La grâce (Jean 3,14-21 et Éphésiens 2,4-10)

Prédication du dimanche 10 mars 2024
Plume

L'aurore

« Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, que tout est saccagé, que la ville brûle, que les innocents s’entretuent, cela porte un très beau nom, cela s’appelle l’aurore : un autre nom pour la grâce ! »

C’est ainsi que le pasteur Jacques Gradt commence son commentaire dans Parole pour tous.

 

La grâce de Dieu survient justement dans les situations les plus désespérées. Et alors c’est un bijou précieux, comme un diamant qui scintille, comme un étoile étincelante, la lumière brille dans les ténèbres. Dieu apparaît. Nous savourons le goût de cet instant avec Dieu, nous le dégustons, car nous sommes à jeun, nous avons éprouvé la faim. Alors quand il vient, c’est délicieux.

 

La grâce, qu’est-ce que c’est ? Beaucoup de choses, mais peut-être trois principales :

  • c’est premièrement la gratuité, un don de Dieu ;
  • c’est deuxièmement être gracié, pardonné par Dieu ;
  • et par-dessus tout, Dieu ajoute la beauté, la légèreté, le charme, qui font de cette grâce un moment de bonheur.

 

Ayant reçu la grâce, nous nous sentons légers, libérés. La joie nous saisit. L’euphorie, l’allégresse. Vivre de la grâce de Dieu, quel bon programme ! Nous vivons autrement, ça change la vie ! Dieu nous donne ce dont nous avons besoin. Dieu gère la situation, alors qu’est-ce qui pourrait mal aller ? Disparues nos inquiétudes, nos tristesses. Dieu comble notre cœur.

 

Nous lui faisons simplement confiance, pour tout. Cette confiance s’appelle la foi.

 

Avant d’apprendre le grec biblique, j’ai appris du grec classique au lycée. Je connaissais le mot confiance en grec : pistis. Et j’ai découvert que sans le savoir, j’avais appris aussi le mot foi, parce que c’est le même mot, pistis. Donc les traductions ont choisi de mettre du vocabulaire religieux en disant foi, alors que c’est quelque chose de quotidien et familier, la confiance. Nous ne savons pas toujours ce qu’est la foi, mais nous connaissons bien la confiance avec les personnes de notre entourage, famille et amis. Eh bien la foi, c’est pareil, c’est faire confiance à Dieu comme à un ami, un conjoint, un père ou une mère, ou toute personne en qui nous avons confiance.

 

Les textes d’aujourd’hui parlent tous de cette grâce au cœur de la foi. L’évangile, l’heureuse nouvelle annoncée, proclamée, est résumé là. Aujourd’hui nous sommes invités à nous rappeler ce qui nous fonde : l’amour de Dieu. C’est beau pour une assemblée générale de nous rappeler ce pourquoi nous sommes là.

L'anéantissement

Dans cette fin du second livre des Chroniques, tout est dévasté. Le royaume d’Israël avait disparu sous les Assyriens, le royaume de Juda est conquis à son tour par les Babyloniens, et leur roi Nabukhodonosor. Le temple de Salomon est détruit. La terre promise est perdue. La dynastie des rois s’éteint. Le peuple est déporté à Babylone.

 

Là pourtant, une attente commence, 70 ans. Au cœur de la désolation, naît l’espérance. Cyrus roi de Perse prend Babylone et libère le peuple juif. La maison de Dieu n’est pas perdue. Esdras et Néhémie vont conduire le retour d’exil et construire le second temple de Jérusalem. Et plus tard, Dieu enverra un Messie, un roi, un fils de la maison de David, et il régnera pour toujours.

 

Cette survie, Israël ne la doit pas à ses mérites, ni à la force des armes. Israël est toujours anéanti, un peuple minuscule entre les grandes puissances, Égypte, Assyrie, Babylone, Perse, Grèce, Rome. L’attestation archéologique la plus ancienne du nom d’Israël serait la stèle de victoire du pharaon Mérenptah, qui affirme : « Israël est détruit, sa semence même n’est plus. » Au XIIIe siècle avant Jésus-Christ, Israël entre dans l’histoire en disparaissant.

 

Initialement nous ne sommes rien. La survie ne peut venir que de Dieu, par pure grâce. Nous ne sommes d’abord rien. Nous devenons quelque chose que parce que Dieu nous crée, embryon, fœtus, nouveau-né, enfant, adulte. Sans cesse le péché nous fait mourir, et inlassablement Dieu nous recrée, nous relève.

La chlorophylle

Les deux autres textes offrent des résumés théologiques. La lettre aux Éphésiens déclare :

« C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés au moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. »

Et le célèbre verset de Jean 3,16 :

« Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle. »

 

Au-delà de ces formules, quel est l’essentiel ? Nous trouvons chez Jean comme dans la lettre aux Éphésiens la même chose : au centre est Dieu qui aime. Devant lui en retour nous lui redonnons notre confiance, notre foi, qui permet l’alliance. Dieu nous sauve gratuitement, nous donne en abondance la vie. Enfin Dieu nous rend capables de répondre par des œuvres qui manifestent en actes que Dieu a fait de nous des êtres nouveaux.

 

Ce résumé de la foi ne doit pas être une simple construction intellectuelle, mais une proclamation, un cri du cœur, ce qui nous fait vivre et vibrer. Nous voulons choisir Dieu, choisir de lui donner notre confiance. Il faut retrouver le sens de cette grâce. Dieu donne son fils pour nous sauver. De quoi ? De la pesanteur qui nous plombe, de la honte que nous portons, de la dureté de la vie qui nous brise, des chocs que nous prenons en pleine figure, des sales coups et de tout ce qui nous révolte et nous désespère.

 

Nous ne sommes pas toujours fiers de ce que nous avons fait. On dit parfois : « Je ne regrette rien. Je referais pareil. » On cherche à se convaincre soi-même, à se consoler, mais on n’y arrive pas très bien.
Dieu console, Dieu soigne, il prend soin de nous, Dieu répare, il nous pardonne. Dieu apaise. Dieu est toujours le sujet : Dieu aime, donne, sauve et fait vivre. Un amour qui donne la vie. C’est l’évangile de la grâce, la bonne nouvelle de Jésus-Christ.

 

La philosophe mystique Simone Weil écrit :

« Tous les mouvements naturels de l’âme sont régis par des lois analogues à celles de la pesanteur matérielle. La grâce seule fait exception. […] Deux forces règnent sur l’univers : lumière et pesanteur. […] La création est faite du mouvement descendant de la pesanteur, du mouvement ascendant de la grâce et du mouvement descendant de la grâce à la deuxième puissance. »1

Elle a encore une belle image : notre lumière, notre source d’énergie est à l’extérieur de nous. Soyons « une chlorophylle permettant de se nourrir de lumière »2.

 

Seigneur, tu es la lumière de notre vie. Nourris-nous, éclaire-nous.

 

Amen.

1 Simone Weil, La pesanteur et la grâce, Librairie Plon, 1947 (Pocket, 2009, pp. 41, 45).

2 Ibid, p. 44.

 

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