Les yeux, le cœur et la bouche (Luc 6,39-45)

Prédication du dimanche 2 mars 2025.

Ce texte (qui est la suite du discours sur le plateau ou « sermon dans la plaine », qui a commencé par les béatitudes) nous parle des parties du corps de façon concrète : d’abord les yeux, puis le cœur et la bouche. Ce faisant, il évoque notre attitude intérieure.

Les yeux, connaissance et lucidité

La parabole des deux aveugles qui se guident mutuellement, et tombent ensemble dans un trou, me fait penser à Adam et Ève. Pour eux, tout commence par ce qu’ils croient voir alors même qu’ils n’ont pas les yeux ouverts :

« La femme vit que l’arbre était bon pour la nourriture et plaisant pour la vue, qu’il était, cet arbre, désirable pour le discernement. Elle prit de son fruit et en mangea ; elle en donna aussi à son mari qui était avec elle, et il en mangea. Leurs yeux à tous les deux s’ouvrirent, et ils surent qu’ils étaient nus. » (Genèse 3,6-7).

Alors l’homme et la femme chutent tous deux ensemble, parce qu’ils n’ont pas fait appel à Dieu comme guide d’aveugle.

 

Dieu veut nous apprendre à voir, à ne pas être aveugle. Si nous portons un regard juste et vrai sur l’autre, nous prenons le temps de pénétrer au-delà de l’apparence, et nous comprenons l’essence de son être, ses pensées et ses actes. Un regard qui ne fuit pas, qui se laisse regarder, les yeux dans les yeux, voilà ce que Dieu nous promet.

 

Il nous ouvre les yeux. Alors nous pouvons poser autour de nous un regard qui aime et qui élève, un regard qui ne va pas scanner ni juger, un regard respectueux et émerveillé, attentif et doux.
L’œil étant la lampe du cœur, Dieu nous appelle à une lucidité sur nous-mêmes. Or nous en sommes incapables, justement parce que nous ne voyons pas nos yeux. C’est l’histoire de la paille et de la poutre. Dieu seul nous ouvre les yeux.

 

Et que voyons-nous ? Non seulement nous nous voyons nous-mêmes, avec notre nudité et la poutre qui nous aveugle, non seulement nous voyons l’autre aveugle qui chemine avec nous et nous pouvons l’aider à ôter la paille de son œil, mais ultimement, c’est Dieu que nos yeux voient.

 

Il s’agit bien d’un regard spirituel, pour discerner l’action de Dieu dans notre vie, et la réelle présence du Christ. Syméon dit : « Car mes yeux ont vu ton salut » (Luc 2,30). Jésus dit : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! » (Luc 10,23). Nous voyons la gloire de Dieu.

 

Dieu ne veut pas nous culpabiliser pour notre aveuglement, mais nous ouvrir les yeux, et nous faire découvrir ce que nous n’avions jamais vu. Et nos yeux de lumière brilleront émerveillés.

Le beau trésor du cœur

Après les yeux, Jésus vient à parler du cœur. Car les arbres et des fruits ne sont que des images pour parler du cœur, pour parler de l’être humain. Les fruits sont nos actes. L’élan créateur nous pousse à fructifier, à agir. Hélas nous ne connaissons que trop bien le problème des actes : nos œuvres ne sont pas toujours belles et bonnes, et je ne fais pas le bien que je voudrais (Romains 7,19).

 

Au lieu de se focaliser sur les fruits pourris, Jésus invite à rechercher la maladie de l’arbre qui les porte. Il passe de faire à être. Nous sommes l’arbre. Et c’est en fonction de ce que nous sommes que nous agissons.

 

Nous pourrions penser que ce n’est guère encourageant : changer mes actes est parfois possibles, mais changer ma nature et mon essence semble une tâche encore plus difficile.

 

Cependant, quand Dieu nous a créés, il a posé une parole sur nous, et la parole de sa bouche est vérité. Il a vu tout ce qu’il avait fait : c’était très beau, immensément bon (Genèse 1,31). Voilà ce que nous sommes. Dieu nous a créés beaux et bons, c’est notre essence et la nature de notre être, nous sommes un bel arbre. Quand nous agissons en tant qu’êtres créés par Dieu à son image, nous sommes beaux et nos œuvres sont belles.

