Le sanctuaire (Jean 2,13-25 et 1 Corinthiens 1,22-25)

Prédication du dimanche 3 mars 2024

Profanation

Ce qui frappe d’abord dans ce texte, c’est la violence de Jésus. Comment la comprendre ?

 

Premièrement, Jésus a une bonne raison de se mettre en colère, ou plutôt de s’indigner. Le temple est banalisé en un lieu profane, où chacun fait des achats et des ventes et manipule de l’argent. C’est une profanation ! Il y a de l’hypocrisie à changer l’argent romain portant l’effigie de l’Empereur contre des shèqels de Tyr sans image, puis à changer ceux-ci contre des animaux à sacrifier à Dieu. Malgré toutes les transformations, c’est donner à Dieu ce qui est à César. Ce qui est vendu, ce ne sont pas seulement les brebis, les bœufs et les colombes. C’est Dieu qui est vendu, c’est Dieu que l’on achète avec la monnaie animale des offrandes. La grâce de Dieu, la gratuité de Dieu, est oubliée, perdue. On oublie de redonner à Dieu ce qui est à Dieu, redonner l’amour et le dialogue, la joie et l’intimité, le silence et le temps, la relation et la proximité. La religion est devenue une suite de règles. Elle est dénaturée. Dieu a disparu. La maison de Dieu est envahie de mondanités, et désertée de la conscience de sa présence.

 

Alors oui, Jésus est en colère. Nous nous mettons en colère pour des motifs égoïstes, parce que nous n’en pouvons plus, parce que notre patience a atteint sa limite, ou pour revendiquer avec plus d’efficacité. Mais la colère de Jésus est juste. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer le pouvoir de l’argent. C’est beaucoup plus grave : le cœur spirituel du peuple ne brille plus ; Dieu est oublié au milieu même de sa maison. Jésus a donc cette radicalité sans compromis, pour faire cesser ce scandale. L’émotion vient en lui pour donner plus de force à sa raison, pour exprimer la réalité du scandale que nous ne voyons plus. Le zèle est une passion, un bouillonnement, une ébullition, nous entendons le sifflement de l’eau frémissante. L’amour a aussi cette force, cette exclusivité, cette exigence, cette passion jalouse.

 

Dieu ne s’achète pas, il n’a pas de prix, il est gratuit. Jésus révèle le vrai visage de Dieu, un Dieu désirant, un Dieu de grâce. Le psaume 40 chante :

« Tu n’as désiré ni sacrifice ni offrande,
Tu m’as ouvert les oreilles ;
Tu n’as demandé ni holocauste ni sacrifice pour le péché.
Alors je dis : Voici je viens
Avec le rouleau du livre écrit pour moi.
Je prends plaisir à faire ta volonté, mon Dieu !
Et ta loi est au fond de mon cœur.
J’annonce la bonne nouvelle de la justice dans la grande assemblée ;
Vois, je ne ferme pas mes lèvres,
Éternel, tu le sais ! » (Ps 40,7-10).

Contradiction

Tout de même, ce Jésus n’est-il pas intolérant et violent, autrement dit, fanatique ? Il a ses raisons, mais les marchands du temple aussi. N’est-ce pas Dieu qui a demandé les sacrifices ? Il est écrit dans le livre du Deutéronome :

« Observe le mois des épis ; tu célébreras la Pâque pour le SEIGNEUR, ton Dieu ; car c’est au mois des épis que le SEIGNEUR, ton Dieu, t’a fait sortir d’Égypte, pendant la nuit. Tu sacrifieras la Pâque pour le SEIGNEUR, ton Dieu, du petit bétail et du gros bétail, au lieu que le SEIGNEUR choisira pour y faire demeurer son nom. » (Deutéronome 16,1).

