Envoie-moi (Luc 5,1-11 et Ésaïe 6,1-8)

Prédication du dimanche 9 février 2025.

Toute la nuit sans rien prendre

Quel est le point de départ, la situation initiale, pour Simon et les pêcheurs ? C’est la nuit. « Ayant peiné la nuit entière, nous n’avons rien pris. » Un travail de nuit, un travail dur, un travail long, et au final toutes ces œuvres en vain, aucun résultat. Ou plutôt même un bilan négatif, car les filets ont été salis, et il reste encore à finir de les laver.

 

Oui nos actes sont décevants, souvent ce que nous accomplissons n’est pas à la hauteur de ce que nous espérions. Souvent nous en ressortons salis, avec un goût amer pour les tensions que nous avons vécues, les paroles blessantes, les rancœurs, des relations abîmées.

 

Déception et découragement, dégoût. À quoi bon réessayer de jeter les filets ? Simon aspire peut-être déjà à un autre métier. Comment transformer le dégoût en désir nouveau ?

Mais sur ta parole

Survient Jésus qui parle, qui fait entendre, est-il écrit, « la parole de Dieu ». C’est la première fois, mais pas la dernière, que cette expression apparaît chez Luc. « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent ! » (Luc 11,28). Qu’est-ce que la parole de Dieu ?

 

D’abord remarquons qu’il n’y a pas ici de lien direct avec la lecture de la Bible. Les foules veulent entendre ce que Jésus dit, en tant que porte-parole, prophète et messager de Dieu. Et c’est cette parole prononcée par Jésus qui est en même temps parole de Dieu.

 

Selon la 1e lettre de Paul aux Thessaloniciens,

« en recevant la parole de Dieu que nous vous avons fait entendre, vous l’avez accueillie, non pas comme une parole humaine, mais comme ce qu’elle est vraiment : une parole de Dieu, qui est aussi à l’œuvre en vous qui croyez. » (1 Thessaloniciens 2,13).

La parole de Dieu est créatrice et agissante ; elle donne vie. L’écouter, c’est l’accueillir, et accueillir la puissance de vie qu’elle fait naître en nous. Quand Dieu parle, quelque chose arrive.

 

Cette parole s’étend au-dessus des eaux quand Jésus enseigne depuis la barque. Cette parole devient personnelle quand Jésus s’adresse à Simon. Et Simon entend, il est atteint, touché et dit : « Mais, sur ta parole, je jetterai les filets. »

 

Voilà que la parole de Jésus redynamise Simon contre toute sa lassitude. Il passe du découragement à la confiance, et à l’espérance. Simon pourrait hésiter à suivre le conseil d’un inconnu qui a priori ne connaît rien à la pêche. Jésus va-t-il lui apprendre son métier ? Eh bien oui, peut-être. Simon accepte d’agir sur la parole de Jésus, même sans bien comprendre à quoi ça va servir. C’est un acte de foi.

 

Et si nous aussi, là où nous avons cessé d’espérer, nous faisions cette démarche de jeter les filets, de nous en remettre à Dieu, et de voir ce qui arrivera, ce qui sera donné dans les filets ?

Avancer vers la profondeur

Jésus nous invite aussi à aller plus loin, à prendre des risques. Où en sommes-nous ? Nous sommes peut-être sur le rivage, à écouter de loin, sans nous mouiller. Ou bien avons-nous permis à Jésus de monter dans notre barque, dans notre vie, dans tout notre être ? Et si Jésus est monté dans la barque, il demande d’abord de s’écarter un peu de la rive, littéralement de « s’élever un peu loin de la terre ». Voilà déjà une première étape progressive pour nous déplacer vers un ailleurs, nous emmener à un autre lieu, quitter la terre et le terrestre. Et là déjà nous entendons mieux.

 

Quand nous continuons à écouter l’enseignement de Jésus, il poursuit par cette parole personnelle qui demande : « Avance en eau profonde ». Avance en haute mer, ou littéralement, vers la profondeur. Avance vers la profondeur de l’intelligence et du cœur, vers la profondeur spirituelle. Et c’est là que Jésus veut nous emmener, c’est là qu’après l’écoute nous passerons à la mise en action. C’est là que la pêche aura lieu, et que le miracle devient possible.