 

Alors Jésus devient plus explicite avec le beau trésor du cœur. Intrinsèquement nous avons en nous cette beauté, qui vient de Dieu.

 

Le beau trésor du cœur : nous pouvons le comprendre de deux manières. Soit le cœur est un trésor ; soit le cœur contient un trésor. Peut-être n’est-ce pas si différent : le cœur devient lui-même précieux parce qu’il porte en lui un diamant. Ce qu’est le cœur dépend de ce qu’il contient. Le trésor est donné par Dieu ; le cœur est donné par Dieu.

 

Quel trésor le cœur accueille-t-il donc ? Le cœur peut abriter des paroles, des événements, des souvenirs essentiels.

 

Nous en avons des exemples dans l’évangile. Quand Jean Baptiste reçoit son nom, son père Zakharie retrouve la parole, et tous les habitants sont saisis de crainte et discutent de ces événements. « Tous ceux qui les apprirent les gardèrent dans leur cœur, en disant : Que sera donc cet enfant ? » (Luc 1,66). Parallèlement, à la naissance de Jésus, tous s’étonnent de ce que disent les bergers. « Marie gardait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur. » (Luc 2,19).

 

Notre cœur est un lieu de mémoire. Notre histoire avec Dieu est faite pour s’inscrire dans l’intime de notre cœur, fondatrice et inoubliable. Dieu dépose dans notre cœur un trésor !

 

Le trésor n’est pas seulement composé de tout ce que Dieu a fait pour nous, mais aussi de ce que nous faisons. Sans cesse, nous amassons des trésors de souvenirs, nous accumulons notre expérience de vie et l’ajoutons à notre trésor. La générosité donne un trésor, un trésor céleste, qui s’oppose aux trésors matériels et périssables.

« Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, là où aucun voleur n’approche et où aucune mite ne ronge. Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. » (Luc 12,33-34).

Là encore Jésus affirme le lien entre le trésor et le cœur.

 

Et dans l’évangile selon Matthieu, nous entendons qu’il y a un peu du royaume de Dieu dans ce trésor ; ou plutôt que le vrai trésor en nous est le règne de Dieu.

« Voici à quoi le règne des cieux est semblable : un trésor caché dans un champ ; l’homme qui l’a trouvé le cache et, dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il a pour acheter ce champ-là. » (Matthieu 13,44).

Quand Dieu est roi de notre être, nous sommes fous de joie car nous avons trouvé le trésor, et la vraie vie.

La bouche qui exprime

Et le trésor ne reste pas caché, il est la réserve infinie, la mine et le gisement d’où nous pouvons extraire l’or et les pierres précieuses. Notre cœur s’exprime à l’extérieur.

 

Et du cœur nous arrivons à la bouche, juste évoquée dans le dernier verset : c’est de l’abondance de son cœur que sa bouche parle. Tout découle de la présence de Dieu dans notre cœur. Il est la source, la fontaine. Quand nous sommes remplis de l’Esprit de Dieu, notre cœur comblé se met à déborder ; alors nous pouvons parler.

 

Ainsi Zacharie qui restait mutique soudain déborde de paroles : « À l’instant même, sa bouche s’ouvrit et sa langue se délia ; il se mit à parler et à bénir Dieu. » (Luc 1,64). Ainsi Jésus, quand il fait la lecture à la synagogue, et qu’il déclare l’Écriture accomplie, fait sortir et révèle un peu de son trésor. « Tous lui rendaient témoignage, étonnés des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche » (Luc 4,22).

 

***

Dieu a déposé en nous une semence de lumière, qui grandira en bel arbre et en beau fruit. Il nous a confié un trésor. Une chose si petite en apparence, mais infiniment précieuse de promesse de vie. Que notre cœur, le centre de notre être, soit centré sur ses diamants, et les chérisse comme un écrin. Et le trésor fructifiera en bijoux étincelants de beauté, que nous pourrons donner autour de nous.

 

Dieu nous invite à voir comment nous sommes intérieurement, de notre œil jusqu’à notre cœur. C’est là que nous voyons Dieu ; là se fonde notre enracinement en lui, notre identité belle en lui, et notre fructification qui s’épanouit vers l’autre. Nous sommes transformés dans tout notre être, regard, cœur, parole et action. Car l’Éternel est notre trésor. Amen.

 

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