De plus, le Lévitique fixe ce qu’il faut donner pour être purifié :

« Celui donc qui se met en tort sur un de ces points confessera en quoi il a péché, puis il apportera au SEIGNEUR, en réparation pour le péché qu’il a commis, une femelle prise sur le petit bétail, une brebis ou une chèvre, en sacrifice pour le péché. Le prêtre fera sur lui l’expiation de son péché. S’il n’a pas de quoi se procurer une tête de petit bétail, il apportera au SEIGNEUR, en réparation pour son péché, deux tourterelles ou deux colombes, l’une en sacrifice pour le péché, et l’autre en holocauste. » (Lévitique 5,5-7).

Donc c’est biblique. Des sacrifices sont demandés pour les fêtes, comme la fête de la Pâque, et pour le pardon des péchés.

 

Dans ce conflit d’interprétation, de quel droit Jésus impose-t-il sa conception du temple aux autres ? Et si les juifs prient en offrant des sacrifices, de quel droit attaque-t-il la religion physiquement, sans même argumenter ou s’expliquer verbalement ? De quel droit limite-t-il la liberté de conscience et de pratique religieuse, et la liberté d’entreprise, et la liberté des pèlerins de faire des achats, surtout pour des offrandes à Dieu ? Et de quel droit va-t-il contre la Bible ?

 

D’où la réaction des juifs : « Quel signe nous montres-tu, que tu fasses cela ? »

Le Fils de la maison

Jésus n’a l’autorité de faire la loi dans la maison de Dieu, que parce que c’est la maison de son Père. Il n’a l’autorité d’abolir la loi biblique des sacrifices révélée à Moïse, que parce qu’il est le Fils de Dieu.

 

Et le signe qu’il donne, c’est sa mort sur la croix, et sa résurrection. Même si nous ne sommes qu’au deuxième chapitre de l’évangile selon Jean, déjà la Pâque est proche. Tout l’évangile de Jean se place dans la perspective de Pâques.

 

Jésus disperse la monnaie, renverse les tables et les chasse tous, les brebis et les bœufs. Les exégètes tendent à penser que le « tous » concerne seulement les brebis et les bœufs, et pas les marchands. Jésus n’utilise le fouet que contre les animaux éventuellement. Il n’utilise pas la violence contre les humains.

 

De l’autre côté, la vraie violence, celle qui laisse des séquelles, celle qui blesse et qui tue, Jésus en est la victime. La violence n’est pas où elle paraît. « Le zèle de ta maison me dévorera. » Jésus sera dévoré sur la croix. « Détruisez ce sanctuaire. » Jésus sera détruit. La violence subie par Jésus est annoncée : coups de fouet, couronne d’épines au front, crachats, clous, jusqu’à la lance qui perce le côté.

 

Jésus par sa mort, apporte définitivement, une fois pour toutes, le pardon. Il devient l’agneau de Dieu pour la Pâque, pour la libération du peuple, la sortie de la terre d’esclavage et de servitude. Il y a bien là une folie pour les philosophes, une absurdité pour les athées, et un scandale pour les juifs ; et pour nous la puissance et la sagesse de Dieu, extraordinaire.

 

Alors oui, Jésus peut réformer la religion juive, et abolir l’obligation des sacrifices, comme l’annonçait déjà le psaume. Mais c’est plus qu’une réforme, c’est une fondation nouvelle, une révélation inédite. Le vrai sanctuaire, ce n’est plus le temple de Jérusalem ; c’est le corps de Jésus. Et quand tant d’hommes et de femmes se font la guerre pour un lieu, pour Jérusalem, et pour une terre sainte, c’est vraiment libérateur. Il n’y a pas de terre sainte, ou toute la terre est sanctifiée par Jésus.

Le sanctuaire, c'est nous

Le sanctuaire, désormais, c’est le corps de Jésus-Christ. Or il nous a donné son corps, livré c’est-à-dire donné pour nous. C’est le sacrement de la Sainte Cène. Nous avons été unis à lui, nous sommes devenus son corps, Église corps du Christ. Donc nous aussi nous sommes temple et sanctuaire, saints et consacrés, lieu de présence de Dieu. Paul annonce en 1 Corinthiens 3 :

« Ne savez-vous pas que vous êtes le sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, Dieu le détruira ; car le sanctuaire de Dieu est saint – c’est là ce que vous, vous êtes. » (1 Co 3,16-17).

