Les pierres crieront (Luc 19,28-40)

Prédication du dimanche 13 avril 2025 - fête des Rameaux.

La joie pour le roi

Humblement j’ai trouvé sur ce texte de très beaux commentaires que je veux partager avec vous, sur la joie devant le roi, sur le drame de la passion, sur la force des pierres.

 

L’approche royale de Jésus vers Jérusalem est un moment d’immense espérance et de joie, une parenthèse de bonheur. Comme la transfiguration, elle perce les nuages ; et par cette ouverture, elle fait entrevoir le ciel et la royauté du Christ. Accueillir Jésus est une fête.

 

Sœur Myriam écrit :

« À l’intime des cœurs, avant que n’éclate la faiblesse humaine, avant les outrages, avant le chemin vers Golgotha, à l’intime des cœurs, aujourd’hui et maintenant se célèbre un Roi. Il est bon de recevoir la fête des Rameaux comme des gens qui ne sauraient pas la suite. Il est bon, au jour de l’enthousiasme, de ne pas fermer notre cœur » (Sœur Myriam, Continuer l’Évangile, éditions Olivétan, 2008, p. 299).

 

Le texte biblique s’éclaire par de nombreuses références symboliques qui disent la royauté de Jésus.

 

  • L’ânon attaché évoque la bénédiction faite à Juda parmi les douze fils d’Israël à la fin du livre de la Genèse :

« Le sceptre ne sera pas retiré à Juda, ni le bâton de commandement qui est entre ses jambes […]. Il attache son âne à la vigne, le petit de son ânesse à un cep de qualité ; il lave son vêtement dans le vin, son habit dans le sang des raisins. » (Genèse 49,9-10).

Le roi David et ses descendants sont en effet de la tribu de Juda. Et l’évocation du sang des raisins peut se lire comme une prophétie messianique, annonçant la passion du Christ qui nous purifie.

 

  • La foule acclamant Jésus monté sur l’ânon rappelle la fête d’onction du roi Salomon, fils de David :

« ils firent monter Salomon sur la mule du roi David et l’amenèrent à Guihôn. Tsadoq, le prêtre, prit la corne d’huile dans la tente et conféra l’onction à Salomon. On sonna de la trompe, et tout le peuple dit : Vive le roi Salomon ! Tout le peuple monta derrière lui ; le peuple jouait de la flûte et se livrait à une grande joie ; la terre se fendait au bruit qu’ils faisaient. » (1 Rois 1,38-40).

Le petit détail des manteaux étalés sur le sol trouve sa source dans une autre cérémonie de sacre royal, celle de Jéhu :

« Alors chacun d’eux se hâta de prendre son vêtement et de le placer sous Jéhu, en haut des marches ; ils sonnèrent de la trompe et dirent : Jéhu est roi ! » (2 Rois 9,13).

Pour l’acclamation, Luc cite le Psaume 118 : « Béni soit celui qui vient au nom du SEIGNEUR ! » (Psaume 118,26).

 

  • L’âne est aussi une allusion à la vision messianique du livre de Zacharie :

« Sois transportée d’allégresse, Sion la belle ! Lance des acclamations, Jérusalem la belle ! Il est là, ton roi, il vient à toi ; il est juste et victorieux, il est pauvre et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. » (Zacharie 9,9).

La mention du mont des Oliviers se comprend aussi en référence à Zacharie :

« Ses pieds se placeront en ce jour-là sur le mont des Oliviers, qui est en face de Jérusalem, à l’est […] Le SEIGNEUR sera roi de toute la terre ; en ce jour-là, le SEIGNEUR sera un, et son nom un. » (Zacharie 14,4.9).

 

Cet enthousiasme populaire est donc aussi un événement qui accomplit les prophéties et signe la royauté de Jésus. Quand tant de dirigeants terrestres nous déçoivent, nous pouvons regarder à lui, qui est le roi d’un ailleurs, qui annonce une autre vérité.

 

Voici un roi de paix, un roi humble, qui illustre une conception bouleversante et renversante du pouvoir : le premier se fait serviteur, le plus grand devient le plus petit. Si nous exercions ainsi le pouvoir que nous avons pour les autres, comme un ministre c’est-à-dire un serviteur, combien toutes nos relations seraient changées ! Nous n’aurions plus à nous battre pour obtenir et garder le pouvoir, ni pour échapper à la domination et nous affranchir de la soumission. Nous serions soumis les uns aux autres, dans le travail, dans le couple et la famille, dans l’Église, dans la vie de la cité. Le pouvoir ne serait plus le lieu de la hiérarchie et de l’asservissement, mais seulement la possibilité d’agir, d’édifier, de donner, l’ouverture de tous les possibles de notre humanité.

 

« Paix dans le ciel et gloire dans les lieux très hauts ! » À Noël, la paix était annoncée sur la terre (Luc 2,14), ici elle demeure dans le ciel, car le règne de Jésus est du ciel. Et pourtant cette paix du ciel peut descendre sur la terre ; c’est déjà la fête ! Car nous savons que Jésus va mourir sur la terre, mais qu’il est vivant, relevé de la mort. Nous voyons la paix ultime au-delà.

