Tu me laves les pieds (Jean 13,1-17)

Prédication du jeudi saint 17 avril 2025.

Jésus a aimé les siens jusqu’au bout, jusqu’au but, jusqu’à la fin. Pâque est donc la fête de l’amour. De l’amour complet et total de Jésus pour nous.

 

Et l’amour dans la Bible n’est pas seulement un sentiment romantique ou une sensation physique qui nous saisit. L’amour est choisi volontairement, il se décide, et se matérialise par des actes.

 

Jésus nous a aimés jusqu’à donner sa vie.

 

Il n’est pas si simple de comprendre la mort de Jésus, de lui donner un sens. Mais c’est un signe d’amour. Jésus s’est engagé de tout son être pour nous, sans souci de lui-même.

 

Ici il réalise un autre signe d’amour : il lave les pieds de ses disciples. A ce geste, il donne deux pistes d’interprétation. Jésus nous purifie ; Jésus nous donne un exemple d’humilité. Verticalement, entre lui et chacun de nous, il nous donne la guérison ; horizontalement, pour nos relations entre nous, il nous apprend à servir.

Vous êtes purs

Premier sens donc : Jésus nous lave, nous purifie, au point qu’il peut nous annoncer : « Vous êtes purs ! »

 

Il nous lave spirituellement, il nous pardonne. C’est ce qu’il accomplit à la croix, à la Cène, en nous donnant son corps et son sang. Il nous transmet sa pureté.

 

Les pieds suffisent, grâce à la puissance contagieuse de sa pureté. D’habitude, il suffit d’une souillure pour perdre la parfaite pureté chimique. Ici, il suffit du contact de Jésus sur les pieds pour gagner cette parfaite pureté, comme si elle se propageait à tout le corps.

 

Ou encore, les pieds suffisent parce que nous sommes déjà baignés dans l’eau du baptême, qui nous a régénérés, qui a fait de nous des êtres humains neufs et sauvés en Dieu, des temples du Saint-Esprit. Nous commettons encore des péchés cependant, et sans cesse nous avons besoin de revenir à Dieu, et de boire à sa source. Nous sommes simultanément pécheurs et pardonnés.

 

Cette image des pieds sales est donc finement nuancée. Nous sommes purs parce que nous appartenons au Christ. Cette renaissance complète est symbolisé par le bain du baptême. Et en même temps, nous nous salissons les pieds, parce que nous marchons sur la terre, c’est la réalité. Nous ne sommes donc ni totalement propres, car nous aurions alors l’orgueil de nous considérer comme purs, et ni totalement sales, car ce serait nier la puissance de la grâce par laquelle nous sommes déjà sauvés. Et la partie empoussiérée est beaucoup plus petite que toutes les parties belles et pures de notre corps, et de notre être.

 

Et même ce petit détail des pieds poussiéreux, Jésus s’en occupe avec soin, jusqu’à ce que nous soyons parfaitement purs de la tête aux pieds.

 

C’est donc une vision positive, pleine d’espérance sur nous. Nous ne sommes pas parfaits, mais nous n’en sommes pas loin, au point que Jésus peut dire cette phrase merveilleuse de vérité et d’encouragement, d’estime de soi et de confiance : « Vous êtes purs. » Nous ne pouvons plus jamais douter de nous-mêmes, si nous nous souvenons que Jésus comme une esthéticienne nous offre des soins de beauté, afin de pouvoir dire, dans la perfection du détail, en nous regardant : « Vous êtes purs. »

Le bonheur, c’est servir

Pourquoi les pieds ? Les pieds sont la partie la plus basse, la plus poussiéreuse. C’est celle qui soutient tout le reste, la base, le fondement ; ce qui nous relie à la terre. C’est ce qui nous fait tenir debout et marcher. C’est cela que Jésus nettoie et essuie spécialement.

 

Et puis, pour nous laver les pieds, Jésus doit se baisser, s’humilier comme un esclave ; ce qui nous amène au second sens : un exemple de service pour révolutionner toutes nos relations.

 

Imaginez que vous, les hommes, vous laviez les pieds de votre femme ; que vous, épouses, vous laviez les pieds de votre mari. Que les professeurs enlèvent leur beau costume et essuient les pieds de leurs élèves avec une simple serviette. Que les hommes politiques en maillot de bain lavent les pieds des gens du peuple.

