Le consolateur (Jean 14,15-26)

Prédication du dimanche 8 juin 2025, fête de Pentecôte.

Le Père aime

Toutes ces paroles de Jésus sont toujours enveloppés dans l’atmosphère de l’amour. Qui circule entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

 

Il est possible de critiquer le concept de Trinité tel qu’il a été élaboré à travers les débats des premiers conciles au IVe et Ve siècle. On y parlait de substance, de nature, de personne. La théologie tentait ainsi d’approcher le mystère rationnellement, avec les catégories philosophiques et scientifiques d’Aristote. Aujourd’hui la pensée emploie d’autres concepts. Et s’interroger sur l’humanité et la divinité de Jésus Christ est une démarche profonde et spirituelle. Mais les réponses nous dépassent.
Dans l’évangile de Jean, la Trinité apparaît sans être nommée ainsi, sans être autant théorisée, simplement par les échanges qui unissent le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et je crois que c’est là le cœur.

 

Relisons Jean : « Moi, je demanderai au Père de vous donner un autre défenseur pour qu’il soit avec vous pour toujours, l’Esprit de la vérité » (v. 16). Jésus prie, le Père donne, et l’Esprit est avec nous, demeure et console. Les trois agissent pour nous, chacun avec un rôle différent.

 

Et plus loin, la même danse continue : « Mais c’est le Défenseur, l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, qui vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que, moi, je vous ai dit. » (v. 26). Jésus dit, le Père envoie, et l’Esprit enseigne et rappelle ce que Jésus a dit. Un lien circulaire les unit comme une alliance.

 

Ce lien c’est l’amour du Père. Que fait le Père, mentionné six fois dans notre extrait ? Il aime – deux fois, au futur. Il donne. Il envoie – il a envoyé Jésus et il enverra l’Esprit saint. Et enfin Jésus est en lui. Être ensemble, aimer, donner, envoyer, tout cela raconte en actes combien le Père aime, et nous aime. Le verbe aimer apparaît ici huit fois, c’est dire combien il est central.

Le Fils vit

Et voici Jésus. Qui parle à ses disciples, qui parle à son Père, qui nous parle. S’il parle et prie, c’est parce qu’il a annoncé son départ, une façon douce d’amener le sujet de sa mort, qui plane dans tout cet entretien avec ses disciples. C’est avant la fête de la Pâque, après avoir lavé les pieds des disciples, à la fin du dîner, quand Judas est sorti, que Jésus dialogue, avant de sortir vers le jardin où il sera arrêté.

 

Jésus parle à ses disciples, mais ses paroles sont aussi pour nous. N’oublions pas que Jean rédige cet évangile plus tard, vers l’an 90, pour l’Église appelée aussi la communauté post-pascale, qui se trouve dans la même situation que nous. Ce que les disciples ne savaient pas, et que nous connaissons, c’est le nouvel événement de Pâques : Jésus est mort, s’est relevé, est monté au ciel.

 

La question est donc la suivante : comment continuer à suivre Jésus, quand il n’est plus sur terre physiquement ? Comment vivre le deuil de sa mort, de sa disparition, de sa perte et de son absence ? La communauté des disciples, qui était totalement centrée sur Jésus, va-t-elle se dissoudre sans son maître spirituel, comme des moutons sans berger ? Ou sera-t-elle renouvelée par un nouvel élan, qui donne la vraie perspective sur Jésus, qui déploie enfin tout ce qu’il est ?

 

Jésus répond : « Je ne vous laisserai pas orphelins ». Et en filigrane, c’est dire l’angoisse de l’abandon qui pèse sur ses disciples. Nous savons que nous sommes fils et filles de Dieu. Mais ici, de qui sommes-nous orphelins ? C’est Jésus qui meurt. C’est donc Jésus qui devient notre père. Et justement, au chapitre précédent il s’est adressé à ses disciples en disant : « petits-enfants » (Jean 13,33).

 

Jésus, qui était jusque là défini comme le Fils, Fils de Dieu, devient père au moment où il s’en va, notre papa, de manière qu’à notre tour nous puissions devenir des fils et des filles. C’est la relation filiale du Père au Fils qui s’élargit pour nous y inclure aussi.

 

Être orphelin, c’est être fragile et vulnérable à l’extrême, sans identité, sans moyen de subsistance, sans amour.

 

Or Jésus ajoute : « je viens à vous ». Étonnamment, il l’affirme au présent. Car dans notre présent, aujourd’hui, Jésus vient. Il contredit ainsi cette idée d’absence que nous pouvons ressentir ou craindre, cette sensation d’être un orphelin abandonné. Non, Christ est vivant, il ne l’est pas seulement dans le passé ou dans un futur, il l’est aujourd’hui ; même après sa mort, même après son Ascension. Et nous entrevoyons là l’éternité divine : il est celui qui est, qui était et qui vient (Apocalypse 1,4.8 ; 4,8).

 

Il promet encore : « mais vous, vous me verrez, parce que, moi, je vis, et que vous aussi, vous vivrez. […] moi aussi je l’aimerai et je me manifesterai à lui. » C’est dire que l’Esprit saint n’est pas un remplaçant pour Jésus. Ce n’est pas la fin de Jésus. Jésus agit lui-même, et pas seulement par délégation. Jésus Christ continue d’être, d’aimer, et de se manifester à tous ceux qui aiment. Il poursuit sa description du futur après sa mort, qui est notre présent : « Si quelqu’un m’aime, […] nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure auprès de lui. »

 

Jésus parle en nous avec Dieu, tellement il est uni à lui. Christ est vivant, il vit de la vie de Dieu, il vient, il est là, il demeure, il nous aime et se manifeste, il se fait voir. Jésus annonce ici avec une force extraordinaire que la mort n’a pas de prise sur lui.

