Marthe, Marthe (Luc 10,38-42)

Prédication du dimanche 20 juillet 2025

La grâce de Marie

Ici Jésus révèle à Marie sa grâce. Il nous autorise à simplement écouter, assis à ses pieds, et se laisser aimer.

 

C’est un évangile de liberté. Pas de loi imposée, pas d’obligations à remplir, pas de devoir à accomplir, pas d’œuvres à opérer. Le Christ seul suffit. En lui nous avons tout. La vie est simple et facile, finalement, quand elle est centrée sur l’essentiel, sur l’écoute de Jésus Christ.

 

Jésus nous dit : Toi aussi, choisis la bonne part ! Choisis la vie ! C’est aussi simple que d’être assis à mes pieds. Dépose auprès de moi tous tes soucis, tout ce qui te trouble, te tarabuste, te fait perdre la tranquillité et la paix, ce qui te cause de l’anxiété et augmente un peu trop ta pression artérielle.

 

Deux chapitres plus loin, Jésus nous donne à regarder les corbeaux et les lis :

« Et vous, ne cherchez pas ce que vous allez manger ou ce que vous allez boire, et ne vous tourmentez pas. Tout cela, en effet, c’est ce que les gens de toutes les nations du monde recherchent sans relâche ; votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez plutôt son règne, et cela vous sera donné par surcroît. […] Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. » (Luc 12,29-31.34).

Nous pouvons redécouvrir l’abondance de la création, sa gratuité, sa simplicité heureuse, la générosité sans limite de notre créateur et l’amour de notre Père. À quoi sert-il d’être humain si les oiseaux sont plus heureux que nous ? Si les oiseaux peuvent vivre de grâce et d’eau pure, et chanter, nous le pouvons aussi.

 

Nous pouvons savourer la joie d’être auprès de Jésus, sans compter notre temps, et dans le repos, la confiance. Oui le bonheur se niche là, à portée d’oreille, si nous prenons le temps de ne rien faire, c’est-à-dire d’ouvrir un espace à Dieu.

 

Marie connaît le secret de la prière, du silence. Elle sait la beauté du temps vécu avec Jésus. Elle a trouvé ce trésor, l’unique nécessaire. Elle a tout pour vivre. Dieu est un Dieu de grâce. En lui nous avons tout. Nous trouvons une grande paix, une légèreté, et rien ne nous manque.

 

« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » (Matthieu 11,28).

 

On pourrait s’arrêter là, dans cette pureté merveilleuse, lumineuse, de la présence de Jésus à contempler.

Mais Marthe a raison !

Pourtant le récit est encore beaucoup plus riche et plus complexe. Jusque là nous nous sommes focalisés sur Marie, qui paraît comme un modèle parfait. Mais justement, il y a Marthe, sa sœur, son double, presque sa jumelle. Est-ce que si Marie a raison, Marthe a forcément tort ?

 

Tout à coup des étonnement surgissent, des questions. Juste avant ce texte, Jésus a raconté l’histoire du Samaritain qui montre de la compassion, et il a terminé en disant : « Va, et toi aussi, fais de même. » (Luc 10,37). Donc il n’est pas vrai que Jésus ne s’intéresse pas à ce que nous faisons, que faire est forcément vouloir se sauver soi-même par ses œuvres en contradiction avec la grâce. Non, Jésus n’est pas en train de nous inciter à la paresse et de nous dire de ne jamais rien faire.

 

Et puis Marthe est quand même sympathique, à côté de Marie la parfaite, elle nous ressemble un peu plus. Bien sûr, les mères de famille s’y reconnaîtront facilement, elles qui consacrent tant d’énergie pour permettre à toute la maison de vivre agréablement. Mais aussi tous ceux qui travaillent dur ou s’engagent pour les autres, pour la société, pour l’Église, peuvent se retrouver dans cette envie de souffler un peu, alors que nous ne nous y autorisons pas toujours.

