Le chemin des mages (Matthieu 2,1-12)

Prédication du dimanche 5 janvier 2025, Épiphanie, par Michelle Valléry d'après Christophe Verrey.

Un astre étrange

Jésus était-il une star ?

 

Cette histoire des mages qui suivent une étoile, star en anglais, pourrait nous le faire penser. A cette époque, certains pensaient qu’une nouvelle étoile était le signe de la naissance d’un grand homme. Mais qui étaient ces mages dont nous parle le texte d’aujourd’hui ? Contrairement à la tradition, ils ne sont pas trois, ils ne s’appellent pas Gaspard, Melchior et Balthazar ; ils ne sont pas non plus noir, blanc et maure.

 

Le texte nous dit juste qu’ils sont des mages venus d’Orient. Les mages sont, d’après Hérodote, les membres d’une caste sacerdotale, adeptes du zoroastrismes, d’où leur intérêt pour les astres. Ils viennent de Médie, c’est-à-dire de l’Iran actuel. Dans le livre de Daniel, le roi Darius est dit « le Mède ». Ils adoraient l’eau, la terre et le feu. On peut donc se demander ce qui les a mis en chemin pour venir se prosterner devant « le roi des juifs ».

 

Plusieurs hypothèses sont possibles :

 

Adorateurs du feu et connaisseur des astres, ces mages ont pu être questionnés par la vue d’un astre plus brillant que les autres, d’un astre qui sort de l’ordinaire. Pourtant, cet astre nous semble bizarre et ne pas correspondre à une définition scientifique d’une étoile. En effet, qui a déjà vu une étoile qui se déplace et s’arrête à la demande ou presque ? Cela nous oriente plutôt vers une signification symbolique.

Qui est Jésus ?

Au commencement de son Évangile, Matthieu a le souci de replacer Jésus dans l’histoire de l’alliance. Matthieu cherche à démontrer, pour ses contemporains juifs, une filiation de Jésus avec Abraham, David et Moïse.

 

Nouveau David, c’est important aux yeux de Matthieu de le présenter ainsi dans sa discussion aussi bien avec la synagogue qu’avec les chrétiens issus du judaïsme. Il s’agit ici de démontrer la filiation davidique de Jésus (par patri-linéarité : à l’époque on était Juif par le père, alors qu’aujourd’hui on l’est par la mère, depuis la chute de Jérusalem en 70 ap. J.-C.) parce que toute la Tradition juive messianique, depuis l’époque de la Royauté, croyait que le Christ (en grec), ou le Messie (en hébreu), le Sauveur d’Israël, serait de la lignée de David et rétablirait la grandeur du royaume d’Israël ; qu’il étendrait sa domination à toutes les nations. Ce messianisme politique était bien sûr particulièrement fort à l’époque de Jésus, à cause de la soumission du tout petit royaume d’Israël à l’immense Empire romain. Même si d’autres défendaient déjà l’idée d’une domination spirituelle (par ex. les esséniens de Qumran), bien des juifs s’imaginaient alors que leur Messie pourrait prendre un jour la place de l’Empereur et imposer le judaïsme à l’ensemble du monde civilisé connu à l’époque, c’est-à-dire au Bassin Méditerranéen. Peut-être n’avaient-ils pas tout à fait tort, puisque c’est bien ce qui s’est passé, mais sous la forme particulière d’un judaïsme chrétien, qui a réussi non pas à mettre sur le trône de l’empire un Messie juif, mais plus fort encore à faire de l’empereur Constantin lui-même, en 313, un converti …au christianisme !

 

Nouveau Salomon aussi, dans la lignée de David ! Matthieu, dans son dialogue avec la synagogue de son époque, continue dans sa logique. Salomon, c’est précisément l’apogée de toute l’histoire d’Israël, celui qui a hérité du travail de conquête et de domination fait par son père David, et qui a organisé le plus grand royaume qui ait jamais existé dans l’histoire du peuple hébreu. C’est aussi celui que la Bible a célébré comme le plus sage de tous les rois d’Israël, reconnu comme tel par ses pairs. Et c’est là une autre hypothèse à la venue des mages : ces savants venaient peut-être, comme la reine de Saba, à la recherche et à la rencontre de la sagesse. C’est bien Salomon que l’on décrit comme recevant des présents et des hommages de peuples lointains, « de Quédar et d’Effa », contrées situées… à l’Orient ! Les mages de Matthieu renvoient aux hommages d’étrangers à la spécificité d’Israël : à Balaam et Balaq (Nombres 22 à 24), aux sages d’orient venus rencontrer Salomon (2 Rois), ou aux nations païennes adorant le Messie en Ésaïe 60. Cette espèce de Midrash qu’écrit Matthieu fait intervenir des sages d’Orient qui demandent à adorer le roi des juifs qui vient de naître.

 

Notons au passage qu’avec l’histoire de la fuite en Égypte et du massacre des premiers nés, Matthieu fait aussi symboliquement de Jésus un nouveau Moise !

Qui sont les mages ?

Ce début de l’Évangile de Matthieu semble donc dire aux juifs : mais pourquoi les païens reconnaissent-ils Jésus comme le Sauveur de toute l’humanité, alors que vous persistez à le refuser comme Messie ? Ce qui est effectivement la question difficile à laquelle les premiers chrétiens se sont heurtés : étonnés de voir que le message de l’Évangile marchait si fort pour les non juifs, alors même qu’il se heurtait à l’incompréhension et au refus des juifs…

 

Ces mages qui interpellent les juifs de l’époque nous interpellent nous aussi ! Car qui représentent-ils pour nous ? Des pauvres, des migrants, des savants, des astrologues ?

