Le sang de l’alliance (Exode 24,3-8)

Prédication du dimanche 2 juin 2024

La réponse du peuple

À chaque sainte cène, nous évoquons le « sang de l’alliance », selon les mots de Jésus dans l’évangile (Marc 14,24). Mais cette expression résonne-t-elle vraiment en nous, ou semble-t-elle un vocabulaire étrange, hermétique, voire sacrificiel ? Sa source puise à ce texte de l’Exode. Essayons de goûter toute la saveur et le sens de cette alliance.

 

Dieu parle, et le peuple répond par une alliance.

 

Dans les chapitres 20 à 23 de l’Exode, Dieu donne ses instructions, son enseignement. D’abord le décalogue, les dix paroles, en Exode 20 ; puis des critères détaillés pour rendre la justice dans des cas pratiques, en Exode 21-22, pour régler les litiges quand quelqu’un cause du tort à un autre. Il enseigne encore le respect du pauvre et de l’immigré, le repos sabbatique pour la terre comme pour le bœuf et l’âne, les fêtes pour le Seigneur. « Vous servirez le Seigneur votre Dieu ; il bénira votre pain et votre eau. » (Ex 23,25).

 

Le peuple répond : « Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le ferons. » Il le dit deux fois ici au chapitre 24, à la fin de toutes ces paroles. Il l’avait déjà dit par avance au chapitre 19. Si donc cette phrase est répétée trois fois, c’est qu’elle est essentielle. Le peuple s’engage à mettre en pratique la parole de Dieu. Par ces mots, il conclut l’alliance avec Dieu, l’alliance au Sinaï.

 

À ce moment-là, la terre n’est encore qu’une promesse. Mais à la fin du livre de Josué, le peuple est entré dans le pays. Ici je propose donc un détour par ce livre de Josué, pour entendre une alliance très similaire à celle de l’Exode.

 

Le livre de Josué relate la conquête de la terre de Canaan par Israël. Il est difficile à lire, pour deux raisons. Premièrement, les spécialistes sont réservés sur l’historicité des faits racontés. Le livre de Josué présente une conquête glorieuse et complète ; mais déjà le livre des Juges semble le contredire en indiquant des villes et des territoires qui n’ont pas été conquises. Donc le livre de Josué interprète et embellit probablement la réalité historique.

 

La deuxième raison, c’est qu’un livre qui raconte la conquête militaire d’Israël peut dans le contexte actuel et depuis le début du mouvement sioniste donner l’impression de valoriser la guerre et l’anéantissement des ennemis d’Israël, l’extermination des Cananéens, un génocide contre la paix.

 

D’un autre côté, si le livre n’est pas historique, le massacre décrit n’a pas eu lieu, et n’est qu’une œuvre littéraire, ce qui est plutôt rassurant. Mais alors, nous nous demandons ce que nous pouvons bien faire de ce livre de Josué. Où pouvons-nous y entendre malgré tout la parole de Dieu ?

 

Il nous est permis, à nous chrétiens, de relire le livre de Josué dans un sens plus symbolique. Un père de l’Église comme Origène souligne que Josué et Jésus sont à l’origine le même nom. Simplement en français, par commodité, nous les avons distingués, de même que nous avons différencié Juda sans s, fils de Jacob, Judas avec s, qui a donné Jésus, et encore Jude, un autre apôtre. Mais donc Jésus s’identifie naturellement, par son nom même, à Josué. Josué, c’est le successeur de Moïse, c’est lui qui restait dans la tente de la rencontre en présence de Dieu, c’est lui qui est rempli de souffle saint. Et c’est lui qui fait entrer le peuple dans la terre que Dieu lui donne.

 

Jésus nous fait entrer dans la terre, que Dieu nous donne. Il nous donne toute la terre, le monde entier. Jésus anéantit tous nos ennemis spirituels. Il nous fait entrer dans le royaume du ciel.

 

Et puis surtout, le livre de Josué, c’est aussi son dernier chapitre, le chapitre 24 où une alliance est conclue entre Dieu et le peuple, à Sichem, une alliance cette fois en terre promise, ou plus exactement sur la terre donnée par Dieu.

