La vérité vous rendra libres (Jean 8,31-36)

Prédication du dimanche 29 octobre 2023 : culte de la Réformation
Arbre dans une forêt de Nouvelle-Zélande

Connaître la vérité… Devenir libre… C’est un beau programme !
Ce texte me semble assez peu connu, et plutôt abstrait et mystérieux. Pourtant il croise des thèmes essentiels : la vérité, la liberté, et l’idée de devenir disciple. Je vous convie donc à un itinéraire où nous les rencontrerons successivement.

Vous connaîtrez la vérité

La vérité est un thème important chez Jean, entre Pilate qui demande : « Qu’est-ce que la vérité ? » et Jésus qui affirme : « Moi je suis le chemin, la vérité, la vie. »

 

Aujourd’hui on se méfie de la vérité, d’une affirmation trop exclusive d’une vérité unique. Car nous nous sommes tellement battus, et encore aujourd’hui des nations se font la guerre, au nom de ce que nous croyons être la vérité. La vérité devient certitude puis idéologie à imposer aux autres. Je me souviens d’avoir été choqué, en classe de terminale, par ma professeure de philosophie, qui rejetait le caractère unique de la vérité.

 

Certes il y a des vérités sur différents sujets, sur différentes facettes du même sujet, et en sciences humaines les choses sont rarement toutes noires ou toutes blanches, c’est beaucoup plus nuancé. Alors la dialectique permet d’équilibrer chaque affirmation en explorant les limites de sa validité.

 

Et puis nous abordons chacun, chacune la vérité avec ce que nous sommes. Souvent, la vérité qui nous importe, ce n’est pas de grandes idées abstraites, c’est ce que nous avons vécu, expérimenté. Par exemple, la vérité sur l’homme ou sur la femme dépendra de ce que nous avons connu avec des femmes et des hommes concrets. Cette vérité est subjective comme un témoignage. Je trouve malheureuse l’expression de « ma vérité » ou « ta vérité », comme si chacun vivait dans sa bulle et n’avait pas besoin de partager une vision du monde commune. Mais je peux la comprendre en la reformulant comme « la vérité de ma vie », « la vérité que je connais ».

 

Nous ne possédons pas la vérité, nous la cherchons, nous marchons vers elle. C’est ainsi que nous pouvons avoir l’humilité d’écouter ce que l’autre a à nous dire, et à nous apprendre, la vérité qu’il a lui aussi commencé à connaître, et que nous n’avons pas fini de découvrir. Alors nous dialoguons en vérité.

De quelle vérité parle Jésus ? Nous nous égarons un peu en y cherchant un discours philosophique, alors que Jésus parle au niveau théologique. Il annonce une vérité spirituelle. Non pas d’abord la vérité pour rectifier les petits mensonges des relations humaines, de la politique et de la propagande. Mais d’abord la vérité de Dieu. La manifestation de sa réalité divine. La parole qui dit et qui montre qui est Dieu. Dieu se révèle. « Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. » Nous pourrions dire « Vous connaîtrez Dieu, et Dieu vous rendra libres. »

 

Et quatre versets plus loin Jésus reformule : « Le Fils vous rend libres. » Ainsi la vérité, c’est bien Jésus, qui a dit : « Moi je suis le chemin, la vérité, la vie. » La vérité rend libre parce que Jésus rend libre. En quoi Jésus est-il la vérité ? De la même façon qu’il est la Parole de Dieu. Il est un porte-parole, il incarne la Parole de vérité qui révèle Dieu, qui rend Dieu présent.

Vous serez libres

Et la vérité libère, Jésus libère. Jésus n’est pas venu apporter une morale. Quand il suggère que nous faisons le péché, ce n’est pas pour nous condamner, mais pour nous en libérer. Ah, ce mot de péché, il nous fait horreur parfois, nous voudrions qu’on n’en parle plus, car nous culpabilisons. Mais avec le péché il faut toujours parler de la grâce : là où le péché a abondé, la grâce surabonde. Et donc le péché n’est plus une triste nouvelle, il devient l’occasion d’une heureuse nouvelle, dès lors qu’il est pardonné !

 

Cette bonne nouvelle de la grâce, qui avait été apparemment obscurcie, Luther l’a redécouverte dans les écrits de Paul. Luther s’appelait initialement Luder. À cette époque d’humanisme et d’érudition, l’Europe redécouvrait les humanités latines et grecques, et avec elle, elle redécouvrait la Bible, soudain démocratisée par l’invention de l’imprimerie. Alors les réformateurs aimaient bien se donner un nom savant, un nom latin ou grec. Et par attachement à cette liberté, Luder a choisi de s’appeler Luther, sur la racine grecque éleuthéria, qui signifie liberté. Oui, la foi n’est pas un esclavage et une liste de commandements et d’interdits. Dieu nous rend libres.

