Les mains, les lèvres et le cœur (Marc 7,1-23)

Prédication du dimanche 1er septembre 2024 à l'Église protestante unie de Tence

Loi de liberté

Aujourd’hui nous est annoncée cette bonne nouvelle de liberté. Vivre en Dieu, ce n’est pas d’abord respecter toute une série de règles.

 

Nous ne sommes plus asservis aux règles de pureté rituelle. Se laver les mains, c’est sans doute conseillé pour des raisons sanitaires et d’hygiène ; la pandémie de COVID nous l’a rappelé. Les soignants, les éducateurs, les parents peuvent le redire. Mais la religion a peut-être trop longtemps pris la charge de faire la morale et l’éducation des adultes, en oubliant de mettre toujours le Christ au centre.

 

Nous nous lavons les mains, mais nous n’avons plus l’obligation religieuse de le faire. Comme le shabbat (Marc 2,27), le lavage des mains est fait pour l’être humain, et non l’être humain pour le lavage des mains.

 

De même dans un autre cas, les gens pouvaient se créer des dilemmes religieux. Si quelqu’un fait un vœu, un don au temple si élevé qu’il ne lui reste plus de quoi subvenir aux besoins de ses parents, cela devient excessif et absurde. Jésus réaffirme la priorité de la parole de Dieu, « Honore ton père et ta mère », et montre comment elle s’applique concrètement. Honorer son père et sa mère, c’est en particulier prendre soin d’eux quand ils sont âgés ou sans ressources.

 

Mais inutile de superposer des commandements humains aux commandements de Dieu. La loi de Dieu est simple. Jésus nous libère de l’inflation des commandements, des règles et des interdits qui compliquent chaque geste, chaque action.

 

Enfin, le texte indique : « il purifiait tous les aliments ». Aucun aliment n’est impur. Même si on pense que cette affirmation a peut-être été ajoutée plus tard dans le contexte des débats entre païens et judéo-chrétiens sur le respect des règles alimentaires juives, cela va dans le même sens de libérer des lois de pureté rituelle. Là encore, devenir végane ou suivre un régime particulier, cela peut se justifier pour des raisons de santé ou d’éthique, mais d’un point de vue religieux, il n’est pas interdit de manger du porc. Jésus nous donne la liberté de choix.

 

Donc réjouissons-nous ! Suivre Jésus, ce n’est pas d’abord une question de loi morale. Déjà dans le Premier Testament, le mot hébreu Tora ne devrait pas être traduit par loi, mais par enseignement ou indication, orientation, fléchage, points de repères. La loi de Moïse est en réalité l’enseignement de Moïse.

 

Mais Jacques dans sa lettre a cette formule extraordinaire : « la loi de la liberté ». Et c’est pour lui la loi parfaite, parachevée, portée à son sommet. Jacques, mal aimé de Luther, est présenté comme l’apôtre des œuvres, et donc du légalisme. Mais c’est oublier cette découverte totalement nouvelle de la Tora, de la parole de Dieu de liberté.

« Mais celui qui a plongé les regards dans la loi parfaite, la loi de la liberté, et qui y demeure, non pas en écoutant pour oublier, mais en mettant en pratique, – en faisant œuvre – celui-là sera heureux dans sa pratique même. » (Jacques 1,25).

 

Ce qui était loi et contrainte est devenu bonheur et liberté. Parce que toute œuvre est faite avec Dieu, par Dieu, pour Dieu, par amour et en joie. Jacques a fait l’expérience de Dieu, il a vu Dieu et a demeuré en lui. Ça change tout ! Alors la pratique de la Tora devient une béatitude. Heureux celui qui écoute la parole de Dieu et la met en pratique !

 

Religion du cœur

Et Jésus emploie cette image triviale des latrines, avec un peu d’humour, pour dédramatiser. Se préoccuper de ce qui entre dans le corps matériellement, c’est très terre à terre. L’eau ordinaire est capable de nettoyer tout cela. Mais l’eau du baptême est plus puissante encore. Elle nous libère de la fausse culpabilité ; elle nous délivre aussi du vrai péché. L’enjeu de la foi est plus grand.

 

Il y a bien une question de pureté ; mais une fois de plus, Jésus nous invite à nous élever de la chair à l’Esprit, du sens matériel au sens spirituel. De l’extérieur à l’intériorité. Ce qu’il faut purifier, ce n’est pas l’extérieur des ustensiles du culte, ni même des mains, mais c’est l’intérieur de l’humain. Il y a en nous des horreurs qui nous souillent, et nous rendent impurs, toute cette liste qui comprend à la fois la transgression des commandements de Dieu et une mauvaise attitude intérieure, un mauvais regard. Tout cela nous empoisonne, et devrait partir aussi aux ordures.

 

Faut-il alors revenir à ce moralisme, pour bien se comporter ?

