Écoute, et tu aimeras (Marc 12,28-34)

Prédication du dimanche 3 novembre 2024

Il y a une petite bande dessinée de l’auteur de Snoopy avec un personnage qui dit : « Jésus-Christ est la réponse. »

 

Son ami réfléchit un moment, et dit : « Mais quelle est la question ? »

 

Quand nous prions, quand nous lisons la Bible, tout prend un autre relief quand nous venons avec un désir, un souci, une attente, une question. Il y a alors un enjeu, un besoin existentiel. Et alors le Christ peut se révéler comme réponse.

 

La question pour nous aujourd’hui, ce n’est sans doute pas celle du scribe : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Je la formulerais autrement. C’est au fond, la question éthique : « Que dois-je faire ? » « Que vais-je faire de ma vie ? Que vais-je faire pour moi, pour les autres, pour Dieu ? »

 

Pour en débattre, j’ai fait venir deux de mes amis, monsieur Engagé et monsieur Libre.

Obéir ou être libre

Monsieur Engagé :

– J’ai découvert Dieu, et il illumine ma vie. Maintenant je veux convertir mon cœur et changer toute ma manière de vivre, pour le suivre. Je veux réaliser ce que dit Marie aux serveurs des noces de Cana : « Faites tout ce qu’il vous dira. »

 

Car la Bible pour moi est la source où je puise la parole de Dieu. Je veux fonder ma vie sur l’Écriture seule. Je veux vivre en homme sauvé. C’est pourquoi je ferai tout pour mettre en pratique les commandements de Dieu, et réaliser ce qui plaît à Dieu. Il est mon père. C’est lui qui sait ce qui est le meilleur pour moi. Dieu nous a écrit un guide pour savoir comment vivre, un manuel de l’existence ; un livre de vie.

 

D’ailleurs j’ai trouvé dans les dix commandements et ailleurs à de multiples reprises le respect du shabbat, et je me demande pourquoi beaucoup de chrétiens ne le respectent pas, et ont inventé à la place le dimanche, pour lequel il n’y a pas de commandement.

 

Monsieur Libre :

– Tu as vraiment une attitude religieuse, infantile. Tu es trop littéral, et la lettre tue. Moi j’ai appris les dix commandements dès mon enfance, au catéchisme. Mais vu comment vivaient les personnes qui m’ont fait la morale, j’en ai plutôt été dégoûté. Quelle hypocrisie !

 

Jésus pense de même quand il dit aux scribes et pharisiens : « Vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et vous laissez de côté ce qui est le plus important dans la loi : la justice, la compassion et la foi » (Matthieu 23,23). Et comme il est dit par le prophète Osée :

« Car j’ai aimé la bonté, et non le sacrifice, et la connaissance de Dieu plus que les holocaustes » (Osée 6,6).

 

Et puis j’ai découvert l’évangile de la grâce. J’ai découvert que « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Marc 2,27).

 

Donc je crois que nous sommes libérés de la loi de Moïse dans l’Ancien Testament, car nous sommes entrés dans une nouvelle alliance. L’obéissance à la loi était devenu un esclavage, des chrétiens tétanisés, recroquevillés.

 

Jésus nous ramène à l’essentiel. J’ai foi en lui. Et si mes actes sont mauvais, je sais qu’il me pardonne. Je n’ai aucun mérite, mais je reçois tout de sa grâce.

Agir ou ressentir

– Toi tu es en pleine crise d’adolescence. Tu veux tuer le père parce que tu ne vois en lui que la figure de l’autorité, ou pire encore, le symbole du patriarcat.

 

Mais Dieu n’est pas un père dans ce sens-là. Il est père parce qu’il est maternel, parce qu’il est créateur, parce qu’il nous donne la vie, parce qu’il prend soin de nous, parce qu’il nous aime, parce qu’il donnerait sa vie pour nous. Quand nous sommes adultes, nous pouvons avoir une relation d’amitié et de reconnaissance envers nos parents, au-delà de l’obéissance ou de la rébellion. C’est encore un commandement : « Honore ton père et ta mère. » (Deutéronome 5,16). Honorer ce n’est pas obéir aveuglément, mais c’est aimer tendrement et faire rayonner, donner gloire.

 

Nous sommes libres et sauvés par la grâce. Mais que faisons-nous de cette liberté ? C’est là que commence la question éthique. Ce que nous appelons la loi de Moïse n’a aucune valeur légale dans notre pays ; il n’y a pas de sanction ; mais elle nous interpelle sur le mode personnel du devoir. « Tout est permis, mais tout n’est pas utile ; tout est permis, mais tout n’est pas constructif. » (1 Corinthiens 10,23). À nous de bien choisir. « Choisis la vie », conclut le Deutéronome (Deutéronome 30,19).

 

Si chacun fait ce qui lui plaît, et ne s’occupe que de son propre intérêt, c’est mauvais pour tous au final. Le vol est à première vue dans l’intérêt du voleur. Mais alors tout le monde se met à voler, le voleur est volé par un autre voleur, et tous vivent dans l’insécurité totale. Ou encore le pollueur se moque des conséquences de ses actes pour les autres. D’où la règle d’or :

« Tout ce que vous voulez que les gens fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux : c’est là la Loi et les Prophètes. » (Matthieu 7,12).

 

En fixant ces limites, la liberté de tous peut être assurée.
Aimer son prochain comme soi-même, c’est faire une brèche dans l’individualisme et l’égoïsme, et chercher le bien de tous au lieu de son propre intérêt.