 

Aujourd’hui comme hier, le geste est choquant. On ne se déshabille pas, on ne s’incline pas devant les autres, on ne touche pas les pieds, tout cela est très intime et gênant.

 

Je comprends la réaction instinctive de Pierre : non, jamais, il n’en est pas question ! C’est inimaginable. Car c’est le Seigneur. Jésus est quelqu’un d’important, un maître spirituel, un VIP qu’il faut respecter, honorer. Mais non ; Jésus a une autre idée de lui-même. Jésus se dépouille de ses vêtements et parures, de tout ornement ; il vient dans sa simplicité. Il ne vient pas même à notre niveau, mais en-dessous de nous, soumis à nous.

 

Il nous enseigne qu’aimer ce n’est pas seulement se sentir bien, c’est aussi devenir serviteur de l’autre. Nous n’aimons pas être soumis. Pour nous soumettre à quelqu’un, nous devons vraiment l’aimer. Aimer au point que moi-même je n’ai plus d’importance, que mon envie de pouvoir ou mon désir de reconnaissance, ma soif d’exister n’ont plus d’importance. Tout est don tendu vers l’être aimé. L’autre passe avant. Car nous nous mettons tellement à la place de l’autre que le bonheur de l’autre fait notre bonheur. L’autre ou moi ont autant d’importance. Nous aimons notre ami comme nous-mêmes.

 

Jésus nous apprend que servir n’est pas triste. C’est s’oublier, mais certainement pas se perdre, au contraire c’est se trouver. Quand des voix nous murmurent : « Pense à toi ! Prends soin de toi ! Fais ce qui te fais plaisir ! Cherche d’abord qui tu es et épanouis-toi avant de pouvoir t’ouvrir aux autres ! » Jésus au contraire, dit : « Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. […] Si vous savez cela, heureux êtes-vous, pourvu que vous le fassiez ! »

 

Le secret du bonheur, c’est donc de laver les pieds des autres, d’apprendre la pédicure. Quoi ! Ne faudrait-il pas un sens un peu plus spirituel, moins bassement terre à terre ? Je veux bien vous laver les pieds spirituellement, sans vous toucher, sans me mouiller, sans me salir, en fait en ne faisant rien de concret.

 

Pourtant Dieu vient sur terre, il se fait nouveau-né hurlant dans le foin, humain aux pieds couverts de poussière, crucifié saignant des mains et des pieds. C’est ainsi qu’il nous aime, dans le concret un peu trivial du quotidien, sans chercher à se préserver.

 

Nous aimer les uns les autres, c’est être prêts à nous salir les mains, à faire la vaisselle, à passer l’aspirateur. Le service est une preuve d’amour, un langage pour l’exprimer par des actes simples et vrais, mieux encore que par des mots d’une langue parfois manipulatrice.
Jésus nous donne le secret du bonheur : servir.

 

Cette réponse nous déçoit peut-être. Elle va contre beaucoup de conseils de développement personnel. Nous sommes comme Naaman chef de l’armée du roi de Syrie, qui est lépreux, et qui vient voir plein d’espoir le prophète Élisée.

« Élisée envoya un messager lui dire : Va te laver sept fois dans le Jourdain ; ta chair redeviendra saine, et tu seras pur. » (2 Rois 5,10). Naaman est furieux d’un remède si banal, si peu surnaturel ou spirituel. « Mais ses serviteurs vinrent lui dirent : Si le prophète t’avait demandé quelque chose de difficile, ne l’aurais-tu pas fait ? A plus forte raison s’il te dit : ‟Lave-toi et sois pur !” » (2 Rois 5,13).

 

Comme à Naaman, Jésus nous demande une chose simple et concrète : servir. Et il nous promet que c’est le secret du bonheur. Alors ça vaut la peine d’essayer. Les serviteurs de Naaman ont raison. Il faut toujours écouter les serviteurs.

Par la grâce, par l’amour dont Jésus-Christ nous a aimés, nous sommes purs, jusqu’à nos pieds terrestres. Nous savons maintenant que l’amour se vit dans le service tout simple. Heureux sommes-nous désormais, si nous le pratiquons !

 

Amen !

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