La grâce seule (Marc 10,46-52)

Prédication du dimanche 27 octobre 2024 ; fête de la Réformation

Nous fêtons aujourd’hui la Réformation, ou comment à partir de 1517 a émergé ce qui allait devenir le protestantisme. La Réforme se décrit par cinq principes : l’Écriture seule, la foi seule, la grâce seule, Christ seul, et à Dieu seul la gloire. L’origine est une redécouverte de l’évangile dans sa force transformatrice, au plus près de Jésus Christ, et de la parole de Dieu.

 

Je voudrais montrer comment l’évangile de ce jour dialogue avec ces cinq principes, résonne avec eux, et les illumine.

L’Écriture seule

Commençons par Sola Scriptura, l’Écriture seule. Aux sources de la Réforme se trouvent l’invention de l’imprimerie, le courant humaniste et l’édition du Nouveau Testament grec par Érasme de Rotterdam, la traduction de la Bible en allemand par Martin Luther, et l’apprentissage de la lecture pour le plus grand nombre. La Bible imprimée donne à chacun la possibilité d’entendre directement la Parole de Dieu.

 

Martin Luther invite à voir

« cette Écriture comme la chose sainte la plus haute et la plus noble, comme la mine la plus riche, qu’on ne pourra jamais assez exploiter, afin que tu y trouves la sagesse divine que Dieu présente ici d’une façon si simple et si élémentaire qu’il en étouffe tout orgueil. […] Ce sont des langes simples et ordinaires, mais précieux est le trésor, le Christ, qui y est couché. » (Préface de 1523 à l’Ancien Testament).

 

Jean Calvin écrit :

« si de là nous nous transportons à la lecture des saintes Écritures, qu’on le veuille ou non, elles nous poindront si vivement, elles perceront tellement notre cœur, elles se ficheront tellement au-dedans des moelles, que toute la force qu’ont les rhétoriciens ou philosophes, au prix de l’efficace d’un tel sentiment, ne sera que fumée. » (L’institution chrétienne, Livre I, chapitre VIII, §1).

Nous trouvons déjà cet émerveillement chez les disciples d’Emmaüs, qui se disent : « Notre cœur ne brûlait-il pas en nous, lorsqu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait le sens des Écritures ? » (Luc 24,32).

 

Le paradoxe, c’est que Jésus lui-même n’a rien écrit ; il préférait l’oralité et la rencontre directe. Alors après lui, les chrétiens ont écrit à son sujet, pour transmettre ce qui les a éblouis et qui les fait vivre. Et comme les Juifs ajoutent à la Tora écrite une Tora orale qui s’enrichit constamment, les chrétiens développent des commentaires spirituels et des méditations, sans fin. Au point que l’évangile pourrait être étouffé sous toutes ces couches surajoutées.

 

La tradition, c’est peut-être le manteau de Bartimée. Un manteau est utile, mais s’il devient épais et pesant au point de limiter notre liberté de mouvement, il ne faut pas hésiter à l’enlever. Alors pour venir à Jésus, pour répondre à son appel, Bartimée jette son vêtement.

À Dieu seul la gloire

Au XVIe siècle, les réformateurs ont jugé que les hommes prenaient une gloire qui n’appartient qu’à Dieu. La hiérarchie du clergé vivait dans un luxe indécent. Et après leur mort les saints et martyrs étaient honorés jusqu’à éclipser la lumière de Dieu. La piété populaire mêlée de restes de paganisme va vite prêter aux statues des vertus miraculeuses, transformant les serviteurs de Dieu en nouvelles idoles.

 

Cette immense nuée de témoins est devenue comme la foule qui sépare Bartimée de Jésus. La foule est très ambiguë. La foule accompagne Jésus. Mais beaucoup veulent faire taire Bartimée. Nous pourrions nous demander pourquoi ; je vous laisse explorer cette question si vous le désirez. En tout cas la foule peut devenir un obstacle, et d’un autre côté elle peut aussi amener à Jésus quand elle dit : « Courage ! Lève-toi, il t’appelle ! » La foule est plurielle, incohérente, inconstante ; elle est humaine.

 

Alors parfois il faut traverser la foule, que s’effacent les saints et tous ceux qui parlent à la place de Jésus. Et aller devant Jésus lui-même, face à face, personnellement. Et contempler sur son visage la vraie gloire de Dieu.