 

En ce vingt-et-unième siècle, en France, nous sommes très privilégiés car les progrès techniques et les avancées sociales ont permis de réduire le temps de travail à 35 heures, d’avoir des congés payés et des retraites. Les tâches ménagères aussi sont facilitées par les machines et les robots. Nous pouvons avoir du temps libre. Pourtant le travail est toujours trop dur et trop long, la retraite toujours trop tardive et trop courte. La question que pose Marthe, c’est comment réenchanter le travail ? Le travail continuera à faire partie de notre vie. Au lieu de ne vivre que dans l’attente de la retraite (qui n’est pas toujours aussi rose), il faudrait redonner goût au travail, lui donner sens, en faire un service utile. Mais deux mille ans après Marthe, la question des tâches ménagères reste toujours aussi sensible et pénible.

 

Marthe est fabuleuse aussi dans sa plainte grincheuse, si réaliste, si finement observée, si contemporaine. Marthe, la première féministe, qui s’insurge contre l’injustice et l’inégalité dans les tâches ménagères, et qui va sensibiliser un peu cet homme Jésus sur l’importance du sujet. Elle l’interpelle : « Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour servir ? Tu ne t’en soucies pas ? » Seigneur, tu laisse perdurer l’injustice dans le monde et dans les foyers, ça ne te dérange pas un peu ?

 

Je crois que la vraie héroïne de ce récit, le personnage principal, ce n’est pas Marie la parfaite et très lisse, mais bien Marthe qui a beaucoup plus d’épaisseur et de complexité, d’ambivalence. Grincheuse, mais qui n’a peut-être pas tort sur le fond.

 

En fait nous qui connaissons bien cet épisode, nous devons retrouver la réaction de celui qui le découvre pour la première fois. La réponse de Jésus est une chute totalement inattendue, elle crée un effet de surprise, pleine d’humour et de paradoxe, en ce sens qu’elle prend à contre-courant ce qui serait normal et juste. Il y a même du scandale et de la provocation.

 

Imaginons une seconde qu’assis avec Jésus dans le canapé, il n’y ait pas Marie la sœur de Marthe, mais Martin le mari de Marthe. Scandale, Jésus alors justifierait le patriarcat en disant à l’homme de ne pas se lever pour aider Marthe. Mais le fait que Marie soit une femme ne change rien, c’est tout aussi scandaleux qu’elle reste assise à ne rien faire pendant que Marthe se démène et s’épuise à la tâche. Jésus a donc une réponse bizarre, presque incompréhensible, en choisissant de ne pas soutenir Marthe.

 

On peut plaider encore pour Marthe en soulignant dans le premier verset que c’est Marthe qui reçoit Jésus. Non pas Marthe et Marie ensemble, mais Marthe seule au départ ; c’est son initiative et sa réalisation. Peut-être que Marthe connaît Jésus depuis longtemps, et que Marie est une nouvelle venue, qui a besoin d’abord de se nourrir de sa parole.

 

Est-ce que Marthe ne serait pas la grande sœur, et Marie la petite sœur ? Dans une lecture symbolique, Marthe comme le fils aîné représente Israël qui a fidèlement servi Dieu depuis toujours. Marie comme le fils cadet, le fils prodigue, représente les nations païennes qui se convertissent, et qui sont sauvées, non par leurs œuvres mauvaises, mais par pure grâce.

 

Alors la parfaite au départ ce serait Marthe, et non Marie. Marthe, qui invite Jésus chez elle, qui prend soin de lui comme le Samaritain a pris soin de l’humain à demi-mort, qui pratique l’hospitalité, qui amène même sa sœur à la foi en lui faisant rencontrer Jésus chez elle. Dans la culture juive d’ailleurs une femme n’était pas censée recevoir un homme chez elle ; Marthe a ce courage.

 

Même si Marthe est parfaite, même si Marie n’est pas parfaite, celle-ci a aussi sa place aux pieds de Jésus. Jésus a sa justice qui n’est pas la nôtre, comme pour les ouvriers de la onzième heure, dont le salaire n’est pas proportionnel au temps travaillé. Marthe et Marie sont toutes les deux les bienvenues aux pieds de Jésus.

