Je bâtirai mon Église (Matthieu 16,13-20)

Prédication du dimanche 27 août 2023
Pierres

Une Église à bâtir

Mon deuxième prénom, c’est Damien. Et il m’a été donné en référence à un épisode de la vie de François d’Assise. François ressent un appel de Dieu qui lui dit : « Rebâtis mon Église qui est en ruines. » Alors François voit qu’à côté de chez lui il y a une église qui s’appelle Saint-Damien, et qui est en ruines. Il se fait maçon et charpentier, et travaille à retaper cette église.

Puis il réalise que Dieu l’appelait à rebâtir son Église dans un sens plus spirituel. Et face à la ruine morale de l’Église, François va proposer de retrouver un mode de vie plus évangélique. L’Église était riche de tous les dons des croyants ; elle devait apprendre à vivre dans la pauvreté pour tout recevoir du Père.

Ainsi nous ne sommes pas les premiers à avoir l’impression d’une Église en ruines. Cela me rassure. L’Église est toujours à construire, toujours à réformer ; et c’est l’œuvre de Dieu. Tout au long de son histoire, l’Église vit des réformes, des réveils et des renouveaux. De même, le temple de Jérusalem est sans cesse détruit (par Nabukhodonosor en -587, par les Romains en 70), sans cesse rebâti (par Salomon, par Néhémie, par Hérode le grand), sans cesse en construction, jusqu’au temple spirituel, bâti « dans le cœur de l’homme ».

Pour vous, qui suis-je ?

Jésus nous emmène ici à travers tout un itinéraire, qui mène de la connaissance du Christ à la connaissance de soi, jusqu’à l’abandon au Père et à la fondation de l’Église du Christ.

Pour vous, qui suis-je ? demande Jésus.

Des réponses sont données, des réponses humaines qui l’identifient à des prophètes. Aujourd’hui, Jésus peut être apprécié par ses paroles ou par ses actes. Des paroles qui ne condamnent pas, qui font vivre, une philosophie non-violente, inclusive, égalitaire, étonnamment moderne, une foi simultanément fidèle au judaïsme, et lucide et critique sur les abus des religieux de son temps. Des actes qui font du bien, car Jésus guérit, il prend soin des gens, des plus pauvres, des malades : c’est la solidarité en pratique, un modèle qui peut nous inspirer. Jésus a eu aussi la cohérence de porter son message jusqu’au bout, jusqu’à la mort en martyr.

Jésus est tout cela, mais je crois qu’il est encore bien plus qu’un homme admirable, un personnage historique marquant et qui nous inspire encore.

Jésus insiste et repose la question différemment de la première fois : Pour vous, qui suis-je ?

Jésus demande d’aller plus loin que ces réponses objectives, rationnelles, logiques, universelles. Il demande une réponse personnelle de chacun, subjective forcément, et où nous nous engageons. Il désire que nous allions plus loin que la répétition de ce que d’autres ont dit.

Il est le Christ, le Fils du Dieu vivant. Nous croyons qu’il est homme et Dieu. On pourrait dire, un homme tellement rempli de Dieu qu’il fait un avec lui. Un homme qui porte en lui la totalité de Dieu. Un Dieu qui s’est fait totalement présent à l’homme, qui s’est fait homme. Un homme et Dieu ensemble.

Quelques analogies : dans l’Ancien Testament, Dieu fait la promesse : « Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. » Nous sommes appelés à cette relation très étroite entre Dieu et le peuple. Nous en lui et lui en nous, comme écrit Jean. Et ce n’est pas moi tout seul avec Dieu, c’est une communauté avec Dieu, un peuple, une Église. Ainsi je suis en lien avec mes frères et sœurs en même temps que je suis en lien avec Dieu.

Et puis c’est l’image des noces de l’Agneau. Le Christ épouse l’Église, voilà jusqu’où va cette intimité, jusqu’à l’union. Car c’est de l’amour qui nous unit, sans fusionner, en gardant notre identité et nos différences, mais dans l’unité.