 

Non, car est apparu un mot-clé, pour décrire l’intérieur, l’intériorité de l’humain : c’est le cœur. C’est le cœur qui est souillé, le cœur et non le ventre, c’est le cœur qui sera purifié. Nous arrivons à la religion du cœur, qui ne peut plus être simplement de rigorisme, de formalisme et de simple tradition. Elle rejoint la loi de la liberté de Jacques. Elle rejoint la vocation initiale donnée à la Tora. Il s’agit de mettre en pratique, je cite le Deutéronome, « afin que vous viviez et que vous veniez, et que vous héritiez la terre que le SEIGNEUR, le Dieu de vos pères, vous donne. » (Deutéronome 4,1). La terre est donnée avec les dix paroles, la belle terre ruisselant de lait et de miel, celle qui vient comme un royaume du ciel.

 

Le Deutéronome poursuit au chapitre 6 :

« Tu aimeras le SEIGNEUR, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Ces paroles que j’institue pour toi aujourd’hui seront sur ton cœur. » (Deutéronome 6,5).

 

Quand cette loi est écrite, non pas sur la pierre, mais sur le cœur de l’humain (2 Corinthiens 3,3), elle est bien une loi de vie, de liberté, de bonheur.

 

Et sur le cœur, Jésus cite le prophète Ésaïe : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est très éloigné de moi ». Les lèvres symbolisaient les paroles adressées à Dieu, trop souvent de vaines paroles humaines, si le cœur n’y est pas. Dans la bouche de Jésus, les lèvres représentent maintenant aussi ce qui permet de manger. Le peuple honore Dieu par la façon dont il se nourrit. Oui nous voulons honorer Dieu dans les simples gestes du quotidien. Nous voulons lui rendre grâce pour la nourriture qu’il nous donne. Notre corps participe à louer le Seigneur, car nous voulons l’aimer de tout notre être, pas seulement intellectuellement, mais de façon incarnée. Concrètement, mobiliser notre corps dans des gestes peut nous aider à être pleinement présents.

 

Nous portons à nos lèvres le pain et le vin, que Jésus nous a donnés comme son corps et son sang. Oui nos lèvres honorent Dieu, les lèvres aussi qui disent des mots doux et des paroles vraies, les lèvres qui se touchent en déposant un baiser.

 

Et pourtant, toute la beauté des lèvres n’est rien sans le cœur. Elles resteraient surface et mensonge, si le cœur n’est pas ouvert. Dieu nous appelle à ouvrir notre cœur, à l’aimer avec ce cœur. Qui le sert avec son cœur l’adore en Esprit et en vérité, et ce sont là les adorateurs que le père recherche (Jean 4,23).

 

Ainsi Jésus recentre nos gestes sur l’essentiel, sur Dieu.

 

 

Réforme et tradition

Si maintenant nous avons découvert cette loi de liberté, cette loi du cœur, et que nous l’avons vu de façon inoubliable, non pas comme un miroir sombre regardé et aussi vite oublié, si nous avons croisé le regard de Dieu, si dans nos yeux s’est gravée l’image de Dieu, alors nous pouvons nous laisser interroger par la loi de Dieu. Car nous avons peut-être horreur des traditions, des rites et de la vaisselle religieuse. Et pourtant, ne sommes-nous jamais nous-mêmes comme ces lettrés, ces scribes, ces pharisiens ?

 

Parfois je pense à beaucoup de nos usages qui rebutent le curieux qui passe un jour la porte du temple. Nous avons une tradition dans l’architecture de ces pierres, et c’est beau, ce serait triste de perdre ce patrimoine, mais avec le risque de devenir un musée. Nous avons un répertoire musical, des cantiques et des orgues. C’est beau, mais les goûts varient, et cela ne parle pas forcément à toutes les générations. Le protestantisme réformé et la forme du culte avec sa liturgie sont très éloignés de la culture de nos contemporains.

 

Je me demande avec vous comment l’Église pourra toucher plus de monde, plus de jeunes, exprimer, faire vivre et rayonner la foi qu’elle porte en elle.

 

Est-ce que nous pourrions imaginer d’abandonner l’orgue comme on a abandonné les coupes et les cruches ? Et abandonner même une certaine identité protestante, qui comprend une philosophie, des idées, des valeurs, pour revenir encore une fois nous réformer au Christ ?

 

Il y a aussi dans notre Église des traditions des anciens. Si nous les quittons, nous ne savons pas à quoi ressemblera l’Église. La tradition, c’est la transmission, c’est ce qui est donné. La tradition, c’est justement quelque chose qui évolue et change avec le temps. Beaucoup d’entre nous, nous sommes convaincus qu’il faut changer, mais nous ne savons pas bien comment faire. Comment changer tout en restant nous-mêmes ? C’est un défi souvent effrayant.

 

Mais que voulons-nous transmettre ? N’est-ce pas le Christ ? Nous ne transmettrons peut-être pas une culture protestante ; mais Christ est toujours livré pour nous, c’est-à-dire transmis, donné. La foi ne se transmet pas par nos œuvres, mais par le don de Dieu. Dieu est créateur. Il fait toutes choses nouvelles. Dieu continuera à nous faire vivre, en lui. Il fonde en nous une espérance, une promesse. Dieu nous donnera un cœur nouveau, un cœur de chair.

 

Amen.

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