 

Ce ne sont pas les pauvres ! Ces mages sont riches, riches d’or et de parfums de prix, riches de connaissances : ils ‘savent’ que cet enfant est roi, qu’il sera prêtre et prophète. C’est ce que leurs présents peuvent signifier. Les cadeaux apportés ne sont pas anodins : l’or, la myrrhe et l’encens. Les pères de l’Église, comme Luther ont vu dans ces cadeaux la reconnaissance de la royauté de Jésus (l’or), de sa divinité (l’encens) mais aussi l’annonce de sa mort (la myrrhe), et donc de son humanité.

 

Ce pourrait être nos migrants, généralement instruits, s’ils n’étaient pas déjà chrétiens pour beaucoup, persécutés en Orient comme en Afrique. Mais s’ils sont à la poursuite d’une étoile, ce ne peut être que leur « bonne étoile », pour échapper à la persécution et au massacre ou à la pauvreté. Pourtant, ils amènent avec eux une autre vision du Christ, d’autres théologies, d’autres richesses qu’il serait bon pour nous de découvrir. Ils pourraient nous ouvrir les yeux sur nos propres traditions, comme le font les mages à Jérusalem, en nous forçant à relire nos écritures, à nous reposer les questions sur ce que nous croyons et pourquoi…

 

À moins que ce ne soit des savants. Les savants, la communauté scientifique aussi a des choses à nous dire ! Au lieu de nous opposer sur les théories darwiniennes opposées aux récits de la Création, il serait bon de réconcilier science et foi, comme le faisaient ces mages, pour lesquels il n’y avait pas de frontière entre connaissance et foi ! Sans asservir l’une à l’autre, mais dans un dialogue laïc fécond. Eux suivent une étoile qui s’appelle « progrès » mais qui commence à décliner : j’entendais la semaine dernière que 10% des français croient que la Terre est plate. Effarant ! certains de ces savants sont rattrapés par une illusion de toute puissance, sur le génome humain, sur l’homme augmenté, sur l’I.A… Mais d’autres gardent une certaine lucidité sur les réalités du monde ou sur un avenir qui risque fort de tourner à la catastrophe planétaire, par exemple en matière de climatologie, de bio diversité,etc… D’autres enfin, ayant exploré toutes les profondeurs de la connaissance actuelle, en acceptent les limites et se tournent vers une spiritualité plus forte (par ex. Matthieu Ricard, chercheur en physique nucléaire devenu lama tibétain)…

 

Dans Matthieu, l’étoile en question ne suit absolument pas une orbite cosmique naturelle, c’est peut-être pour cela que les astrologues cherchent à en savoir plus, et arrivent devant Jésus. Une autre hypothèse serait que ce sont les rumeurs apocalyptiques de la venue d’un messie en Israël, futur souverain du monde, qui les ont mis en route ! Dans un monde d’incertitude, de peur pour l’avenir, ils sont nombreux ceux qui se mettent en chemin, en quête spirituelle.

 

L’astrologie n’est sans doute pas le meilleur chemin à prendre, tant il s’oppose, par sa vision d’un destin, à notre foi en un Dieu qui brise les fatalités de notre vie.

Qui sont les mages d’aujourd’hui ?

Alors, les mages d’aujourd’hui qui sont-ils ? Sans doute des gens étrangers, voire étranges, soit parce qu’ils viennent de pays lointains, aux coutumes différentes des nôtres, soit parce que leurs croyances sont différentes des nôtres. Il n’en reste pas moins qu’ils sont, d’après ce texte, des « chercheurs de Dieu » à la poursuite d’une étoile…

 

  • Ceux qui errent à la poursuite d’une étoile ou d’une chimère, ces « chercheurs de Dieu » qui cherchent n’importe où, n’importe comment, et qui n’attendent qu’un signe fort pour leur montrer le chemin ;
  • Ce sont aussi nos jeunes contemporains ! En quête de spiritualité, mais n’ayant plus les bases de la culture sur leur foi (qu’ils soient chrétiens ou musulmans d’ailleurs) ; prêts à se laisser convaincre par le premier gourou ou le premier soi-disant imam venu, qui leur propose un rêve suffisamment grandiose, une cause suffisamment noble à leurs yeux, un système de croyances clés en main avec un mode d’emploi clair (et c’est le cas aussi chez certains protestants). Surtout pas un chemin de foi, pour se construire, un chemin de liberté, de libre arbitre… Un chemin compatible pour la foi et la science.
  • Ce sont eux qui frappent à notre porte parfois, qui nous posent des questions sur les Écritures, qui sont à la recherche d’un Sauveur de l’humanité qui les affranchira du Mal, qui les amènera dans le Royaume de Dieu, quelle qu’en soit la forme…

 

À nous de les accompagner, à la lumière des Écritures, mais aussi par notre témoignage, pour découvrir qui est Jésus le Christ et qui est Dieu.

 

À nous d’accueillir ceux qui sont en recherche, pour les amener vers ce Jésus-Christ qui peut changer leur vie.

 

Mais à nous aussi de nous mettre en chemin, d’être en perpétuelle recherche de ce Dieu, Seigneur de nos vies. Peut-être pourront nous alors, comme les mages, rentrer chez nous par un autre chemin.

 

AMEN.


Cette prédication est largement inspirée par une prédication du pasteur Christophe Verrey.

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