 

Nous n’avons plus à fuir la vérité comme la menace d’une accusation, nous n’avons plus à nous cacher comme Adam et Ève. Nous pouvons être libres, en vérité, en toute sincérité, sans le masque de l’hypocrisie, sans jouer la comédie ou la tragédie. Quelle liberté ! Me montrer comme je suis devant Dieu, dans ma nudité, parce que je lui fais confiance.

 

Jésus ne tient pas un discours moralisateur sur le péché, mais c’est pour nous qu’il en parle. Parce que qu’il voit que nous sommes esclaves du péché, et qu’il veut nous en délivrer.

 

La liberté que donne Dieu nous permet d’exister vraiment, de nous sentir nous-mêmes tels que nous voulons l’être, d’être heureux. La vraie liberté. Elle ne consiste pas à faire n’importe quoi, à nous étourdir un instant dans l’oubli des contraintes de la réalité de la vie, mais à choisir celui qui est le vrai chemin, qui oriente notre vie et lui donne sens. C’est un grand message de liberté.

Vous aurez le désir de devenir disciples

Et à qui s’adresse ce message ?

 

Ici il ne s’adresse pas aux païens ni aux pharisiens incrédules ou autres sadducéens. Il s’adresse aux croyants. Il est dit juste avant ce passage : « Comme il parlait ainsi, beaucoup mirent leur foi en lui. » Et notre extrait commence en reprenant : « Jésus, donc, disait aux Juifs qui avaient mis leur foi en lui ». Un premier pas est déjà fait, comme pour nous qui sommes ici, qui croyons en Jésus-Christ. Mais Jésus s’adresse à nous pour nous inviter à aller plus loin.

 

Les Juifs qui ont cru en lui se définissaient encore comme descendance d’Abraham, monothéistes par opposition aux adorateurs d’idoles. Cette identité héritée leur suffisait.

 

Mais Jésus invite à aller plus loin, à faire un pas de plus. Dieu invite ses interlocuteurs déjà croyants, et nous aussi, à devenir vraiment ses disciples. Et c’est tout un itinéraire de croissance spirituelle qui s’ouvre. Si Dieu nous a fait naître de nouveau, c’est pour qu’ensuite nous puissions grandir en lui, en force, en sagesse, en intelligence spirituelle, en actes d’amour.

 

Le croyant donne sa foi, il fait confiance. Le disciple, c’est celui qui apprend, l’apprenti. L’apôtre, c’est celui qui est envoyé, c’est l’émissaire ou le missionnaire. Dieu nous appelle à aller plus loin, à nous mettre au service. Que nous ne soyons plus sous la servitude du péché, mais au service de Dieu.
La vérité nous percute, nous renverse, nous éblouit. La lumière de Dieu brille si fort qu’elle dévoile, transperce et éclaire toutes nos zones d’ombres. Elle révèle que nous faisons encore le péché, donc qu’il nous manque encore quelque chose, non pas pour obéir à des lois, mais pour être libres du péché.

 

Cette conviction de péché, c’est une prise de conscience, qui déclenche un changement radical. Il ne s’agit pas seulement de changer dans nos idées, mais dans tout notre être, et jusque dans nos actes. Nous ne pouvons plus accepter de faire le péché.

 

Cette expérience de notre manque, de notre finitude, de notre imperfection, peut être douloureuse, car c’est un dépouillement. Oui, je suis esclave du péché, je fais le mal que je ne veux pas, et je ne fais pas le bien que je veux. Mais ce constat creuse en nous par le manque un espace pour le désir de Dieu. Le désir est un manque, nous aspirons à ce que nous ne sommes pas. Il s’approfondit une soif spirituelle. Il se creuse un puits d’où pourra jaillir la source de la vie éternelle.

 

Je pense à ce passage curieux en Genèse 26 :

« Isaac creusa de nouveau les puits qu’on avait creusés aux jours d’Abraham, son père, et que les Philistins avaient bouchés après la mort d’Abraham. Il les appela des mêmes noms dont son père les avait appelés. Les serviteurs d’Isaac creusèrent encore dans l’oued et y trouvèrent un puits d’eau vive. » (Genèse 26,18-19).

 

Oui creusons encore, pour trouver la vérité qui libère. Oui les puits du passé où nous avons été désaltérés ont pu se boucher, mais nous pouvons les retrouver. Et il jaillira une source d’eau vive, qui redonnera la vie, qui refleurira les déserts desséchés de nos cœurs, qui comblera notre soif spirituelle, et qui débordera autour de nous.

Des deux fils d’Abraham, l’un était né esclave, Ismaël, l’autre était né libre, Isaac. Isaac ligoté sur l’autel a été sauvé de la mort par l’intervention de l’ange du Seigneur. Que Dieu nous donne de ne pas être seulement fils d’Abraham, mais enfants de la promesse et de la liberté, donnés à Dieu et sauvés par Jésus-Christ ! Que le Seigneur nous donne de lui faire confiance, qu’il nous fasse demeurer dans sa parole, habiter dans sa maison, pour que nous devenions vraiment ses disciples, libres et engagés à son service !

 

Amen.

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