Christ seul

Christ seul, c’est désirer le Christ au centre de notre vie. Bartimée crie : « Fils de David ». Il appelle Jésus, sans se satisfaire d’une autre personne de la foule. Il appelle Jésus d’un nom royal, d’un nom messianique. Le fils de Timée veut rencontrer le fils de David, et rien ne le détournera de lui, ni le confort du manteau, ni la réaction de la foule, ni le handicap d’être aveugle. Lui qui était assis au bord de la route, à la fois immobile et marginal, en retrait et aveugle à tout ce qui se passe autour de lui, soudain il s’anime et se met en mouvement. Il bondit et vient à Jésus. La foule n’existe plus, il n’y a plus que Jésus et Bartimée, seuls à seuls.

 

Ce désir, cet élan vers le Christ, fonde notre cri du cœur vers lui, notre prière.

La grâce seule

« Que veux-tu que je fasse pour toi ? » dit Jésus. Comme c’est étonnant. Comme si Jésus était à son service. Comme si le roi était serviteur, et le plus grand, le fils de l’homme venu pour servir.

 

Car Jésus est le Seigneur, et devant un seigneur, habituellement c’est nous qui demandons : « Que voulez-vous que je fasse ? Quels sont vos ordres ? » Mais ici c’est le contraire, c’est Jésus qui offre ses services.

 

Et humainement, quand nous allons demander quelque chose, nous essayons de proposer quelque chose en échange. Nous entrons dans une transaction, un marchandage. Guéris-moi et je te servirai, je te suivrai, je te le revaudrai. S’il te plaît, je t’en supplie ! Si tu me donnes la vue, je ferai tout ce que tu voudras !

 

Mais Jésus donne sans rien demander en retour. Bartimée n’a rien à faire pour être sauvé, sauf le demander à Jésus. Ce cadeau gratuit de Jésus, c’est la grâce.

La foi seule

Bartimée répond : « Que je voie de nouveau ! » Ou encore : « Que je regarde vers le haut ! » « Que je lève le regard ! » Un regard au ciel, un regard ressuscité. Il faut de la foi pour cela. De l’audace pour faire cette demande inouïe, démesurée, inhumaine. Pour croire que Jésus dépasse l’humain, et qu’il est créateur, et qu’il peut donner la vue. En même temps, la réponse de Bartimée est très simple, presque naïve. Elle a la force de l’évidence. Il sait que Jésus va dire oui, et le faire.

 

La foi signifie ensemble fiabilité et confiance. La fiabilité éclate dans la vérité, la fermeté, l’assurance et la conviction, la volonté, la force du cri et l’impulsion pour bondir. La confiance se sent dans la relation à Jésus, l’amour entrevu et deviné comme un coup de foudre. Bartimée prouve aussi sa fidélité et sa joie quand il suit Jésus sur la route. La foi comme les fiançailles implique à la fois un engagement solide, et un lien profondément intime et personnel.

 

Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Nous sommes sauvés par la foi, la foi seule, même quand nos œuvres, nos actes ne sont pas à la hauteur.

 

Ce 31 octobre, nous fêtons le 25e anniversaire de la Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification, signée entre les catholiques et les luthériens, auxquels se sont associées ensuite d’autres Églises comme les anglicans et les réformés.

« Nous confessons ensemble : c’est seulement par la grâce au moyen de la foi en l’action salvifique du Christ, et non sur la base de notre mérite, que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit Saint qui renouvelle nos cœurs, nous habilite et nous appelle à accomplir des œuvres bonnes. »

 

« Nous confessons ensemble que, par la grâce, Dieu pardonne son péché à la personne humaine et que simultanément, en sa vie, il la libère du pouvoir asservissant du péché en lui offrant la vie nouvelle en Christ. […] Le pardon des péchés et la présence sanctifiante de Dieu sont intrinsèquement liés par le fait que la personne humaine est, dans la foi, unie au Christ qui, dans sa personne, est notre justice (1 Co 1, 30). » (Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification, 1999, §15 et §22).

 

Christ est notre justice. Nous sommes sauvés par notre foi en lui, par sa foi en nous, par ce lien de confiance mutuelle ; unis à lui car il demeure en nous.

 

Amen.

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