Joie de la prière (Luc 18,1-8 et Exode 17,8-13)

Prédication du dimanche 19 octobre au Chambon-sur-Lignon

D’après la deuxième lettre de Pierre : « Or nous attendons, selon sa promesse, des cieux nouveaux et une terre nouvelle, où la justice habite. » (2 Pierre 3,13).

 

Nous attendons la justice. Nous attendons que notre adversaire, la source du mal, soit vaincu et jugé. Et face à toutes les injustices, le temps paraît long. Mais Dieu promet cette nouvelle terre de justice.

 

Nous cherchons la justice (I). Dieu nous invite à lutter dans la prière (II). Il nous donne la prière et la justice comme une grâce (III).

Cri pour la justice, promesse de joie

Parfois la vie nous semble dure et lourde à porter. Nous sommes accablés par nos propres soucis, blessures, pertes, limites, faiblesses ; ou par ceux des autres, ceux que nous aimons, nos enfants, nos familles, nos frères et sœurs dans la foi, et ceux que nous aimons moins. Souvent la misère des autres nous fait fuir, nous ne nous sentons pas la force de les aider.

 

Voici une veuve. Un seul mot pour suggérer avec une grande pudeur et discrétion, un effacement de soi, toute une histoire douloureuse. Cette femme connaît le deuil, depuis la mort de son mari. Elle vit dans une certaine solitude, et sans doute dans une grande précarité, avec peu de moyens financiers. Elle est vulnérable. Et voilà que s’ajoute un adversaire qui commet une injustice contre elle. Le conflit s’envenime au point qu’elle doit lui faire un procès. Mais le juge lui-même est injuste et ne veut rien entendre.

 

Dans des situations aussi dramatiques, qui ne sont hélas pas rares, que faire ?

 

Nous, nous avons notre Dieu, et nous savons qu’il est juste. Alors nous pouvons prier. J’aimerais avoir toujours ce réflexe, quand tout semble aller mal pour moi, de venir à Dieu, lui parler. Au lieu de me lamenter dans la tristesse, l’inquiétude, l’énervement, penser à Dieu et transformer tout cela en prière, sous son regard.

« Je changerai leur deuil en allégresse, et je les consolerai ; Je leur donnerai de la joie après leurs chagrins. » (Jérémie 31,13).

Jésus dit après avoir annoncé qu’il s’en va :

« vous, vous serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie. […] Demandez et vous recevrez, pour que votre joie soit complète. » (Jean 16,20.24).

Prière et joie sont donc associées. Prier c’est le secret de la joie, prier même et surtout quand tout va mal et que nous n’avons plus envie de rien.

Prier avec force

« Soyez toujours joyeux. Priez sans cesse. Rendez grâces en toutes choses, car c’est à votre égard la volonté de Dieu en Jésus-Christ. » (1 Thessaloniciens 5,16-18).

Heureux sommes-nous, si nous faisons cela ! Toujours prier, quand j’ai une décision à prendre. Prier quand je suis heureux, pour louer et remercier Dieu ; prier dans les jours sombres, pour ne pas me noyer, l’appeler au secours. Prier quand je suis fort, prier quand je suis faible. Prier quand je n’ai pas le temps, ou pas la tête à ça – faire une pause dans l’Esprit saint c’est respirer, se recentrer et gagner du temps. Prier quand la prière m’énerve – et Dieu me détendra sur ses prés d’herbe fraîche. Heureux celui qui prie !

 

C’est pourquoi le premier verset de Luc 18 propose la morale de la parabole, un conseil, une invitation : « il faut toujours prier, sans se lasser. » Une nécessité vitale.

 

Il faut prier, mais ce n’est pas facile. La veuve insiste et persévère, alors même que rien ne change et que sa demande semble ne pas être entendue. C’est un combat. La prière est comparée à une bataille au tribunal.

 

Et dans l’Exode, la guerre entre Israël et Amaleq nous donne une puissante image de la prière. Au plus intense de la guerre, et pendant toute sa durée, Moïse ne prend pas les armes de la violence, mais debout au sommet de la colline, il élève ses mains vers le ciel, vers Dieu.

 

Ses mains se font lourdes, car cette prière est physique aussi, épuisante. Alors il trouve son frère, Aaron, et un frère spirituel, Hour, pour l’épauler. Voilà une piste à ne pas négliger : si je n’arrive plus à prier seul, je suis soutenu par la prière des sœurs et frères en Église. Je suis porté par eux, par vous.
Donc une incitation à l’action courageuse et musclée de prier.

La prière comme grâce

Oui par la puissance de la prière constante, Dieu nous entend et nous exaucera bien vite. Nous prions pour des choses justes, et Dieu le reconnaît. Je crois que Dieu dans sa bonté accepte de se laisser influencer par nous ; il ne reste pas insensible à nos cris ; dans sa compassion il est touché et il agit. Dans la prière, nous lui parlons et il nous écoute, et nous répond.

