Hérode sont devenus amis. Donc tous nous portons une part de responsabilité dans la mort de Jésus ; et à tous aussi le pardon, la grâce nous est offerte. Et pour nous tous Jésus est vivant, ressuscité.

 

Pierre dit : « Vous, vous avez renié le Saint, le Juste. » Il sait de quoi il parle. Il pourrait dire : « Moi, j’ai renié… »

 

Toujours voir ses propres torts avant d’accuser les autres ; enlever la poutre dans son œil avant la paille dans l’œil de son frère. Et dans l’attitude du christianisme envers les Juifs, nous portons une énorme poutre. Des siècles de persécutions menés par la chrétienté contre les Juifs. Et pour finir, dans la culpabilité de la Shoah, l’erreur de prétendre donner en 1948 à Israël une terre qui était habitée par les Palestiniens, et qui ne nous appartenait pas pour la donner, sauf dans notre mentalité coloniale.

 

Mais même la plus grande poutre peut être pardonnée au bois de la croix.

 

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L’amour de Dieu pour Israël

Pierre rappelle la promesse de Dieu à Abraham, et donc à Israël. Les Juifs sont les fils des prophètes et de l’alliance que Dieu a établie. Dieu est père, il aime son peuple, son enfant Israël.

 

Mais si l’amour d’un père demeure toujours, total et inébranlable, un père n’approuve pas pour autant tout ce que fait son enfant. Les prophètes de la Bible ne cessent d’appeler le peuple à revenir à Dieu, autrement dit à faire demi-tour, à se convertir. Et Pierre ici parle comme un prophète.

 

 

Jésus est au côté de celui qui est tué

Jésus est celui qui est tué. Le 7 octobre 2023, quand le Hamas viole et massacre un millier d’Israéliens, Jésus est israélien, c’est Jésus qui est tué. Aujourd’hui, quand l’armée israélienne massacre des myriades de Palestiniens, Jésus est palestinien, il souffre et meurt avec eux. Et si le conflit s’étend comme nous le redoutons après l’attaque de l’Iran, si d’autres morts s’ajoutent, quelle que soit leur nationalité, Jésus sera encore aux côtés de ceux qui meurent. Voilà le sens de la mort de Jésus, Dieu qui vient se faire humain et vivre et mourir avec nous.

 

Je pense au peintre juif Marc Chagall, qui a représenté Jésus en croix en châle de prière juif, pour dire que Jésus représente tout juif torturé et assassiné, et j’élargirais encore : il représente tout être humain souffrant jusqu’à la mort.

 

Jésus était juif, a été tué par des juifs et par des non-juifs. Cela ne nous dit pas de façon automatique où nous situer dans le conflit israélo-palestinien d’aujourd’hui. Mais Jésus est toujours du côté du pardon, et non de la vengeance. De l’amour, et non de la haine.

 

En 1934, face à la montée du nazisme en Allemagne, les Chrétiens allemands mélangent la foi et la culture nationale allemande. L’Église confessante apparaît alors et fait sécession. Dans cette Église confessante, de jeunes théologiens allemands, parmi lesquels Dietrich Bonhoeffer et Karl Barth, écrivent la confession de Barmen, où au nom du Christ ils prennent position contre le nazisme, dénoncé comme une idolâtrie. Ils entrent en résistance, et sont persécutés. Ils ne sont pas restés à se taire, pendant que commençait l’idéologie qui allait mener à l’extermination des juifs.

 

 

Les crimes du nationalisme israélien

J’ai entendu un pasteur déclarer qu’il était permis, et même sain, que les paroissiens soient en désaccord avec leur pasteur. J’ai trouvé cela sage et libérateur, d’autant plus que justement ne me sentais pas toujours en phase avec lui. Il est bon parfois de faire réagir, d’étonner, de provoquer un débat ; cela nous fait réfléchir. Alors avec cette liberté et ce respect pour l’opinion de chacun, je dis ce qui suit.

 

Je me permets de dire qu’à mon avis, les orthodoxes russes sont dans la même dérive que les chrétiens allemands. La foi devient assimilée à la culture nationale, et se trouve embrigadée dans une dictature nationaliste, et complice des crimes du régime qu’elle cautionne et auquel elle s’associe.

 

Je me permets de dire qu’à mon avis, l’État d’Israël, qui ne se confond pas avec le peuple juif, est pris aussi dans une dérive semblable aux chrétiens allemands. Ou peut-être même qu’il n’y a plus rien de religieux dans la politique du gouvernement israélien. L’identité nationale exacerbée empêche d’entendre la parole de Dieu. Le nationalisme d’extrême droite, le néocolonialisme, le militarisme, la haine font commettre des crimes. Israël aussi peut commettre des crimes, et il y a beaucoup d’exemples dans la Bible de rois d’Israël qui font ce qui déplaisent au Seigneur, et qui imitent les abominations des nations (2 Rois 21,2 ; …).

 

Maintenant, malgré ces crimes, malgré nos crimes, Dieu ne nous abandonne pas ; son amour reste intact, comme au jour de notre naissance.

 

Dieu espère en l’humain

Dieu croit à la conversion de son peuple. Dieu croit encore en l’humain même après que nous avons cessé d’y croire. Dieu a cette persévérance, cette espérance.

 

Au milieu de tous ces morts, où est l’espérance ? Dieu relève et réveille d’entre les morts. Même là où tout semble définitivement perdu, même après la mort, Dieu renverse la situation, Dieu change tout, même la mort.

 

Au milieu de toutes les mauvaises nouvelles que nous entendons, quelle est la bonne nouvelle ? Écoutons d’autres paroles, les paroles inspirées de Dieu. Elles annoncent ici « des temps de réconfort qui viennent du Seigneur », « les temps du rétablissement de tout ce dont Dieu a parlé » (Actes 3,20.21). Oui, Dieu renouvelle tout, réconcilie tout. Sa fidélité, son amour durent pour toujours.

 

Amen.

 

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