 

Ainsi tu aimeras « de toute ton intelligence ».

 

– Mais tu raisonnes trop. Pour moi l’amour c’est d’abord un sentiment. Ce sentiment fonde une relation, quelque chose de plus personnel que la vie en société. C’est plus spontané que le devoir, plus léger et plus libre. Aimer son prochain, c’est un mouvement du cœur. Tu aimeras « de tout ton cœur ».

 

– Oui mais le sentiment c’est aussi trop instable, passage, fluctuant. Et si je n’éprouve plus de sentiment d’amour pour mon prochain ? Et si je ressens de la colère ou de la peur, ou du dégoût pour lui ? Le sentiment ne se commande pas.

Et Dieu, et l'Esprit-Saint

« Je serai avec toi »

Mais voici monsieur Oreille qui dit :

 

– Attendez, attendez, vous avez raison tous les deux, Jésus dit bien : « de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toute ta force ». C’est bien tout notre être, toute notre énergie de vie, tout ce que nous sommes, pas l’intelligence froide et rigide qui écrit le devoir, ni le sentiment superficiel mêlé d’envies inconscientes qui l’efface. Et c’est aussi la force, le courage de le faire vraiment.

 

– Mais comment est-ce possible alors ?

 

– Justement, l’amour ne se commande pas ; le commandement d’amour n’existe pas. Le commandement serait à l’impératif, voire un impératif catégorique, et là réapparaît vite le père fouettard imaginaire. Mais ce n’est pas un impératif, c’est un inaccompli, c’est un futur, c’est une promesse, c’est un présent à prolonger. Tu aimeras. Tu aimes / tu aimeras, comme Dieu donne son nom, je suis / je serai (Exode 3,14).

 

Et celui qui fait cette promesse, c’est Dieu, qui dit : « Je suis / je serai avec toi » (Exode 3,12).

 

« Écoute »

– Mais il y a un impératif : « Écoute ».

 

– Oui et l’écoute, je la comprends comme l’écoute de l’Esprit Saint, qui donne la souplesse à la loi. Tu disais : « Faites tout ce qu’il vous dira. » Et c’est très juste. Mais ce n’est pas forcément : « Faites tout ce qui est écrit dans la Bible. » Ce que Jésus dira, je ne le sais pas encore, ce n’est pas écrit à l’avance. « L’Esprit souffle où il veut. » Suivre le Christ, c’est une aventure, une découverte toujours nouvelle. Dieu parle, et j’essaie de l’écouter pour faire ensuite tout ce qu’il dira.

 

C’est l’Esprit Saint qui interprète et révèle les Écritures. Il me dit si cette loi ancienne est toujours d’actualité, il instille de la liberté, il fait bouger les mots trop figés.

 

Et en même temps, j’ai cet impératif exigeant : « Écoute ». Qui dit que ce n’est pas moi qui parle, pas mon intelligence ; je ne suis pas le ventriloque de Dieu. Je ne vais pas dire « Dieu m’a dit que… » pour des paroles simplement humaines. Je ne vais pas réécrire les passages de la Bible qui ne me conviennent pas, qui me dérangent, ceux qui révèlent mes péchés, un par un, un de plus que je n’avais pas vu, et alors que j’aimerais réécrire la loi ou l’effacer par l’opération du Saint-Esprit ! « Écoute » : c’est Dieu qui parle.

 

« Écoute, Israël ! Le Seigneur, notre Dieu ». Dieu me parle en tu. Il nous appelle d’un nom, Israël. Il est notre Dieu, telle est sa relation à nous. Luther dit qu’un dieu, c’est ce en quoi on met sa confiance. Ainsi beaucoup d’objets peuvent être nos dieux. Mais si le Seigneur est notre Dieu, cela signifie que nous lui donnons toute notre confiance.

 

Le prophète Samuel dit :

« Le SEIGNEUR prend-il autant plaisir aux holocaustes et aux sacrifices qu’à l’obéissance de celui qui écoute le SEIGNEUR ? Écouter vaut mieux que les sacrifices, prêter attention vaut mieux que la graisse des béliers. » (1 Samuel 15,22).

 

Donc dans l’évangile de Marc, le premier commandement est l’écoute, et l’amour en est la conséquence.

 

Cette écoute est l’espace de la relation à Dieu, de la confiance en notre Dieu, c’est-à-dire de la foi. Alors Dieu nous donne son amour, sa capacité à aimer. L’amour n’est pas une loi, et pourtant, il accomplit pleinement la loi, et bien plus que la loi. Dieu est amour.

 

Cette écoute est la substance même de l’éthique. Notre éthique n’a plus de contenu prédéfini et intangible, elle consiste à écouter l’Esprit Saint qui parle à notre cœur, et à faire ce qu’il nous dira, ce qu’il nous inspire.

 

« Sur ton cœur »

« Ces paroles […] seront sur ton cœur », dit le Deutéronome (Deutéronome 6,6). « Je serre dans mon cœur ce que tu as dit », dit le psaume 119 (Psaumes 119,11).

 

Alors Dieu parle, nous écoutons, et la parole de notre Dieu entre en nous, son amour, sa présence. Et notre cœur, et notre intelligence et notre âme et notre force et tout notre être sont transformés, convertis, renouvelés, recréés par lui. Alors nous aimons / nous aimerons, de l’amour dont Dieu nous a aimés, comme il nous a aimés.

 

Amen.

Contact