 

Il nous répond parce que c’est justice. Dieu est un justicier, il établit la justice. Voici l’évangile, la bonne nouvelle de la justice de Dieu, qui se dresse contre toutes les injustices et rétablit le monde. « Le juste par la foi vivra. » (Romains 1,17).

 

Mais attention, Dieu est-il vraiment un juge ? Nous pourrions le croire à la lecture de la parabole, de la comparaison qui est faite. Mais le texte ne dit pas cela. Dieu n’est pas assimilé au juge inique. De nombreux indices discordants empêchent de les identifier : Dieu n’est pas injuste, il a des égards pour les gens. « Un juge qui ne craignait pas Dieu » : voilà que ce juge est même tout l’opposé de Dieu ! Et si vite nous nous représentons Dieu comme un juge terrible, le marteau à la main, dans un fauteuil majestueux en position dominante. Ce Dieu juge est imaginaire.

 

Saisissons bien la logique. C’est un raisonnement a fortiori. Dieu n’est pas le juge injuste. Mais si même une parodie de juge indigne et tout à l’opposé de Dieu finit par céder à un petit bout de femme volontaire, déterminée, combative, alors à plus forte raison Dieu entendra et agira.

 

Dieu a une autre raison, encore meilleure que la justice et l’insistance de nous donner ce que nous demandons, c’est qu’il nous aime. Quand l’amour et la justice convergent, alors Dieu ne veut que nous exaucer. Dieu ne se sentira jamais harcelé par notre insistance, au contraire ! Les cris sont des prières, comme les psaumes, ou comme les appels des Hébreux esclaves :

« Et le Seigneur dit : J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs ; oui, je connais ses angoisses. Je suis descendu pour le délivrer […] » (Exode 3,7-8).

Prier, c’est se tourner avec confiance vers lui, demander ce qui est juste, et découvrir son amour. Nous sommes « ses élus », dit l’évangile (verset 7), ceux qu’il choisit. Autrement dit, toi aussi tu es son ou sa préférée.

 

Dieu n’est pas un juge au sens où nous l’imaginons ; pas un juge mais un père affectueux et attentionné, notre vrai Père. La prière donc ne se résume pas à un combat, même si le cœur à cœur prend parfois la forme d’un corps à corps, comme la lutte de Jacob avec l’ange ou l’homme ou Dieu, avec lui-même. Et cette lutte le fait devenir un être transformé ; il portera désormais le nom d’Israël, celui qui se roule dans la poussière avec Dieu ; et alors il pourra se réconcilier avec Ésaü et trouver enfin en lui le frère qu’il n’avait jamais été.

 

La prière est vitale, mais au-delà du combat, c’est une grâce. Dieu nous donne une nouvelle identité, un avenir inédit. Il faut prier, ou plutôt Dieu nous fait un cadeau immense : nous pouvons lui parler, et il nous écoute, nous entend réellement, nous répond.

Trop souvent pour moi, cette nécessité « il faut prier » devient un impératif, un devoir terrible, et je deviens mon juge et j’énonce l’accusation : « je ne prie pas assez ». Oui, car prier toujours et sans cesse, qui peut atteindre cet idéal ? Et la prière qui devrait être une joie devient un motif de mauvaise conscience, de culpabilisation. Or les commandements doivent être des paroles de vie. La prière n’est pas une obligation mais une grâce, pas un effort mais un bonheur.

À moi de laisser Dieu être mon juge, un juge qui a un terrible conflit d’intérêts parce qu’il m’aime. Un juge bien moins sévère que je ne le serais moi-même à mon égard. Un juge qui ne condamne pas mais qui justifie et acquitte. Il efface les ardoises et vide les casiers judiciaires. Il annonce aux prisonniers la délivrance, aux captifs la liberté. Dieu est un juge anti-juge. À moi de ne pas juger les autres ni moi-même, et de lui laisser le soin de nous gracier, selon l’étonnante justice du ciel.

Pour prier sans cesse, et même dans les pires situations, il faut du courage, de la persévérance, mais c’est aussi une grande joie, une force surhumaine que nous recevons de Dieu. Nous puisons en lui le réconfort, comme une fontaine intarissable où la lumière à travers les gouttelettes dessine des arc-en-ciels. La foi sera sur la terre, la confiance inébranlable, car le Seigneur est fidèle. C’est en goûtant sa présence, en y demeurant, et par lui seul que nous acquérons la puissance de prier, de durer, de lutter, de persévérer, de vivre, à la fois avec force et dans la pure légèreté de la grâce.

 

En prière, nous parlerons à notre Dieu père avec assurance, réjouis à l’avance de la terre de justice qu’il nous prépare. L’attente sera remplie d’espérance.

 

Amen !

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