Égaux, équilibrés
Alors Jésus donne deux messages, et tout dépend où nous nous situons. D’un côté, les scribes (autrement dit ceux qui savent écrire, les lettrés, les intellectuels, et ceux qui connaissent les Écritures bibliques en particulier) ; de l’autre côté les foules et les disciples, les gens ordinaires. Peut-être que comme les scribes, nous avons à entendre ce message d’humilité, et accepter de nous abaisser pour devenir serviteurs. Mais peut-être que comme les foules nous pouvons entendre cet appel à nous libérer de cette idée de hiérarchie qui nous emprisonne, peut-être que nous nous sommes trop abaissés, et que Jésus vient nous relever.
L’humilité c’est la vérité. Vérité sur ce que nous sommes, ni parfaits ni nuls. Nous sommes des créatures de Dieu, créatures merveilleuses parce que nous sommes mis au monde par un père d’amour, mais en nous souvenant aussi que tout vient de lui et non pas de nous. Tout est don et grâce.
Jésus donne deux messages : « ne vous faites pas appeler maître ou guide », et « n’appelez personne père ». À l’actif et au passif : n’appelez pas, et ne soyez pas appelés ; contre les deux dérives d’excès d’orgueil et d’excès d’humilité. Celui qui appelle son frère d’un titre exagéré est aussi en faute, en fait il entretient l’orgueil de l’autre, il le flatte. Par son admiration, son adulation, son adoration, il l’idolâtre. Il fausse les rapport entre les humains.
« Vous êtes tous frères et sœurs », dit Jésus, et c’est une affirmation révolutionnaire qui bouscule toute hiérarchie de pouvoir, qui détruit aussi en nous tout sentiment de supériorité ou complexe d’infériorité. Nous pouvons entendre cette radicalité, cette inversion des rapports humains qui s’exprime aussi quand il dit : « les derniers seront les premiers ». Mais nous pouvons aussi l’entendre de façon plus douce et modérée, dans le sens d’un rééquilibrage. Qui s’élève trop sera abaissé pour être amené au juste niveau, en vérité comme être humain, frère ou sœur des autres devant Dieu notre père à tous. Et qui s’abaisse trop sera élevé pour être lui aussi placé à la position d’équilibre et d’égalité.
Dieu nous fait échapper à la dialectique qui nous faisait être soit maître soit esclave, soit dominant soit dominé, soit agresseur soit agressé, soit tyran soit victime, soit supérieur soit inférieur. Et cela change nos relations entre homme et femme, en famille, au travail, et même entre pays.
Dieu nous rend libres de ne plus dépendre d’un maître ; il nous rend adultes, de sorte que nos parents deviennent nos égaux, nos frères et sœurs en Christ. Oui, « n’appelez personne sur la terre ‟père” » est un commandement qui nous libère, nous épanouit, nous fait grandir, jusqu’à la taille adulte où nous cessons de grandir, et entrons dans un mode d’échange et de face à face, en vis à vis, en tête à tête, en dialogue et conversation. Nous ne sommes plus dans le rapport de forces, et voici que s’ouvre la paix, que fleurit l’amour. Nous ne sommes plus supérieurs ou inférieurs, nous sommes simplement ensemble.