Nuée lumineuse et métamorphose (Matthieu 17,1-9)

Prédication du dimanche 6 août 2023 (avec Daniel 7,9-14 et 2 Pierre 1,16-19)
Sinaï

Silence et montagne

Mercredi nous avons eu une pastorale de consistoire, et j’ai pu rencontrer mes collègues. L’un deux a raconté que pour des cultes d’obsèques, il propose souvent une liturgie allégée, avec un temps de méditation silencieuse. Et un autre a remarqué que nous ne sommes pas très bons pour le silence. Les paroles s’enchaînent. Le silence semble trop vide, il nous fait peur.

Et pourtant le silence est essentiel à la prière, à l’intériorité.

Pour prier, Jésus se retire sur la montagne. Il se retire de la foule : ici il ne prend avec lui que trois disciples, dont deux frères. Il les connaît bien, ce sont des amis. Il se retrouve dans l’intimité.

Dans le tourbillon quotidien, nous risquons d’oublier Dieu, ou de ne pas réussir à faire taire l’agitation pour entrer dans la prière, dans la paix, le repos, l’écoute. Alors ce temps d’été peut être l’occasion de prendre du recul, de vivre une retraite intérieure, de nous recentrer spirituellement.

Monter dans la montagne, c’est s’élever au-dessus de la vie ordinaire, pour s’approcher du ciel. La montagne est symboliquement à mi-chemin entre terre et ciel. C’est un lieu où rencontrer Dieu.

Moïse et Élie, l’un comme l’autre, sont montés dans la montagne de Dieu, l’Horeb, ou le Sinaï, et ont rencontré Dieu. Moïse au moment du buisson ardent (Ex 3), puis encore au moment de recevoir les tables de la loi (Ex 24), et à nouveau quand il reçoit une deuxième fois les tables de la loi pour remplacer celles qui ont été brisées (Ex 34). « Fais-moi voir ta gloire », dit Moïse (Ex 33,18). « Le Seigneur descendit dans la nuée, se tint là auprès de lui et proclama le nom du Seigneur. » (Ex 34,5).

Élie, quand il est découragé, se croit le seul prophète au monde, et a envie de mourir : il trouve Dieu dans l’immobilité d’une brise imperceptible, dans la voix d’un fin silence (1 R 19).

Et la tente, et la nuée, sont les lieux de la présence de Dieu. La tente, c’est le tabernacle, la tente de la rencontre, qui devient ensuite le sanctuaire, le temple de Dieu, le saint des saints.

La nuée c’est la gloire de Dieu. En Exode 24, Dieu conclut l’alliance avec son peuple : « Moïse pénétra à l’intérieur de la nuée et monta dans la montagne. Moïse fut dans la montagne quarante jours et quarante nuits. » (Ex 24,18).

Et à la fin du livre de l’Exode, la tente est achevée. « Alors la nuée couvrit la tente de la Rencontre, et la gloire du Seigneur remplit la Demeure. » (Ex 40,34).

Il y a donc une grande cohérence, une relation très étroite entre la montagne, la nuée, la tente : ce sont des lieux de présence de Dieu.

Visible invisible

Lieux de la révélation, de la gloire de Dieu. Mais c’est une révélation très étonnante, qui se voile en même temps qu’elle se dévoile.

Si Jésus voulait montrer sa gloire, pourquoi va-t-il à l’écart de la foule ? Pourquoi monte-t-il dans l’isolement et le silence de la montagne ? Pourquoi une tente dans laquelle seul Moïse et Josué osent à peine entrer ? Pourquoi voir une nuée, c’est-à-dire un nuage, un brouillard, un flou ? Pourquoi donner à voir une vision, et la cacher aussitôt, et faire entendre une voix qui appelle à écouter ?

Dans notre imaginaire, une apparition est forcément grandiose, glorieuse, évidente, spectaculaire. Elle s’impose comme une preuve absolue. Comme si la difficulté était de croire sans avoir vu, comme s’il suffisait de voir pour croire. Mais la vision ici est brève et avec un nombre limité de témoins. Et les témoins éblouis, effrayés, tombent face contre terre pour ne plus regarder.

Dans cette vision, ce qui est vu n’épuise pas l’immensité de l’invisible. Nous voyons l’intensité de la lumière, le mystère de la nuée, nous entendons une voix, et tout cela ne nous donne pas l’image de Dieu, si ce n’est le visage de Jésus, qui paraît en même temps tout ordinaire.