 

Josué déclare : « Moi et ma maison, nous servirons le SEIGNEUR. » (Josué 24,15). Mais il ne s’engage pas à la place du peuple. Il parle pour lui et sa famille. À chaque famille de choisir. Et le peuple répond par une belle confession de foi :

« Jamais nous n’abandonnerions le SEIGNEUR pour servir d’autres dieux ! Car le SEIGNEUR est notre Dieu ; c’est lui qui nous a fait monter de l’Égypte, de la maison des esclaves, nous et nos pères ; c’est lui qui a produit sous nos yeux ces grands signes et qui nous a gardés tout au long de la route que nous avons suivie et face à tous les peuples parmi lesquels nous sommes passés. […] Nous aussi, nous servirons le SEIGNEUR, car c’est lui qui est notre Dieu. » (Josué 24,16-18).

Et Josué insiste sur la gravité de l’engagement, et le peuple le redit encore deux fois : « Nous servirons le SEIGNEUR. […] C’est le SEIGNEUR (YHWH), notre Dieu, que nous servirons ; c’est lui que nous écouterons. » (Josué 24,21.24).

 

Nous aussi, la terre nous est donnée, et Dieu nous invite à entrer dans notre héritage, reçu de lui. Car il nous a adoptés comme ses fils et ses filles bien aimés. Il nous invite à une alliance avec lui.
Nous aussi, nous nous sommes engagés, au baptême, à la confirmation. Nous nous engageons à chaque fois que nous affirmons notre foi. Nous renouvelons l’alliance que Dieu nous a offerte.

L'alliance

Fiançailles

L’alliance en français est un très beau mot, puisque c’est une alliance que le marié et la mariée se passent au doigt comme signe de leurs engagements. L’alliance raconte silencieusement une histoire d’amour.

 

Et dans la Bible, beaucoup plus que l’histoire au sens de la science historique définie au XIXe siècle, c’est l’histoire d’amour qui compte. L’histoire que racontent les conteurs bibliques. Une histoire personnelle et existentielle, celle d’un jour et d’une vie où nos pas ont croisé ceux de Dieu, les instants uniques où nous avons senti, découvert, et reconnu que Dieu est là. Nous l’avons vu spirituellement de façon merveilleuse, extraordinaire, ou de façon toute simple, ordinaire. Nous pouvons le voir à travers la beauté des étoiles et l’immensité d’un ciel d’été, ou le regard d’un ami les yeux dans les yeux ; nous l’entendre dans un mot venu du cœur, ou le sentir dans la chaude douceur de la brise printanière.

 

Mais il n’y a pas que cette émotion ; il y a cette décision de la volonté qui dit oui à l’alliance, à l’union à Dieu, qui s’engage à tenir bon pour y rester fidèle, et pour faire ce que Dieu dit. Car nous savons que c’est choisir la vie.

 

La foi, c’est des fiançailles. Oui, tous ces mots ont la même racine : foi, fidélité, fiabilité, confiance, et fiançailles. L’alliance engage notre foi, notre fidélité, notre confiance, pour des fiançailles avec Dieu.

 

Le signe du sang

L’alliance fait passer de la parole au concret de la vie. La parole, dans la Bible, est rarement une parole écrite, encore moins enregistrée. La parole est prononcée au moment où on l’entend. Elle n’existe qu’au présent. Et donc il n’y a pas de parole sans la présence de celui qui parle.

 

Dans ce culte, nous partageons la parole de Dieu. S’il y a vraiment parole de Dieu, cela veut dire que Dieu est présent, et qu’il nous parle en ce moment même. La parole de Dieu est un événement qui arrive maintenant, l’action du Dieu vivant qui s’adresse à nous, nous interpelle et nous appelle. Nous voulons vivre de cette parole, du souffle de Dieu.

 

Alors la parole s’accompagne d’un signe concret. Pour l’alliance au Sinaï, c’est le sang, car le sang c’est la vie, c’est l’être, c’est l’âme – anima, ce qui nous anime –, c’est la puissance qui nous irrigue de l’oxygène de la respiration (Lévitique 17,14). Alors ce sang est offert à Dieu, pour signifier que nous voulons donner notre vie.

 

Le sang de l’alliance, pour nous aujourd’hui, c’est du jus de raisin, c’est le vin, c’est le sang du Christ. Là encore, nous quittons la réalité la plus sanglante du sacrifice, pour retenir spirituellement notre offrande à Dieu, et le don de Dieu pour nous. Un don dans lequel nul ne perd rien, mais au contraire nous trouvons qui nous sommes appelés à devenir, qui nous sommes et qui nous serons, en Dieu. Une mort par laquelle Jésus n’est pas anéanti, mais dont il ressort victorieux et vivant de vie éternelle.