 

Quitter la sécurité du rivage et s’aventurer vers la profondeur, c’est à la fois exaltant et un peu inquiétant. La mer est plus immense que nous, nous ne pouvons la contrôler. Nous devons lâcher prise, nous décrocher de la terre, larguer les amarres. Nous perdons une sécurité, nous gagnons une liberté. Jésus nous fait aller plus loin, vers l’inexploré qui recèle une incroyable abondance dont nous ne soupçonnions pas l’existence. À nous de chercher en profondeur pour donner plus d’épaisseur et de substance à notre vie, ou plutôt à nous d’entendre l’appel de Jésus qui nous donne tout ce que nous avions renoncé à chercher, et plus encore.

Tout lâcher

Ce jour-là, Simon, Jacques et Jean ont battu tous les records de pêche. Pourtant, après cette rencontre, ils abandonnent tout. Ils quittent les barques et les poissons, parce que c’est Jésus qu’ils suivent. Ils ont trouvé ce qui faisait sens, celui qui donnait une direction à leur vie, comme une boussole.

 

Il les emmène vers un changement de vie, une nouveauté.

 

Il ne sera plus question de poissons mais d’êtres humains : ils rassembleront une multitude d’êtres humains. D’un point de vue végétarien, c’est une bonne nouvelle pour les poissons et la biodiversité. C’est aussi une bonne nouvelle pour les humains. Car le verbe employé est un mot composé du verbe chasser, pêcher, et du mot vie ; ainsi il signifie capturer vivant, prendre et laisser la vie sauve, et même ranimer, rendre à la vie. Les disciples appelés par Jésus ne vont pas faire des prisonniers à la façon dont ils encerclaient les poissons pour les capturer. Au contraire, ils vont amener à la vie un grand nombre qui formera une assemblée pour la vie, qui sera appelée Église.

 

Ekklêsia désigne en grec une assemblée, y compris au sens politique de l’assemblée nationale ; ce sera l’assemblée des croyants. Mais ekklêsia signifie étymologiquement « appelé hors de », dans l’idée d’une convocation, d’une invitation, d’une vocation.

 

Cet appel et cette vie nouvelle prend sa source dans l’expérience de la découverte, du dévoilement, de la révélation de Jésus-Christ. Simon nomme Jésus Seigneur. Face au divin, il dit : « Seigneur, éloigne-toi de moi : je suis un homme pécheur. » Il réagit comme le prophète Ésaïe : « Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures et mes yeux ont vu le roi, le SEIGNEUR de l’univers. » C’est ce vertige devant l’absolu, un abîme d’une profondeur encore plus grande que celle du lac, qui provoque cette crainte de Dieu, cette vénération, cette conscience soudaine que je ne serai jamais pur devant la parfaite sainteté de Dieu, du Dieu trois fois saint, le Seigneur de l’univers. Sa gloire remplit toute la terre !

 

Mais voilà que le séraphin purifie la bouche, les lèvres qui annonceront désormais la parole de Dieu : « Ta faute est écartée, ton péché est effacé. »

 

Ésaïe est envoyé, il reçoit sa vocation de prophète dans cette expérience mystique, dans cette intuition de la gloire de Dieu. Et il dit : « Envoie-moi ! » C’est lui qui demande à être envoyé. Quand Dieu nous envoie, il ne le fait pas comme un ordre qui nous violerait, qui nous arracherait à ce que nous sommes, qui forcerait notre liberté. Non, il nous envoie d’une parole qui répond à notre désir profond, qui nous révèle à nous-mêmes. Et être envoyé par Dieu, ce n’est pas forcément être un apôtre missionnaire dans toute la Méditerranée, c’est simplement, là où nous sommes et tels que nous sommes, réaliser que le Christ est vraiment pour nous la voie de la vie. Oui, il donne en abondance et nous comble avec une étonnante facilité, au lieu même où nous avions épuisé toutes nos forces dans la nuit spirituelle.

 

***

Seigneur, je veux t’écouter et boire tes paroles. Je veux avancer en profondeur. Je veux que tu changes mes désespoirs en espérance. Je veux quitter le superflu, pour être libre et être avec toi. Je veux que tu m’orientes toujours plus au-delà des rivages de la terre, vers toi et vers les êtres humains assemblés pour la vie.

 

Amen.

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