Il est venu donner sa vie (Marc 10,35-45)

Prédication du dimanche 20 octobre 2024.

Le pouvoir

Ce texte nous parle d’abord des humains, du pouvoir ; mais il révèle aussi Dieu, et Jésus.

 

« Vous savez que ceux qui paraissent gouverner les nations dominent sur elles en seigneurs, et que les grands leur font sentir leur autorité. » (Marc 10,42).

Nous aimerions que ces mots ne s’appliquent qu’au premier siècle, où la démocratie athénienne, avec toutes ses limites, avait laissé la place à l’empire romain, à la puissance des armes que subissait durement Israël occupé, asservi, colonisé.

 

Malheureusement cette pratique du pouvoir par la force reste très actuelle.

 

Et partout où le religieux parvient au pouvoir, ou même convoite le pouvoir qu’il a perdu ou qu’il n’a jamais eu, la foi est subvertie, instrumentalisée, Dieu est défiguré. Je pense à Donald Trump, mais plus encore à Vladimir Poutine, à Benyamin Netanyahou, et aux islamistes. Il y a là mille fois plus de politique que de foi. Et le pouvoir matérialiste athée du nazisme, du stalinisme, du maoïsme, a commis des crimes sans doute plus nombreux encore.

 

Alors beaucoup sont choqués en entendant que Dieu dit aux humains de conquérir ou soumettre la terre, et de dominer les animaux (Genèse 1,28). Ou encore en entendant ce mot de « Dieu tout puissant », ou Dieu puissant sur tout. Et nous lisons le slogan « Ni Dieu ni maître », comme si Dieu était semblable au maître d’un esclave.

 

Mais c’est parce que notre conception du pouvoir est très humaine.

 

 

Jésus propose presque une utopie. Il fait le rêve d’un monde où le puissant se fera serviteur, ou le premier se fera l’égal du dernier et même comme son esclave. c’est la logique totalement nouvelle du royaume des cieux.

 

Les disciples imaginent Jésus sur son trône de gloire et espèrent encore avoir les meilleures places, alors que juste avant ce passage, Jésus vient d’annoncer pour la troisième fois sa mort et sa résurrection.

 

La puissance de Dieu, la royauté du Christ, dépasse infiniment et critique radicalement, subvertit, contredit la manière humaine d’exercer le pouvoir et de régner. Une puissance dans la faiblesse et la vulnérabilité, un pouvoir qui n’écrase pas l’autre mais l’élève et le fait grandir, une puissance qui n’a rien à prouver, aucune revanche à prendre, aucun besoin de se sentir exister et être reconnu. Une puissance d’amour, une puissance pour aimer l’autre. L’amour est une grande force, mais une force de paix et de douceur. Telle est la puissance de Dieu, telle doit être aussi la puissance de l’humain sur la création, le pouvoir de faire croître et de protéger, le pouvoir de comprendre et de ressentir et d’aimer.

 

Voilà la bonne nouvelle d’un Dieu qui règne en nos cœurs sans faire de nous ses esclaves, mais qui au contraire nous rend libres.

 

L’Église elle-même est l’objet de batailles de pouvoir. La revendication de Jacques et Jean contre les dix autres apôtres pourrait bien être l’écho des rivalités dans l’Église du premier siècle ; et là encore très peu a changé.

 

C’est pourquoi le Christ, le Christ donné sur la croix doit toujours rester à la tête de l’Église. Centrée sur lui, sans cesse décentrée de nous-mêmes et recentrée sur Dieu, l’Église peut être cette organisme vivant favorisant la croissance de tous ses membres, cette communauté à son image et qui ne vit que de lui.

La transcendance

Jésus refuse que deux apôtres siègent à sa droite et à sa gauche. C’est rappeler aussi la transcendance de Dieu, sa souveraineté. Deux chapitres plus loin, Jésus cite le psaume 110 :

« David lui-même, par l’Esprit saint, a dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je mette tes ennemis sous tes pieds. »

Ainsi le Christ est Seigneur de David, il est plus haut que tous les rois, c’est lui qui siège à la droite du Seigneur Dieu.

 

Dieu est amour et se fait proche de nous, il se fait humain pour vivre à nos côtés, il n’exerce sa puissance que pour guérir, il devient notre ami, nous lui parlons et il nous répond, il se rend accessible. Il est venu habiter parmi nous, et demeurer en nous. Dieu est humain. Au point qu’il passerait presque inaperçu, et nous pourrions oublier que Dieu est Dieu. Il nous a tout donné, jusqu’au Souffle de Dieu, l’Esprit saint.

