La peur
Et pourtant je me dis : tout ça, je le connais bien. Et je n’ai pas une peur aiguë du péché mortel et de l’enfer comme au Moyen-Âge. Je n’ai pas non plus une peur intense de la mort, qui me paraît encore lointaine et abstraite. Je crois à la grâce du pardon, je crois à la résurrection des morts.
Oui mais l’Esprit Saint nous parle aujourd’hui, pour nous faire connaître quelque chose de nouveau, d’inédit, une découverte. Parce qu’il est vivant, donc inépuisable. Si je dis que Jésus est mon sauveur, ce ne peut pas être qu’une formule ou un titre honorifique ; cela doit être une réalité, un verbe d’action. C’est que Jésus me sauve, m’a sauvé, me sauvera. De quoi me sauve-t-il donc vraiment aujourd’hui ? Quelles sont mes peurs, et de quoi ai-je besoin d’être sauvé ?
Marie Madeleine, la deuxième Marie et Salomé ont peur. Peur du jeune homme vêtu d’une robe blanche : c’est peut-être la crainte de Dieu, le frisson, le frémissement, le sentiment de vénération devant la gloire de Dieu, sa puissance, son mystère et l’extraordinaire qui se dévoile. Mais elles ont peur aussi comme les disciples hommes qui ont tous fui, peur de cette ambiance de persécution, peur d’être les prochaines sur la liste, après l’élimination de Jésus. En venant au tombeau pour embaumer et honorer le crucifié, le condamné à mort, l’ennemi public de Rome et d’Israël, elles s’engagent avec courage. Mais c’est peut-être trop pour elles sur le moment, d’être envoyées témoigner. Elles ont besoin de temps pour assimiler tout ce qu’elles ont vu et entendu, qui leur demeure encore incompréhensible. « Elles ne dirent rien à personne », et pourtant nous savons, nous, qu’elles ont fini par en parler, sinon cela n’aurait pas été écrit dans l’évangile, et nous n’en aurions pas connaissance. Finalement l’Esprit Saint leur a inspiré le courage de témoigner, alors que cela les effrayait tant.
Nous aussi, l’ambiance actuelle a de quoi nous faire peur. Je suis inquiet quand j’entends l’état de notre monde. Avec le dérèglement climatique, je me demande quelle planète connaîtront nos enfants, quelles catastrophes pas si naturelles que ça vont encore arriver. Avec les guerres qui se multiplient et qui durent et qui s’aggravent, qui paraissent inévitables et sans issue : en Ukraine, à Gaza, et peut-être bientôt à Taïwan, en Corée ou ailleurs, et même chez nos alliés de l’OTAN. Avec des politiciens qui suivent le peuple, qui voient en l’autre, en l’étranger plus souvent une menace qu’un être humain fragile à aimer. Avec des jeunes qui ne croient plus à rien, qui ne respectent personne, quand montent la violence et l’égocentrisme du plaisir.
Alors oui, je viens, nous venons avec une grande ombre sur l’avenir, avec une noirceur sur le monde qui pourrait nous faire tomber dans le désespoir. Dans la méfiance, dans la haine du monde, dans la rupture et l’isolement.
Cette noirceur, c’est celle du tombeau. C’est le cadavre déposé dans le tombeau, défiguré, percé, ensanglanté, déshumanisé, chargé de toutes nos horreurs, et qui en est mort.
Et malgré tout, un jour comme les femmes, il nous faut affronter cette noirceur, ne pas la refouler, ouvrir le tombeau où nous l’avons enfermée, et espérer qu’elle ne nous dévore pas.