Lumière (Jean 9,1-11)

Prédication du dimanche 6 octobre 2024 à Yssingeaux (donnée pour la première fois le 18 mars 2023 à Barbezieux).

Beauté

Jésus dit : « Je suis la lumière du monde. »

 

Je vous propose de parler de la lumière premièrement, puis de l’aveuglement qui empêche de voir la lumière, et de la nouvelle naissance qui nous permet de voir pour la première fois la lumière.
Il est la lumière du monde.

 

C’est vrai, et c’est beau. Et nous le disons souvent. Mais arrêtons-nous un peu sur le sens. Que signifie, que représente vraiment la lumière ?

 

  • La lumière, c’est la joie. C’est la possibilité de voir le monde en couleurs.
  • C’est l’opposé des ténèbres. La lumière fait disparaître la noirceur du monde, le côté sombre de l’homme, la tristesse, la haine, les idées noires.
  • La lumière montre la vérité, dans la transparence. Elle ne ment pas, ne cache rien. Tout est clair en elle. Sa clarté est visible, simple, évidente.
  • Et à partir de cette vérité, ou vers cette vérité, la lumière met en mouvement. Elle fais de nous des éclaireurs. Elle nous oriente dans une direction. Elle nous permet de voir, de connaître, de décider, et d’agir.
  • La lumière c’est la vie ; elle fait pousser les plantes. Elle nous donne des vitamines.

Jésus est la lumière du monde, c’est-à-dire du cosmos en grec, de l’univers. Alors Jésus est tout cela, la joie, la vérité, la vie.

 

C’est magnifique, et Dieu vit que la lumière était bonne, et belle ; il s’extasie et s’écrie « que c’est beau ! » devant sa création (Genèse 1,4).

 

La guérison a lieu le jour du shabbat. Les religieux ont fait du shabbat un jour d’interdit, où il ne faut rien faire. Mais le shabbat est un jour de fête, un jour de louange à Dieu, un jour libéré du travail, un jour de temps libre et gratuit.

 

N’avons-nous pas perdu, oublié la fête, la joie, la lumière ? Or l’évangile est une heureuse annonce, Dieu brille en nous et nous illumine.

Aveuglement

Oui, mais… voici la réalité qui se rappelle à nous. Voici un aveugle, qui ne voit pas, qui n’a jamais vu la lumière. Il porte cette blessure intime, cette fragilité congénitale. Et c’est une peine multiple, car à la déficience physique s’ajoute le regard des autres, le dénigrement de soi-même, le sentiment de culpabilité, l’incompréhension, l’injustice. Voici ce scandale, toujours : pourquoi cette souffrance d’être privé de la vue ? Pourquoi aussi certains connaissent Jésus, et d’autres non ? Les uns ne voient pas ce que les autres voient. C’est l’équivalent visuel du dialogue de sourds. Un aveugle croise un autre genre d’aveugle. Il ne voit pas qu’il est aveugle. Il n’a pas cette lucidité.

 

L’aveuglement est associé au péché par les pharisiens ; et ainsi il sert de métaphore pour parler symboliquement du péché, spirituellement. Le péché se présente comme un aveuglement. Pécher, c’est manquer la cible. Or comment un aveugle pourrait-il tirer à l’arc ? Le péché c’est cette erreur inévitable si nous ne voyons pas notre cible en Christ. C’est l’échec de la rencontre avec Dieu et avec l’autre ; un rendez-vous manqué. Le pécheur est un aveugle ; et ce n’est pas un jugement, c’est une réalité pleine de compassion.

 

Nous regardons aux apparences, nous ne voyons pas réellement. Le Seigneur voit au cœur, dit le premier livre de Samuel.

 

Nous ne voyons pas les autres. Les pharisiens croient voir dans l’aveugle-né un pécheur. Ils s’illusionnent. Ils ne voient pas la poutre dans leur œil, qui les empêche de voir. Quand l’aveugle est guéri, les gens ne le reconnaissent plus, il faut vérifier que c’est bien la même personne. Sans doute il a changé, mais aussi les gens étaient tellement habitués à ne voir en lui qu’un aveugle qu’ils ne voyaient pas qui il est, au-delà de son handicap. Et quand il est guéri, même le narrateur l’appelle encore l’aveugle d’autrefois, comme s’il n’avait pas un prénom. Cela nous apprend à mieux regarder, à observer avant de juger sans préjugé, à combattre nos clichés, nos stéréotypes, et à ouvrir les yeux sur l’être humain que nous rencontrons, notre prochain.

 

Nous ne voyons pas les autres, mais nous ne nous voyons pas nous-mêmes. Parfois le regard le plus sévère, c’est celui que nous portons sur nous-mêmes. Nous sommes aveugles à tous les talents, tous les dons, toutes les bénédictions que Dieu nous a donnés. Il nous a créés et nous sommes chacun, chacune une merveille à ses yeux. L’être humain voit ce qui frappe les yeux ; mais Dieu voit au cœur.
Nous savons voir nos péchés, mais nous ne voyons pas l’être humain parfait, relevé, ressuscité, que Dieu crée en nous à son image et à sa ressemblance, comme il l’a désiré au commencement. Entrons dans cette joie, cette lumière, ouvrons les yeux sur cette nouvelle création que nous devenons.
Personne ne comprend comment l’aveugle a été guéri. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que ça vient de Dieu et pas de nous. L’homme qui était aveugle témoigne simplement que c’est Jésus qui a fait cela, et qu’il est guéri.