 

Alors à chaque fois qu’après avoir écouté la parole de Dieu, nous partageons la sainte cène, c’est une façon que Jésus nous a donnée d’incarner notre réponse. En buvant le jus de raisin, nous concluons alliance avec Dieu, comme le peuple au Sinaï avec le sang de l’alliance. Nous voulons dire oui à Dieu, et nous le disons, non par des paroles, mais par un acte.

 

Jésus est devenu notre frère de sang. Son sang est entré en nous, il coule dans nos veines, il irrigue tout notre corps.

 

Dire oui

De même que les époux se disent oui l’un à l’autre, accepter l’alliance, c’est en substance dire oui à Dieu.

  • Au noces de Cana, Marie dit aux serviteurs : « Ce qu’il vous dira, faites-le. » (Jean 2,5). Cette écoute suivie d’action ressemble beaucoup à la réponse du peuple en Exode 24. Et de là, Jésus fait un miracle, son premier signe.
  • Deux aveugles s’avancent vers Jésus. « Et Jésus leur dit : Croyez-vous que je peux faire ceci ? Ils lui disent : – Oui, Seigneur. » (Matthieu 9,28). Et il les guérit.
  • La femme syro-phénicienne dit à Jésus : « Oui, Seigneur ; et les petit chiens sous la table mangent des miettes des enfants ! » (Marc 7,28).
  • Marthe dit à Jésus : « Oui, Seigneur, moi, je crois que toi tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde. » (Jean 11,27). Et il ramène Lazare à la vie.
  • Pierre dit à Jésus : « Oui, Seigneur, toi tu sais que je t’aime ! » (Jean 21,15 & 16). Et il est réconcilié avec lui.
  • Et Jésus lui-même dit : « Oui, Père, parce que tel a été ton bon plaisir. » (Matthieu 11,26).

 

« Que votre parole soit ‟oui, oui”, ‟non, non” » (Matthieu 5,37). Nous pouvons dire oui à ce beau programme que Dieu propose devant nous.

La nouvelle alliance

Et le texte aux Hébreux parle d’une alliance nouvelle. Cette alliance nouvelle était déjà annoncée par le prophète Jérémie (un prophète tourmenté, mais qui a ces paroles magnifiques au chapitre 31) :

« Les jours viennent – déclaration du SEIGNEUR – où je conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle, non pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai saisis par la main pour les faire sortir d’Égypte, alliance qu’ils ont rompue, bien que je sois leur maître – déclaration du SEIGNEUR. Mais voici l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël, après ces jours-là – déclaration du SEIGNEUR : Je mettrai ma loi au dedans d’eux, je l’écrirai sur leur cœur ; je serai leur Dieu, et eux, ils seront mon peuple. Celui-ci n’instruira plus son prochain, ni celui-là son frère, en disant : ‟Connaissez le SEIGNEUR !” Car tous me connaîtront, depuis le plus petit d’entre eux jusqu’au plus grand – déclaration du SEIGNEUR. Je pardonnerai leur faute, je ne me souviendrai plus de leur péché. » (Jérémie 31,31-34).

La parole entre en nous, Dieu l’écrit sur notre cœur, comme des mots d’amour gravés pour toujours. Non pas sur la pierre comme les tables de la loi, mais sur les cœurs, comme une parole intime ineffaçable.

 

J’aime bien citer Le Clézio, prix Nobel de littérature, qui écrit dans Étoile errante, au moment d’une lecture du récit de la création selon Genèse 1 :

« La voix remue au fond de moi, elle touche mon cœur, mon ventre, elle est dans ma gorge et dans mes yeux. Cela me trouble tant que je m’éloigne un peu et que je me cache le visage dans le châle de maman. Chaque parole entre en moi pour briser quelque chose. La religion est ainsi. Elle brise des choses en vous, des choses qui empêchaient cette voix de circuler. »

 

Oui Seigneur, entre en nous par ta parole, entre en nous. Viens dans notre sang, sois inscrit sur notre cœur. Dans ce jus de raisin, nous voulons faire alliance avec toi, une alliance de sang et de vie, une alliance ancienne et nouvelle. Nous voulons te dire oui, Seigneur. Tout ce que tu as dit, nous le ferons. Amen.

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