Générosité
À cette époque-là, au IXe siècle avant J.-C., Achab est roi d’Israël, le royaume du Nord ayant pour capitale Samarie. Il est écrit : « Achab fit plus encore pour contrarier le SEIGNEUR, le Dieu d’Israël, que tous les rois d’Israël qui l’avaient précédé. » (1 Rois 16,33). En particulier, il épouse Jézabel, fille du roi de Sidon, et va servir le Baal. La reine Jézabel est vue très négativement, non pas en soi parce qu’elle est étrangère, mais parce qu’elle est païenne, et qu’Achab se laisse détourner du vrai Dieu et entraîner vers les idoles.
Le prophète Élie annonce alors au nom du Seigneur l’absence de pluie, et c’est la sécheresse, et bientôt la famine.
Jézabel et la veuve de Sarepta ont un point commun : elles viennent de Sidon, un grand port phénicien, situé aujourd’hui au Liban. Entre Tyr et Sidon, Sarepta est une ville de la côte libanaise. C’est là que vient Élie.
La veuve de Sarepta est donc une étrangère et une païenne, comme Jézabel. Mais pour le reste, elle est son double totalement opposé. Comme pour dire que l’origine des gens ne détermine pas qui ils sont. Et qu’il n’est pas rare que des païens soient par leurs actes plus exemplaires que ceux qui se réclament d’un peuple élu, sans être réellement croyants et fidèles à Dieu.
Comme si cela ne suffisait pas d’être étrangère et païenne, elle est une femme, une veuve, une mère seule avec un fils à charge, par conséquent pauvre et sans ressources. Elle est ce qu’on appelle aujourd’hui à l’intersection de minorités : c’est dur d’être pauvre, c’est dur d’être étranger, c’est dur d’être une femme et une mère célibataire. Mais combiner tout cela à la fois, c’est multiplier à la puissance trois les difficultés et enlever presque toute possibilité de s’en sortir. Déconsidérée, elle n’est rien. Elle se sent déjà presque morte. Et c’est vers elle, non pas vers le roi et la reine, qu’Élie est envoyé. Dieu s’occupe des petits.
J’ai vécu un an à Nouakchott, capitale de la Mauritanie. Et souvent le week-end je partais dans le désert dans un vieux 4×4, pour un grand dépaysement. Et je me souviens de m’être arrêté au milieu de nulle part, et d’avoir rencontré des gens qui vivaient dans une tente ou une baraque de tôle, de parpaings et de bois. Et j’étais frappé de leur hospitalité. Matériellement, je possédais beaucoup plus qu’eux, mais c’étaient eux qui m’invitaient, partageaient avec moi des dattes, des biscuits et un étrange breuvage à base de lait de chamelle. Et j’acceptais, parce que c’était aussi une manière de les honorer que d’accepter simplement leur hospitalité. Malgré leur pauvreté ils restaient dignes, et capables d’être l’hôte qui prend soin et qui donne.
Nul n’a trop peu pour donner. Nous n’avons pas trop peu pour donner. Oh moi, je suis tout petit, j’ai plein de défauts, il vaut mieux quelqu’un d’autre. Mais Dieu dit : tu n’as pas trop peu pour donner, j’ai besoin de toi, je compte sur toi. Donne-moi à boire.
Souvent les pauvres donnent proportionnellement plus, parce qu’ils ont connu le manque. Ils savent ce que c’est, alors ils ont de l’empathie. Plus qu’un rapport de donateur bienfaiteur à bénéficiaire d’une assistance, ils ont un rapport d’égalité, de personne à personne, de solidarité, de pauvre à pauvre.
La veuve partage ses maigres biens avec Élie, parce qu’il vaut mieux être solidaires dans une misère commune, que seuls chacun dans sa propre misère.
Jésus peut-être aussi a ce sens de la rencontre, quand il demande à la Samaritaine, comme Élie à la veuve : « Donne-moi à boire » (Jean 4,7). Une demande modeste et vitale. Jésus, qui a la source d’eau vivante et jaillissante, intarissable, se met pourtant en position de mendier un peu d’eau.
Et la veuve, qui est aussi mère, a cette générosité jusqu’à l’oubli de soi, quand elle donne d’abord à l’inconnu et à l’étranger, Élie, au risque de ne pas garder assez pour son fils et pour elle.