 

Il est aussi le Tout-Autre, l’absolu, l’inconnaissable. Il nous dépasse tellement.

 

N’oublions pas aussi ce sens du divin. N’oublions pas de contempler Dieu, de la vénérer, de le respecter infiniment. Ne perdons pas ce que la Bible appelle la crainte du Seigneur, c’est-à-dire prendre conscience de qui il est, ne pas toujours oser même entrevoir, ne pas pouvoir le regarder en face, être saisi par sa divinité qui nous fait nous sentir tout petits devant lui.

Si tu savais le don de Dieu

Enfin, il y a le don de Jésus. Jésus dit à Jacques et Jean cette phrase si belle : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Et juste après, dans le même chapitre, Jésus rencontre l’aveugle Bartimée et lui demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Marc 10,51).

 

Bartimée demande à voir, et Jésus le lui accorde. Jacques et Jean apparemment passent à côté de l’offre de Jésus. Par ambition ou par ignorance, ils demandent une position que Jésus doit leur refuser.

 

D’un côté, ils croient à la résurrection, dans le sens de la gloire du Christ. Et ils osent demander quelque chose à Jésus, le prier.

 

D’un autre côté, ils ne semblent pas avoir pris conscience de ce qu’implique la croix du Christ, un chemin de souffrance aussi, qui est évoqué symboliquement par une coupe, une coupe d’amertume, et par un baptême, c’est-à-dire une immersion, une noyade, la mort avant de revivre.
Jacques et Jean finissent martyrs, c’est ce que Jésus leur dit.

 

Ils ne doivent pas chercher les meilleures places dans le royaume des cieux ; cela n’a pas de sens. Jésus lui-même reste extrêmement humble en disant que cela ne lui appartient pas de décider qui sera comme son bras droit et son bras gauche. C’est le mystère du Père, sa souveraineté.

 

Pourtant Jésus leur donne une chose d’une valeur inestimable, qu’ils n’avaient pas demandée. Il leur donne sa vie. Il n’y a pas de plus grand amour. Jésus donne au-delà de ce que nous demandons ou même espérons.

 

« Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Ils ne savent pas répondre, mais voilà ce que Jésus fait pour eux : servir et donner sa vie, sa respiration, ce qui l’anime, sans compter, jusqu’à son dernier souffle.

 

Et ainsi il donne un sens à sa mort. Elle n’est plus un assassinat terriblement injuste ; elle devient un cadeau. Elle ne vient plus de la haine, mais de l’amour. Elle n’est plus subie, mais choisie librement.

 

Jésus donne sa vie en rançon. C’est une merveille. Nous étions prisonniers, et il paie le prix pour nous libérer. Nous étions esclaves, et il nous rachète à notre ancien maître ; il nous a rachetés de nos péchés auxquels nous étions asservis. En donnant sa vie pour nous, il nous délivre et nous donne une vie renouvelée, la vraie vie, la vie qui atteint une plénitude, qui prend une autre dimension.

 

Jésus s’identifie alors au serviteur souffrant. Il souffre parce qu’il est serviteur, et accomplit l’Écriture, les paroles de Dieu proclamées par le prophète Ésaïe. « Mon serviteur, le juste, apportera la justice à la multitude » (Ésaïe 53,11). Et Jésus redit : « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude. » Dans ces deux versets, nous retrouvons l’idée de service, et la multitude. Ce n’est plus seulement Jacques et Jean qui sont en jeu, qui sont les bénéficiaires. Jésus meurt et vit pour la multitude. Il paie la rançon pour libérer toute la multitude, qui n’est pas limitée en nombre, et dont nous faisons partie, nous le croyons, par la foi.

 

***

 

Pour résumer un peu différemment les choses, Jésus se révèle et révèle l’image de Dieu. Il fait entrevoir une puissance, un pouvoir, une possibilité à l’opposé de ce que pratiquent les humains de la terre. Car Dieu s’accomplit en nous servant, en nous offrant la liberté ; il nous propose la douceur et la vulnérabilité de l’amour. Jésus nous rappelle en même temps l’immensité de Dieu, qui nous dépasse toujours et purifie nos envies de grandeur. Il ne peut être qu’admiré ; sa beauté peut à peine être vue en face ; sa gloire est éblouissante. Jésus se dévoile lui-même comme serviteur souffrant qui se donne à nous, pour nous racheter et nous délivrer de tous les esclavages. Et c’est ainsi, en étant humble serviteur, qu’il est roi.

Amen.

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