 

« Je ne vous laisserai pas orphelins » : nous pourrions entendre que Jésus nous donne un père de substitution pour compenser sa mort et son absence. Mais non ! Nous ne sommes pas orphelins parce qu’il est toujours vivant, pour l’éternité.

Le Souffle saint console

Mais c’est aujourd’hui Pentecôte, et voici le Saint-Esprit, celui que les psaumes ont chanté :

« Tu enverras ton souffle, ils seront créés ; et tu renouvelleras la face de la terre. » (Psaume 104,30).

Celui que les prophètes ont annoncé :

« … jusqu’à ce qu’un souffle soit déversé sur nous d’en haut, que le désert se change en verger, et que le verger soit considéré comme une forêt. » (Ésaïe 32,15).

« car je répandrai des eaux sur l’assoiffé, des ruissellements sur la desséchée ; je répandrai mon Esprit sur ta descendance, ma bénédiction sur tes rejetons » (Ésaïe 44,3).

« Je vous donnerai un cœur nouveau et je mettrai en vous un souffle nouveau ; j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. » (Ézéchiel 36,26).

« Je mettrai mon esprit en vous, et vous vivrez » (Ézéchiel 37,14).

« Après cela, je répandrai mon Esprit sur toute chair. » (Joël 3,1).

 

Dans l’évangile de Jean, l’Esprit saint est décrit comme le paraklêtos, parfois on dit en français le Paraclet ; mais il faut essayer de traduire. La difficulté, c’est que ce mot est très riche de sens différents.

 

L’étymologie signifie : invité auprès de, ou appelé à côté. Il peut donc être le compagnon qui nous assiste, le défenseur ou l’avocat dans un procès, le souffleur qui nous inspire.

 

Mais de tous ces sens, il faut en privilégier un qui ressort de l’usage dans la Septante, la plus ancienne traduction grecque de l’Ancien Testament. Le verbe parakaléô signifie alors en contexte consoler. L’Esprit saint est le consolateur. Et il y a là une grande douceur, bien adaptée aux besoin des disciples en situation de deuil ; une tendresse presque maternelle. Car si paraklêtos est masculin, Esprit ou plus concrètement souffle se dit en grec avec un mot neutre, pneuma, et en hébreu par un nom féminin, rouarh.

 

Cette féminité va bien avec le souci des orphelins. Le souffle de vie est là dès la naissance. Et dans le livre des Actes (Actes 2,8), chacun entend parler dans sa langue de naissance, que nous appelons en français la langue maternelle.

 

Marion Muller Colard1 va jusqu’à dire que l’Esprit saint est un doudou, traduction inhabituelle mais intéressante pour paraklêtos. Oui le doudou console, le doudou est un objet transitionnel pour accompagner l’enfant et faire le lien manquant avec ses parents. L’Esprit saint nous consolera dans le deuil de la mort de Jésus.

« Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ! » (Matthieu 5,5).

 

Mais la consolation dont il est question est plus vaste, plus existentielle, plus universelle. Ésaïe annonce : « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu. » (Ésaïe 40,1). Selon l’évangile de Luc, Syméon « attendait la consolation d’Israël, et l’Esprit saint était sur lui. » (Luc 2,25).

 

Le vrai consolateur, l’ami intime à notre chevet, l’avocat qui nous aide et nous secourt dans les jugements, est ultimement le sauveur. Le peuple est consolé, fortifié, encouragé, exhorté, parce qu’il est sauvé. La consolation d’Israël, c’est le pardon des fautes, le rétablissement du peuple, le retour à la terre que Dieu donne, le salut du monde.

 

Jésus dit que l’Esprit est un autre consolateur, ce qui veut dire que nous avons déjà un premier consolateur, qui est Jésus lui-même. Nous avons donc au moins deux consolateurs, défenseurs, compagnons, sauveurs. Et l’Esprit saint est un don du Père.

 

Que fait l’Esprit saint ? Selon les paroles de Jésus, l’Esprit demeure auprès de nous, et il sera en nous. Il nous enseignera tout et nous rappellera tout ce que Jésus a dit.

 

Ici apparaît le rôle de l’Esprit saint pour nous faire penser aux paroles de Jésus, et nous les faire comprendre. Il est notre aide-mémoire et l’interprète, pour que les paroles de Jésus vivent en nous dans toute leur couleur et leur vigueur. L’Esprit saint qui inspire les prophètes se fait porte-parole de Dieu. Ainsi, Dieu nous parle, à travers de pauvres mots humains, mais animés par le souffle de Dieu. Ce n’est qu’une écriture morte, mais le souffle vivifie. « La lettre tue, mais l’Esprit fait vivre. » (2 Corinthiens 3,6).

 

***

 

Viens Esprit saint, enseigne-nous, remplis notre mémoire, redonne la vie, console-nous, transforme-nous, demeure en nous tous les jours de notre vie.

Viens, Jésus-Christ, fais-toi voir à nous, aime-nous, vis, manifeste-toi !

Aime-nous, Père, et donne-nous ton Esprit, envoie-le nous !

 

Amen !

 


1 Marion Muller Colard, Éclats d’évangile, « Dimanche 19 mai 2013. Jean 14,15-26 », Bayard poche / Labor et Fides, 2021, p. 136.

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