Dieu s’est fait homme par empathie, pour pouvoir connaître tout ce que nous vivons, et pour pouvoir s’unir parfaitement à nous, lui en nous et nous en lui, Dieu dans l’humain et l’humain en Dieu.

Puisque Dieu est uni à l’être humain en Jésus, alors Jésus est bien plus qu’un prophète.

Puisque Dieu est le Dieu vivant, il agit aujourd’hui dans nos vies. Un Dieu mort, ce serait par exemple un grand horloger qui aurait mis le monde en mouvement perpétuel, et qui serait mort, et le monde aurait continué à évoluer sans lui après la mort du créateur. Un Dieu abstrait et théorique, un Dieu philosophique, un Dieu dont on est seulement convaincu qu’il existe, peut être un Dieu mort, un Dieu avec lequel nous n’avons aucun contact, aucune prière, aucune louange, une foi morte pour un Dieu désincarné. Mais le Dieu vivant est créateur aujourd’hui, c’est le Dieu qui donne une descendance à Abraham et Sara qui restaient figés dans la tristesse de la stérilité, c’est le Dieu qui fait sortir d’Égypte et qui libère de tous les esclavages, et qui donne une loi juste pour vivre heureux ensemble. Le Dieu vivant est le Dieu qui agit dans l’histoire et donc dans le présent, et pour l’avenir.

Heureux es-tu

Puisque l’amour est impliqué, le lien est forcément personnel. Pierre répond, et Pierre se fait souvent le porte-parole des disciples, mais c’est une réponse personnelle. Et c’est peut être la raison pour laquelle Jésus répond pour Pierre personnellement, en le singularisant, par pour le groupe des disciples.

Non que Pierre soit meilleur que les autres ; il est comme les autres un pécheur pardonné, mais à ce moment-là, c’est à Pierre que Jésus s’adresse, et cela n’enlève rien aux autres.

Initialement il n’est pas Pierre ; il a un nom, Simon. Il est appelé fils de Jonas. Et un fils ressemble à son père, un fils est même à l’image de son père. Jésus est fils de l’humain et fils du Dieu vivant ; autrement dit il est humain et Dieu vivant, dans toute l’étonnante alliance de cette double identité. Pierre est fils de Jonas. Comment ne pas penser au magnifique spectacle de Jonas que vous avez préparé cette année ? Alors être fils de Jonas, ce n’est pas un compliment. Jonas est le prophète qui tergiverse, qui fuit, qui part à l’opposé du chemin demandé, qui regrette aussi que Dieu n’ait pas accompli sa prophétie, même si cela voulait dire détruire toute une ville. Pierre est ainsi, de temps en temps, il renie Jésus, et même juste après la magnifique confession de foi que nous avons lue, Jésus l’appelle Satan parce qu’il refuse sa souffrance, sa mort et sa résurrection. Et d’un autre côté, Jonas est un prophète, il convertit toute la ville de Ninive, comme Pierre est un grand apôtre, qui joue un rôle important dans le livre des Actes et les premiers temps de l’Église.

Et Jésus redéfinit le fils de Jonas en Pierre, en roc solide. Il lui donne une nouvelle identité. Et nous aussi, nous pouvons recevoir de Dieu ce surnom de Pierre. Nous pouvons nous identifier à Pierre. Nous sommes Pierre. À chacun de nous, Dieu peut dire : « Tu es Pierre ». Et nous savons que cela ne veut pas dire être parfait, mais être malgré tout choisi par Dieu, pour une révélation, pour une bénédiction, et pour une mission.

La révélation, c’est de découvrir que Jésus est le Christ, le fils du Dieu vivant. Et cela ne vient pas de l’intelligence ou de la réflexion de Pierre, c’est un don de Dieu. Le don de la foi, mais aussi le don de compréhension, d’intuition, de connaissance de Dieu, pour que la foi ne soit pas vide. Sinon, beaucoup de fanatiques ont la foi, des convictions fortes et authentiques, ce qui ne les empêche pas d’être dans un contresens total. À nous de placer notre foi dans le Dieu vivant et non dans des idoles, dans des idéologies, dans les représentations que nous nous sommes faites. Mais pour cela, simplement, c’est Dieu qui vient nous visiter, et nous dire qui il est.