Marthe et Jésus

Et donc Jésus ne reproche pas à Marthe de l’avoir invité chez lui, de lui avoir sans doute préparé le repas et d’avoir tout rangé, tout nettoyé comme jamais pour l’accueillir au mieux. Il n’y a aucune raison de penser que Marthe se laisse disperser ou distraire par des soucis du monde ou une multiplicité d’activités futiles ; non, ce qu’elle fait est utile. Jésus ne lui reproche pas son service, qui manifeste son amour pour lui.

 

Mais d’abord, il l’appelle par son nom : « Marthe, Marthe ! » Il le répète deux fois, comme si souvent quand Dieu appelle quelqu’un selon la Bible : « Abraham, Abraham ! » (Genèse 22,11). « Moïse, Moïse ! » (Exode 3,4). « Samuel, Samuel ! » (1 Samuel 3,10). « Saoul, Saoul ! » (Actes 9,4). Ainsi il rencontre Marthe face à face, se révèle à elle, lui donne une vocation.

 

Et puis il répond à l’interpellation de Marthe – qui est une forme de prière dans la révolte ou la colère, comme un psaume, un cri. Oui, lancer à Dieu ce qui nous pèse et nous rend furieux, appeler au secours, c’est aussi prier. Jésus répond donc au cri de prière de Marthe.

 

Le problème de Marthe, ce ne sont pas ses actes ; ils sont irréprochables, et elle fait même plus que nécessaire. Son problème, c’est qu’elle n’est pas heureuse. Elle se sent seule. Le service est devenu pour elle servitude, asservissement. Elle n’a pas de joie, elle devient jalouse du moment de grâce que vit sa sœur avec Jésus.

 

Alors Jésus vient d’abord la détendre. Tu peux laisser un grain de poussière, surtout si tu es fatiguée. Ce n’est pas grave si nous mangeons un repas simple, vite préparé, et pas de la haute gastronomie. Tu sais, parfois, des règles et des devoirs te pèsent, mais Jésus n’a rien demandé. C’est toi-même qui t’es imposé de faire tout cela. Tu es libre de laisser tomber ces fausses règles religieuses qui t’emprisonnent.

 

Écoute Jésus-Christ, d’une écoute obéissante bien sûr, mais que ce soit à lui que tu obéisses, à ce qu’il t’aura dit. Bien sûr, continue à servir, ta maison restera belle et accueillante pour le Christ. Mais évite le burn-out. Évite la tristesse et le ressentiment, l’amertume et la lassitude. Comment mieux vivre le service ? En te ressourçant auprès du Christ.

Assis dans le ciel

Marthe et Marie sont deux sœurs, parce que les deux vont ensemble, et ne s’opposent pas. Dans le culte, nous ne vivons pas l’écoute de la parole contre le service des tables, la sainte-Cène ou la diaconie ; mais nous vivons tout cela à la fois. Et avant tout, nous vivons de la présence du Christ.

 

Chercher d’abord le royaume des cieux. Comme dit la lettre aux Colossiens :

« Si donc vous vous êtes réveillés avec le Christ, cherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu. » (Colossiens 3,1).

Ce regard élevé est aussi la source de la joie, la possibilité de choisir notre vie, sans oublier la bonne part, sans perdre de vue celui qui compte vraiment et qui assure notre équilibre.

 

Et aux Éphésiens :

« c’est par grâce que vous êtes sauvés – il nous a ressuscités ensemble, et nous a fait asseoir ensemble dans les lieux célestes, en Jésus-Christ, afin de montrer dans les siècles à venir l’infinie richesse de sa grâce par sa bonté envers nous en Jésus-Christ. » (Éphésiens 2,5-7).

Être assis en Christ, c’est notre repos, notre assise, notre force, c’est aussi en l’écoutant, apprendre et se mettre à son école, devenir disciple. Nous sommes assis en Christ, dans sa grâce ! Amen !

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