L’hospitalité d’une pauvre (1 Rois 17,10-16 et Marc 12,38-44)

Prédication du dimanche 10 novembre 2024

Les textes du jour nous présentent les portraits de deux femmes magnifiques. Malgré l’écart temporel et la distance géographique, elles se ressemblent. Toutes deux sont veuves et pauvres et pourtant étonnamment généreuses. Elles donnent avec le cœur, et sans compter, avec confiance, avec abandon. Elles ont l’audace de tout risquer, de jouer leur vie.

 

Je m’attacherai surtout à la veuve de Sarepta dans le premier livre des Rois, car c’est elle dont l’histoire est la plus développée.

Générosité

À cette époque-là, au IXe siècle avant J.-C., Achab est roi d’Israël, le royaume du Nord ayant pour capitale Samarie. Il est écrit : « Achab fit plus encore pour contrarier le SEIGNEUR, le Dieu d’Israël, que tous les rois d’Israël qui l’avaient précédé. » (1 Rois 16,33). En particulier, il épouse Jézabel, fille du roi de Sidon, et va servir le Baal. La reine Jézabel est vue très négativement, non pas en soi parce qu’elle est étrangère, mais parce qu’elle est païenne, et qu’Achab se laisse détourner du vrai Dieu et entraîner vers les idoles.

 

Le prophète Élie annonce alors au nom du Seigneur l’absence de pluie, et c’est la sécheresse, et bientôt la famine.

 

Jézabel et la veuve de Sarepta ont un point commun : elles viennent de Sidon, un grand port phénicien, situé aujourd’hui au Liban. Entre Tyr et Sidon, Sarepta est une ville de la côte libanaise. C’est là que vient Élie.

 

La veuve de Sarepta est donc une étrangère et une païenne, comme Jézabel. Mais pour le reste, elle est son double totalement opposé. Comme pour dire que l’origine des gens ne détermine pas qui ils sont. Et qu’il n’est pas rare que des païens soient par leurs actes plus exemplaires que ceux qui se réclament d’un peuple élu, sans être réellement croyants et fidèles à Dieu.

 

Comme si cela ne suffisait pas d’être étrangère et païenne, elle est une femme, une veuve, une mère seule avec un fils à charge, par conséquent pauvre et sans ressources. Elle est ce qu’on appelle aujourd’hui à l’intersection de minorités : c’est dur d’être pauvre, c’est dur d’être étranger, c’est dur d’être une femme et une mère célibataire. Mais combiner tout cela à la fois, c’est multiplier à la puissance trois les difficultés et enlever presque toute possibilité de s’en sortir. Déconsidérée, elle n’est rien. Elle se sent déjà presque morte. Et c’est vers elle, non pas vers le roi et la reine, qu’Élie est envoyé. Dieu s’occupe des petits.

 

J’ai vécu un an à Nouakchott, capitale de la Mauritanie. Et souvent le week-end je partais dans le désert dans un vieux 4×4, pour un grand dépaysement. Et je me souviens de m’être arrêté au milieu de nulle part, et d’avoir rencontré des gens qui vivaient dans une tente ou une baraque de tôle, de parpaings et de bois. Et j’étais frappé de leur hospitalité. Matériellement, je possédais beaucoup plus qu’eux, mais c’étaient eux qui m’invitaient, partageaient avec moi des dattes, des biscuits et un étrange breuvage à base de lait de chamelle. Et j’acceptais, parce que c’était aussi une manière de les honorer que d’accepter simplement leur hospitalité. Malgré leur pauvreté ils restaient dignes, et capables d’être l’hôte qui prend soin et qui donne.

 

Nul n’a trop peu pour donner. Nous n’avons pas trop peu pour donner. Oh moi, je suis tout petit, j’ai plein de défauts, il vaut mieux quelqu’un d’autre. Mais Dieu dit : tu n’as pas trop peu pour donner, j’ai besoin de toi, je compte sur toi. Donne-moi à boire.

 

Souvent les pauvres donnent proportionnellement plus, parce qu’ils ont connu le manque. Ils savent ce que c’est, alors ils ont de l’empathie. Plus qu’un rapport de donateur bienfaiteur à bénéficiaire d’une assistance, ils ont un rapport d’égalité, de personne à personne, de solidarité, de pauvre à pauvre.

 

La veuve partage ses maigres biens avec Élie, parce qu’il vaut mieux être solidaires dans une misère commune, que seuls chacun dans sa propre misère.

 

Jésus peut-être aussi a ce sens de la rencontre, quand il demande à la Samaritaine, comme Élie à la veuve : « Donne-moi à boire » (Jean 4,7). Une demande modeste et vitale. Jésus, qui a la source d’eau vivante et jaillissante, intarissable, se met pourtant en position de mendier un peu d’eau.

 

Et la veuve, qui est aussi mère, a cette générosité jusqu’à l’oubli de soi, quand elle donne d’abord à l’inconnu et à l’étranger, Élie, au risque de ne pas garder assez pour son fils et pour elle.