Alors « Heureux es-tu », dit Jésus, si le Père t’a révélé ceci, si tu connais Dieu. C’est une grâce pure, une bénédiction, et une source de joie immense, le vrai bonheur.

Et puis Jésus semble donner une mission à Pierre. Mais là encore, tout vient de Dieu, c’est Jésus qui fait tout. « Je bâtirai mon Église ». L’Église du Christ, bâtie par le Christ. Pierre a un rôle tout à fait important, et il n’y a pas de raison de le minimiser. Mais si l’Église n’était bâtie que par Pierre, ce ne serait que l’Église de Pierre. Si elle est bâtie par le Christ, c’est l’Église du Christ.

Édifice de pierres

Un temple spirituel

Ici on peut s’étonner de voir l’Église apparaître pour la première fois dans l’évangile. N’est-ce pas anachronique, de parler déjà de l’Église avant la résurrection du Christ ? Est-ce que ce ne serait pas une projection rétrospective au moment où l’évangile de Matthieu est écrit, où l’Église existe effectivement ?

En fait Église, ekklésia en grec, vient du verbe appeler, convoquer, et signifie l’assemblée. Ce mot est largement utilisé déjà dans l’Ancien Testament pour parler de l’assemblée des fils d’Israël, du peuple de Dieu. Et puis, dans l’attente messianique, le Messie est accompagné d’une communauté, le reste d’Israël. Et « Christ » est le mot grec qui équivaut à « Messie » en hébreu. Alors quand Pierre dit à Jésus : « Tu es le Messie », il est logique de parler ensuite de la communauté messianique, autrement dit l’Église.

Donc l’Église naît de la confession de foi, de la connaissance de Jésus comme Messie et fils du Dieu vivant. L’Église est messianique, elle doit être toujours centrée sur le Messie, Jésus-Christ. C’est lui qui la construit, comme un temple spirituel, la demeure de Dieu. C’est lui qui nous édifie et nous fait grandir en un bel édifice. Nous sommes des pierres vivantes.

Et l’Église a besoin d’une fondation de roc. Vous connaissez l’histoire de l’homme qui a bâti sa maison sur le roc (Matthieu 7,24-27) ? Alors elle résiste aux tempêtes et aux inondations. Cela nous encourage à bâtir notre vie sur le roc de la parole de Dieu, sur ses enseignements et sur Dieu lui-même. Mais ici l’image est renversée : c’est Jésus le bâtisseur, et nous devenons le roc. Car il ne s’agit plus de construire notre maison, mais la maison de Dieu. Nous devenons pierre et roc quand nous nous soumettons au travail de Dieu sur nous, quand nous devenons matériau pour lui, quand nous lui offrons nos mains, nos jambes, notre bouche et notre intelligence et tous nos talents, pour qu’il puisse en s’appuyant sur nous bâtir son Église, son assemblée, son temple.

Antoine de Saint-Exupéry écrit dans Citadelle :

« Je n’irai point te remuer un tas de pierres pour y trouver le secret des méditations. Car la méditation ne signifie rien à l’étage des pierres. Il faut que ce soit un temple. Alors me voilà changé de cœur. Et je m’irai, réfléchissant sur la vertu des relations entre les pierres… […] Que d’abord j’éprouve l’amour. Que je contemple l’unité. J’irai ensuite méditant les matériaux et les assemblages. […] Je sais formuler quelque chose sur les cathédrales bâties, mais elle me bâtissait les cathédrales… » (p.422-424).

Nous pouvons être de simples pierres qui n’ont pas de sens. Mais si Dieu nous bâtit, nous devenons un temple qu’il remplit de la nuée de la gloire de sa présence, une demeure qu’il habite. Ne savez-vous pas que vous êtes le sanctuaire de l’Esprit ? Voilà ce que nous devenons quand Dieu se révèle à nous. Viens Seigneur Jésus.

Amen.

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