La prière comme grâce
Oui par la puissance de la prière constante, Dieu nous entend et nous exaucera bien vite. Nous prions pour des choses justes, et Dieu le reconnaît. Je crois que Dieu dans sa bonté accepte de se laisser influencer par nous ; il ne reste pas insensible à nos cris ; dans sa compassion il est touché et il agit. Dans la prière, nous lui parlons et il nous écoute, et nous répond.
Il nous répond parce que c’est justice. Dieu est un justicier, il établit la justice. Voici l’évangile, la bonne nouvelle de la justice de Dieu, qui se dresse contre toutes les injustices et rétablit le monde. « Le juste par la foi vivra. » (Romains 1,17).
Mais attention, Dieu est-il vraiment un juge ? Nous pourrions le croire à la lecture de la parabole, de la comparaison qui est faite. Mais le texte ne dit pas cela. Dieu n’est pas assimilé au juge inique. De nombreux indices discordants empêchent de les identifier : Dieu n’est pas injuste, il a des égards pour les gens. « Un juge qui ne craignait pas Dieu » : voilà que ce juge est même tout l’opposé de Dieu ! Et si vite nous nous représentons Dieu comme un juge terrible, le marteau à la main, dans un fauteuil majestueux en position dominante. Ce Dieu juge est imaginaire.
Saisissons bien la logique. C’est un raisonnement a fortiori. Dieu n’est pas le juge injuste. Mais si même une parodie de juge indigne et tout à l’opposé de Dieu finit par céder à un petit bout de femme volontaire, déterminée, combative, alors à plus forte raison Dieu entendra et agira.
Dieu a une autre raison, encore meilleure que la justice et l’insistance de nous donner ce que nous demandons, c’est qu’il nous aime. Quand l’amour et la justice convergent, alors Dieu ne veut que nous exaucer. Dieu ne se sentira jamais harcelé par notre insistance, au contraire ! Les cris sont des prières, comme les psaumes, ou comme les appels des Hébreux esclaves :
« Et le Seigneur dit : J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs ; oui, je connais ses angoisses. Je suis descendu pour le délivrer […] » (Exode 3,7-8).
Prier, c’est se tourner avec confiance vers lui, demander ce qui est juste, et découvrir son amour. Nous sommes « ses élus », dit l’évangile (verset 7), ceux qu’il choisit. Autrement dit, toi aussi tu es son ou sa préférée.
Dieu n’est pas un juge au sens où nous l’imaginons ; pas un juge mais un père affectueux et attentionné, notre vrai Père. La prière donc ne se résume pas à un combat, même si le cœur à cœur prend parfois la forme d’un corps à corps, comme la lutte de Jacob avec l’ange ou l’homme ou Dieu, avec lui-même. Et cette lutte le fait devenir un être transformé ; il portera désormais le nom d’Israël, celui qui se roule dans la poussière avec Dieu ; et alors il pourra se réconcilier avec Ésaü et trouver enfin en lui le frère qu’il n’avait jamais été.
La prière est vitale, mais au-delà du combat, c’est une grâce. Dieu nous donne une nouvelle identité, un avenir inédit. Il faut prier, ou plutôt Dieu nous fait un cadeau immense : nous pouvons lui parler, et il nous écoute, nous entend réellement, nous répond.
Trop souvent pour moi, cette nécessité « il faut prier » devient un impératif, un devoir terrible, et je deviens mon juge et j’énonce l’accusation : « je ne prie pas assez ». Oui, car prier toujours et sans cesse, qui peut atteindre cet idéal ? Et la prière qui devrait être une joie devient un motif de mauvaise conscience, de culpabilisation. Or les commandements doivent être des paroles de vie. La prière n’est pas une obligation mais une grâce, pas un effort mais un bonheur.
À moi de laisser Dieu être mon juge, un juge qui a un terrible conflit d’intérêts parce qu’il m’aime. Un juge bien moins sévère que je ne le serais moi-même à mon égard. Un juge qui ne condamne pas mais qui justifie et acquitte. Il efface les ardoises et vide les casiers judiciaires. Il annonce aux prisonniers la délivrance, aux captifs la liberté. Dieu est un juge anti-juge. À moi de ne pas juger les autres ni moi-même, et de lui laisser le soin de nous gracier, selon l’étonnante justice du ciel.