Confiance

C’est presque impossible d’imiter un tel modèle. Et c’est là que la foi intervient, autrement dit la confiance. L’obstacle au don, c’est parfois la cupidité, ou l’attachement aux biens matériels. Mais c’est aussi plus subtilement la peur de manquer. Il y a celui qui ne donne pas, parce qu’il est dépensier et qu’en dernier sur l’ordre de priorité, il ne reste plus d’argent pour donner, pas de surplus. À celui-là Jésus enseigne à donner de son nécessaire, et pas seulement de son surplus. Et nous pouvons reconsidérer ce qui est vraiment nécessaire. Mais il y a aussi celui qui ne donne pas parce qu’il est économe, et qu’un don, c’est encore une dépense ; il préfère garder un matelas de sécurité financier. Derrière ce trait de caractère, n’y a-t-il pas la peur de manquer ? Est-ce de la frugalité, de l’économie, ou de l’avarice ?

 

La veuve qui donne, elle, ne fait pas de réserves pour avoir l’assurance du lendemain. Elle n’a pas peur de ne pas maîtriser l’avenir. Donner c’est vivre de confiance, tout remettre à Dieu.

 

Et même si humainement elle ne peut que dire : « Demain nous mourrons », ce qui marque plus de pessimisme que de confiance, elle s’engage pourtant, elle n’est pas retenue par ce pronostic, elle donne contre toute prudence. Elle accepte de peut-être mourir demain, ce qui lui donne cette grande liberté de vivre aujourd’hui, de donner sans retenir aujourd’hui.

 

Et ce pari est gagnant. Car juste après cet épisode, son fils tombe malade, il ne respire plus. Et Élie demande au Seigneur que le souffle de l’enfant revienne, et l’enfant vit.

« La femme dit alors à Élie : Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu, et que la parole du SEIGNEUR dans ta bouche est vérité. » (1 Rois 17,24).

 

Sans attendre d’avoir la foi, sans attendre d’être sûre de ne pas mourir, la femme a donné, sans peur, ou malgré la peur, avec confiance, ou même avant d’être sûre de faire confiance. Que Dieu chasse ainsi de nous toute peur de manquer !

Abondance de Dieu

Car Dieu pourvoit. J’entends ce récit comme un témoignage. Dieu a pris soin d’Élie et de la veuve et de son fils ; il ne les a pas laissés mourir de la famine. De la même façon, Dieu prend soin de nous, il ne nous abandonne pas, il répond à nos besoins.

 

Comment le pot de farine ne s’est-il pas épuisé ? Comment la cruche d’huile ne s’est-elle pas vidée ? Nous pouvons y lire un miracle, et imaginer que cela s’est fait comme par magie. Mais en réalité le texte est silencieux, il ne dit rien à ce sujet. Nous pouvons imaginer aussi qu’un ami est passé, toujours le même en secret chaque nuit, ou bien un voyageur différent et inattendu est arrivé chaque jour pour les réalimenter, ou tout autre événement qui a pu apporter de la farine et de l’huile ou une autre nourriture de substitution. Peu importe le moyen, le résultat est là. Ils ont survécu, et n’ont jamais manqué de farine ou d’huile.

 

La générosité est créatrice, inventive, elle ouvre des possibles, elle déclenche chez les autres le meilleur, et une générosité en retour.

 

Le scénario du pire ne s’est pas réalisé. La femme a eu raison d’ouvrir sa porte, de choisir la confiance et la générosité. Elle a gagné une rencontre.

 

Nous lisons en Hébreux 13 :

« N’oubliez pas l’hospitalité, car, grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges. » (Hébreux 13,2).

 

Derrière l’entraide et la fraternité, il y a Dieu. Et Dieu est riche, et nous sommes riches de Dieu.
Aujourd’hui être riche est plutôt mal vu, en France. Les gens aisés vont dire : je ne suis pas riche, je suis de la classe moyenne. Il n’est pas question de mener une politique qui profite aux riches, en revanche la classe moyenne paraît une bonne cible. La classe moyenne n’est pas pauvre, mais elle veut plus de pouvoir d’achat, ce qui est un euphémisme pour plus d’argent.

 

Comme si personne n’estimait avoir assez ou trop. Nous ne nous voyons pas riches parce que nous nous comparons à d’autres qui ont encore plus. Et comme on a toujours un plus riche que soi, nous manquons toujours.

 

Quel contraste avec la veuve qui n’a rien, et qui est pourtant assez riche pour donner ! Quel paradoxe ! Vivre avec Dieu, c’est vivre dans l’abondance. C’est avoir assez, et même plus que le nécessaire, assez pour donner au-delà. Le cœur déborde.

 

« Je ne manquerai de rien. » (Psaume 23,1). Nous avons le fleuve d’eau vive inépuisable, qui coule du cœur du Christ. C’est le don de Dieu. Le roi, le milliardaire vit dans le manque et la peur du lendemain. Et la pauvre veuve découvre une abondance de vie qui ne se dément pas. Dans notre pauvreté nous sommes assez riches. Voilà le secret de l’estime de soi et la clé du bonheur. Dieu nous a déjà tout donné, nous sommes la famille royale, les héritiers du Royaume des cieux.

 

Dieu est le Dieu de l’abondance. Il est venu pour que nous ayons la vie en abondance (Jean 10,10). Il nous fait changer de regard sur nous mêmes, et nous découvrons que nous avons en lui un trésor. Et c’est de cette abondance reçue, débordante, que nous pouvons à notre tour, sans peur, avec confiance, être généreux, exercer l’hospitalité, accueillir l’étranger et héberger des anges.

 

Amen.

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