Un commandement neuf
Premièrement, donc, la nouveauté du commandement. Dans notre liturgie, la volonté de Dieu donne souvent en résumé de la loi, le commandement d’amour. Comment cela peut-il être neuf, pour nous ?
Ici Jésus ne cite pas Lévitique 19 qui dit :
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le SEIGNEUR. » (Lévitique 19,18).
Jésus le reformule :
« Que vous vous aimiez les uns les autres ; comme je vous ai aimés, que vous aussi, vous vous aimiez les uns les autres. »
Il passe du singulier au pluriel, du prochain, c’est-à-dire le voisin, le compagnon, à la réciprocité : les uns les autres. L’idée est de créer une communauté d’amour partagé. L’amour devient beaucoup plus puissant quand nous l’échangeons, le recevant et le donnant en même temps.
Mais la plus grande nouveauté, la voici : Jésus change « comme toi-même » en « comme je vous ai aimés ». « Comme toi-même » suggère une égalité entre l’amour de soi et l’amour de l’autre. Cela ressemble à la règle d’or de l’éthique, en Matthieu 7 : « Tout ce que vous voulez que les gens fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux : c’est là la Loi et les Prophètes. » (Matthieu 7,12). Donc ne pas se croire supérieur à l’autre, penser à l’autre autant qu’à soi, se mettre à la place de l’autre : ce sont de beaux principes directeurs qui adoucissent la vie.
Mais quand Jésus dit « comme je vous ai aimés », il dit une vraie révolution.
L’amour de l’autre ne se fonde plus sur mon amour de moi-même, mais sur l’amour de Jésus. L’amour humain est immense, mais l’amour de Jésus est encore d’une toute autre envergure, il le transcende infiniment.
Jésus déclare donc : « je vous ai aimés. »
Le disciple que Jésus a aimé, qui paraît le préféré, ce n’est donc pas un seul disciple, c’est chacun, chacune. Chacun de nous peut se dire : je suis le disciple que Jésus a aimé, le disciple bien-aimé.
C’est le point de départ, comme le développe la première lettre de Jean :
« Dieu est amour ; et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. […] Pour nous, nous l’aimons, parce qu’il nous a aimés le premier. » (1 Jean 4,16.19).
Jésus nous a aimés jusqu’à donner sa vie pour nous. Il donne ce commandement neuf, comme une nouvelle alliance, entre l’annonce de la trahison de Judas et celle du reniement de Pierre. Et le premier verset du chapitre énonce :
« Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde au Père, Jésus, qui avait aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » (Jean 13,1).
Ce contexte est parfaitement cohérent avec ces mots de Jésus lui-même : « comme je vous ai aimés ». Sous-entendu : jusqu’au bout. Aimez-vous les uns les autres, jusqu’au bout, jusqu’au but, jusqu’à la fin, jusqu’à l’accomplissement, jusqu’à la perfection.
Là nous saisissons combien cet amour devient immense. Aimer de cet amour dont Jésus nous a aimés, c’est infiniment plus qu’aimer comme nous-mêmes, humainement. L’amour atteint alors cette dimension insaisissable, ce n’est plus aimer le Seigneur son Dieu et aimer son prochain, mais un seul commandement qui les unit : aimer son prochain de l’amour du Seigneur. Et ce qui est neuf, c’est que le lien au Seigneur s’inverse : non pas tu aimeras le Seigneur, mais le Seigneur t’a aimé. Et ce qui était un futur inaccompli comme une promesse devient un passé déjà accompli, une réalité. Jésus a aimé les siens jusqu’au bout, il a parachevé son amour, et l’a accompli parfaitement.