Jésus se révèle comme fils de l’homme, c’est-à-dire comme être humain, mais aussi en référence à la vision de Daniel, comme une figure divine. Sa divinité apparaît. Et tout de suite il annonce qu’il se réveillera d’entre les morts, tout en demandant de ne pas parler de cette vision pour l’instant. Jésus est toujours entre l’obscurité de la croix et la gloire de la résurrection.

« Comme il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit de son ombre » (Mt 17,5). La vision s’interrompt par cet oxymore d’une nuée lumineuse. Entre ombre et lumière, nous sommes dans la présence de Dieu. Cette nuée lumineuse nous échappe. Et souvent des éléments de la foi restent dans l’ombre. Nous ne pouvons pas donner d’explication ; et une tentative d’analyse rationnelle passe à côté du mystère de Dieu. Souvent la seule réponse devant Dieu, c’est « Je ne sais pas ». Oui, il demeure une impossibilité de parler de Dieu, invisible, inconnu. Nous ne savons pas tout sur Dieu. Mais nous ne savons pas rien non plus. Dieu se dévoile aussi, et nous entrevoyons sa gloire.

C’est peut-être comme à la sortie d’Égypte, où le peuple d’Israël est accompagné par une colonne de nuée le jour, et une colonne de feu la nuit. On pourrait dire une nuée lumineuse. Le jour sous le soleil et la canicule, l’ombre de la nuée est heureuse. Et la nuit, au contraire, la lumière est la bienvenue. Dieu nous donne un degré équilibré entre ombre et lumière, pour ne pas être éblouis par l’incandescence des rayons lumineux, ni perdus dans la profondeur des ténèbres.

Quand Dieu se révèle à nous, puissions-nous être comme Moïse : « Moïse descendit du mont Sinaï : les deux tablettes du Témoignage étaient dans la main de Moïse lorsqu’il descendit de la montagne ; Moïse ne savait pas que la peau de son visage s’était mise à rayonner lorsqu’il avait parlé avec lui. » (Ex 34,29).

Puissions-nous rayonner d’avoir vu Dieu !

Métamorphosés

La transfiguration, si on suit la racine grecque, c’est une métamorphose. Jésus a été métamorphosé devant nous. Transformé. Comme s’il fallait qu’il change de visage pour révéler son vrai visage.

Et nos vies aussi sont appelées à être métamorphosées par le contact avec Dieu ; à changer de forme. Avec le même préfixe grec méta, on trouve métaphysique ou métavers, comme un autre univers à côté ; métanoïa, c’est-à-dire la conversion, le changement de pensée. Dieu nous appelle à changer pour devenir plus profondément qui nous sommes. Qui nous sommes dans son projet.

Cette métamorphose arrive « six jours après », nous dit le premier verset du texte. Une interprétation de ces six jours les rapproche du sixième jour de la création, où Dieu dit : « Faisons les humains à notre image, selon notre ressemblance » (Gn 1,26). Notre vrai visage, c’est de ressembler à Dieu. C’est dans ce sens que Dieu nous appelle à changer, pour que nous devenions tels qu’il a désiré nous créer. Voilà qui nous sommes, voici notre identité : nous sommes à la ressemblance de Dieu.

Comme dit Paul en 2 Corinthiens 3 : « Nous tous qui, le visage dévoilé, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, de gloire en gloire ; telle est l’œuvre du Seigneur, qui est l’Esprit. » (2 Co 3,18).

Alors puisque nous sommes transfigurés, métamorphosés par la présence de Dieu devant nous, nous devenons témoins. Et ainsi la deuxième épître attribuée à Pierre le présente comme témoin de cette expérience de Dieu. L’auteur parle de cet épisode particulier en écrivant : « nous avons été témoins oculaires de sa grandeur […] Nous avons nous-mêmes entendu cette voix venue du ciel lorsque nous étions avec lui sur la montagne sacrée. » (2 Pi 1,16.18).

Que Dieu nous permette de faire cette expérience de voir sa présence et son action dans notre vie ! C’est une grâce, une grâce immense qui nous métamorphose, qui nous fait rayonner d’un éclat de lumière après avoir vu sa gloire, qui nous fait le refléter, et rendre visible sur notre visage l’image de Dieu notre créateur.

Seigneur, apprends-nous à prier, donne-nous la paix du silence, et ton Esprit-Saint qui parle à notre cœur, révèle-toi, fais-nous voir ta gloire. Car quand nous te voyons nous sommes totalement métamorphosés. Que le Seigneur fasse briller sa face sur nous !

Amen.

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