 

Face à la question existentielle : pourquoi ? Jésus rejette la tentative d’explication par l’hérédité. La famille est très présente et peut-être pesante dans nos deux textes, avec la fratrie de David et de ses sept frères, et avec les parents de l’aveugle. Nos souffrances sont-elles déterminées par notre héritage génétique ? Sont-elles dues à nos traumatismes d’enfance ? Nos parents sont-ils coupables d’avoir été de mauvais parents ? Parfois hélas, on constate que le malheur se transmet, que les enfants mal aimés deviennent des adultes abîmés, incapables d’aimer à leur tour.

 

Jésus ne répond pas sur une cause passée. Pourquoi faudrait-il absolument un coupable ? Jésus n’accuse pas l’humain sur son passé ; mais il le sauve pour son avenir et l’amène à révéler la gloire de l’œuvre de Dieu, comme un témoignage vivant. Dieu nous libère de la fatalité, des cercles vicieux, des puits sans fond, de la répétition du même à laquelle nous nous croyons condamnés. Il nous libère de nos fautes comme de celles de nos parents.

Voir

Toucher, onction et lavement

Donc voici d’un côté la joie de la lumière qui ne demande qu’à être vue, et de l’autre côté l’aveuglement qui nous empêche de la voir. Alors la bonne nouvelle, c’est que Jésus guérit. Il nous guérit.

 

Jésus fait des gestes riches de sens.

  • La boue sur les yeux, c’est de l’argile, comme l’argile du potier, comme Dieu a modelé et façonné l’être humain. Ainsi l’aveugle est recréé, il devient comme dirait Paul un être humain nouveau. Maintenant il voit !
  • De cette terre, Jésus touche les yeux de l’aveugle. Car c’est par le toucher qu’il peut le mieux communiquer à un aveugle son amour. C’est une relation de proximité, d’intimité.

 

Et Jésus applique l’argile sur ses yeux, les imprègne d’argile. Et ici le verbe utilisé correspond au fait de faire une onction. Un geste semblable est opéré par le prophète Samuel sur le futur roi David, l’onction d’huile est signe royal. Et nous lisons : « Samuel prit la corne d’huile et lui conféra l’onction parmi ses frères. A partir de ce jour-là, le souffle du SEIGNEUR s’empara de David. » L’onction est associée à l’Esprit saint, au souffle de Dieu.

 

 

Enfin cette onction se retrouve dans le mot Christ, celui qui a reçu l’onction, qui est imprégné de Dieu.

 

Jésus applique sur les yeux de l’aveugle son onction. Comme si désormais l’homme voyait le monde par lui. Que Dieu nous donne nous aussi d’avoir les yeux du Christ, le regard du Christ.

 

Puis Jésus envoie l’aveugle se laver, comme on se lave les mains et les pieds. Il y a là encore un symbole, comme quand Jésus lave les pieds de ses disciples. C’est comme un bain rituel de purification, comme un baptême de conversion pour le pardon des péchés.

 

Dieu nous guérit de nos plaies spirituelles. Il nous guérit non seulement des maladies que nous avons acquises, mais même de celles que nous avons toujours eues et qui semblent nous constituer. Il nous guérit de nos identités jamais développées, de nos faiblesses intrinsèques, de ce qui nous colle à la peau parce que c’est sous la peau, à l’intérieur de nous, apparemment indissociable de nous. Il nous console des pleurs de notre naissance, de notre humanité limitée.

 

 

Pour la première fois

Un discours de sagesse dirait à l’aveugle d’accepter son handicap, d’admettre ses imperfections, de se résigner. Mais Jésus ne fait pas un tel discours. À la place, il agit. Il agit contre l’emprise insupportable du mal, et il l’abolit, et il redonne une vie plus belle que jamais. Le changement de vie que déclenche cette rencontre guérison avec le Christ, cette conversion, c’est une découverte fabuleuse, inimaginable. Recevoir ce don de Dieu, cette grâce, c’est ouvrir les yeux pour la toute première fois sur la beauté du monde.

 

Jésus dit à Nicodème : « Amen, amen, je te le dis, si quelqu’un ne naît pas de nouveau, il ne peut voir le règne de Dieu. » (Jean 3,3).

Quand depuis la naissance, nous sommes aveugles, Dieu nous donne une nouvelle naissance. Il nous fait naître d’en haut, il nous fait voir vers le haut, il nous relève, nous élève, nous ressuscite.

 

Seigneur, donne-nous des yeux pour voir, pour voir ta lumière, pour voir ton royaume. Voir simplement tout ce que tu as déjà fait pour nous, et ce que tu fais aujourd’hui. Simplement te voir. Touche seulement nos yeux. Alors avec tes yeux, comme toi nous verrons au cœur, et cette vision nous remplira de joie.

 

Amen.

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