Et encore en 2 Corinthiens 6 :

« En effet, nous sommes, nous, le sanctuaire du Dieu vivant, ainsi que Dieu l’a dit : J’habiterai et je marcherai au milieu d’eux ; je serai leur Dieu, et eux, ils seront mon peuple. » (2 Co 6,16).

Purification

Alors aujourd’hui, nous aussi, préparons-nous à fêter Pâques, en venant dans le lieu d’habitation de Dieu, sa demeure intérieure, notre cœur. Nous sommes invités à la purification du temple que nous sommes, pour accueillir vraiment Dieu dans l’intensité de sa présence. Il faut un grand nettoyage de printemps. Essayons d’éprouver nous aussi cette colère contre tout ce qui profane et souille et salit et pollue le temple que nous sommes. Jésus chasse tout ce qui nous encombre. Il le chasse comme il chasse les démons dans l’évangile.

 

Quels sont pour nous la monnaie, les tables, les brebis, les bœufs, les colombes ? Qu’est-ce qui fait obstacle à la présence de Dieu ? Qu’est-ce qui nous éloigne de la beauté dans laquelle Dieu nous a créés, de la vocation spéciale à laquelle il nous appelle ? Qu’est-ce qui nous empêche de prier, de vivre avec lui et par sa grâce, en proximité directe, en liberté ?

 

  • C’est peut-être toujours l’argent, qui donne tant de puissance, de sécurité, de plaisir ; l’argent qui pollue nos relations, qui vole notre temps, qui envahit nos pensées. La fausse monnaie privée de valeur, alors que Dieu se donne gratuitement, comble nos besoins et suffit à notre bonheur. Il est le vrai trésor du temple.
  • C’est peut-être encore un sentiment d’oppression religieuse, de légalisme, d’obligation, d’un carcan loin de la vérité et de la liberté de celui qui vit de l’amour et de la grâce de Dieu. Une culpabilité peut nous ronger, imaginaire ou réelle. Si nous étions coupables, Dieu nous a pardonnés et graciés. Et si souvent aussi, nous nous sentons coupables de règles inutiles et imaginaires, d’une obligation que nous nous sommes nous-mêmes imposées, ou que d’autres que Dieu nous ont imposées. L’équivalent de la loi des sacrifices, que Jésus a rendue obsolète.
  • D’autres choses peut-être aussi nous encombrent, nous divertissent de l’essentiel. Autour de nous et surtout en nous, klaxonnent des bruits dans une cacophonie, des bêlements et des cris. Notre vie est en désordre, on ne s’entend plus, on n’a plus la paix. Il nous manque le silence, le calme intérieur pour prier.
  • Les soucis peut-être croulent sur nous, les angoisses matérielles de la vie dans le monde, les peines de cœur, les blessures intimes et les cicatrices, les amertumes et les rancœur, les tristesses et les haines, tous ces poids qui nous plombent. Dans l’Église aussi, le conseil presbytéral s’inquiète de questions administratives, juridiques ou financières.

 

Jésus balaye les poussières et les poids morts, il envoie l’argent là où il doit être, il bouscule les tables qui nous bloquent, il chasse les esprits animaux du bétail et les bêlements d’angoisse.

 

Il nous libère de tout cela et nous fait voir l’essentiel, pour un espace de foi nouveau, pour un temple habité par l’Esprit de Dieu. En trois jours, il relève, il réveille, il ressuscite un sanctuaire. Il fait de nous des saints, pour une vie nouvelle, il nous recrée à neuf, nous rebâtit. Nous allons devenir un nouveau temple, pour qu’il vienne en nous ; il va nous redonner la vie. Maranatha, viens Seigneur, viens !

 

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