Le drame suspendu

La foule célèbre une fête au bord du drame. Cet élan de joie s’accompagne d’une menace, qui affleure par la bouche des pharisiens. L’avancée royale de Jésus est paradoxale, déconcertante, entre gloire et humilité, entre joie et tension.

 

Jésus est appelé ici le roi, et nous retrouvons ce titre plus amèrement sur la croix : « Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : ‟C’est le roi des Juifs.” » (Luc 23,38). Sa royauté demeure, écrite et réaffirmée même dans la souffrance et la mort.

 

Marion Muller-Colard écrit :

« Il y a un jeu de vases communicants entre la grâce et la menace. L’Évangile est tenu, en filigrane, par cette tension. La fête des Rameaux est le point haut de cette montée conjointe où la vérité et la mort se frôlent, juste avant la tragique dégringolade vers leurs épousailles. » (Marion Muller-Colard, Éclats d’Évangile, « Dimanche 24 mars 2013 », Bayard / Labor et Fides, p. 109).

 

Le règne de Dieu dans notre vie s’inscrit au cœur de la menace et du doute, et même de la trahison. Et pourtant la joie qu’il nous a donnée est ineffaçable, elle survit comme une allumette dans la nuit, elle ne s’éteint pas, elle est l’étincelle qui illumine soudain.

 

Dans cette bousculade heureuse, dans le déferlement des disciples en liesse, une force est née qui ne pourra être arrêtée, même si le peuple fait volte-face et crie « Crucifie-le ! » (Marc 15,13-14). La justice et la paix traversent les épreuves. Elles sont irrésistibles. Elles ne peuvent être rendues muettes.

La force des pierres

Il est question de pierres qui crient, selon l’image du prophète Habaqquq : « Car depuis le mur la pierre crie, et la poutre lui répond de la charpente. » (Habaqquq 2,11).

 

Le chapitre suivant de Luc cite un autre verset du Psaume 118 : « La pierre que les bâtisseurs ont rejetée est devenue la principale, celle de l’angle. » (Psaume 118,22). Il annonce à la fois le rejet et la puissance de la pierre qui résiste et prend la place essentielle. Le Christ devient cette pierre rejetée mais fondatrice.

 

Au chapitre suivant encore, en Luc 21, « Comme quelques-uns parlaient du temple en évoquant les belles pierres et les offrandes dont il était orné, il dit : Les jours viendront où, de ce que vous voyez, il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée. » (Luc 21,5-6).

 

Et au premier jour après le nouveau shabbat, les femmes trouvent la pierre roulée de devant le tombeau (Luc 24,2). C’est une pierre puissante, qui ouvre et qui libère.

 

Pourtant, au départ, la pierre est dure et stérile. Un cœur de pierre ne sait pas aimer. La pierre est utilisée pour lapider, frapper ou broyer, c’est un instrument de mort. Elle est utilisée pour graver la loi, qui souvent condamne froidement. Elle est utilisée pour bâtir, pour construire un temple, mais là encore cet amas de pierres n’est pas indestructible, et n’atteint pas l’essentiel.

 

Saint-Exupéry écrit dans Citadelle :

« Car, des pierres du temple, c’est le silence qui les domine qui compte seul. Et ce silence dans l’âme des hommes. Et l’âme des hommes où tient ce silence. Voici le temple devant lequel je me prosterne. Mais l’autre fait son idole de la pierre et se prosterne devant la pierre en tant que pierre… » (Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle, chapitre XLVII, Gallimard, 1948).

 

Jean Baptiste annonçait : « Car je vous dis que de ces pierres Dieu peut susciter des enfants à Abraham. » (Luc 3,8).

 

Il est arrivé la rédemption des pierres, qui deviennent chair et crient leur louange au Christ. Quand toutes les voix se sont tues, quand tous ont fui, il restait les pierres, inébranlables, pour continuer la louange du Seigneur, au nom de toutes les créatures. Il restait la pierre pour ouvrir le tombeau et laisser sortir le ressuscité.

 

C’est la pierre qui a le plus péché, la pierre morte et qui enfermait dans la mort, qui devient le premier témoin de la résurrection. Et son cri silencieux monte jusqu’au ciel.

 

Prions avec Le moine Philémon de Gaza médite l’Évangile de Luc, de Daniel Bourguet (éditions Olivétan, 2024, p. 286) :

« aujourd’hui encore, les pierres crient ; elles crient chaque fois que les hommes se taisent et oublient de te louer et de te bénir. […] Dans ta grâce, Seigneur, veuille accueillir les prières des pierres qui prient à notre place ou qui prennent nos fragiles prières dans les leurs pour les faire monter vers toi. […] Bénis es-tu, Seigneur Jésus, toi qui as façonné les pierres et qui leur as donné cette mystérieuse capacité de faire monter vers toi leurs cris où se disent les joies et les misères des hommes ainsi que la louange et l’action de grâce qui te reviennent. »

 

Amen !

« Vous-mêmes, comme des pierres vivantes, construisez-vous pour former une maison spirituelle ! » (1 Pierre 2,5).

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