Pain du ciel (Jean 6,24-35 et Exode 16,2-15)

Prédication du dimanche 4 août 2024

Incohérence

Au désert

Au chapitre 15 de l’Exode, Moïse et les fils d’Israël chantent, et Miryam prend le tambourin, et les femmes dansent, parce que Dieu les a fait sortir d’Égypte, les a sauvés. Et puis dès le chapitre 16, ils se plaignent et se mettent à penser avec émotion à leur bien-être passé en Égypte.

Ma première réaction, c’est de me dire combien ils sont inconstants, incohérents dans leurs désirs, et stupides de regretter l’esclavage. Et combien ils perdent vite la foi en Dieu leur sauveur et leur nourricier ! Ils sont sans fidélité, sans persévérance. Ils sont ingrats et insatisfaits, au lieu de remercier Dieu.

 

J’ai envie de penser qu’ils ont la foi balbutiante de l’Ancien Testament, ignorant que Dieu ne les abandonnera pas, ne connaissant pas encore le Seigneur. Et qu’ils sont donc très loin de nous.

 

C’est vrai, ça ? Et si j’essayais de me mettre un peu à leur place. Les pèlerins de Saint-Jacques, au bout d’un mois et demi de randonnée, aspirent à se reposer, à se détendre, à reprendre des forces. Ça fait un mois et demi que les Israélites sont sortis d’Égypte, un mois et demi sans doute à marcher, à fuir, à errer. Ils connaissent la soif, puis ils boivent l’eau de Mara purifiée, et font alors une pause bienvenue près de l’eau et des palmiers, à Élim. Mais voilà qu’ils repartent, et arrivent dans un désert. Donc un soleil caniculaire, la peau collante de sueur et de poussière, des ampoules aux pieds, et finalement, plus rien à manger !

 

En fait je peux comprendre leur réaction. Je n’aimerais pas ressentir la faim, la vraie faim, qui prend toute la place dans les pensées jusqu’à ce qu’il devienne impossible de penser, qui nous affaiblit. Des gens sont de mauvaise humeur juste parce qu’ils ont faim. En fin de matinée mon grand-père qui est assez maigre grignotait du saucisson pour tenir jusqu’au déjeuner ; ses collaborateurs avaient remarqué que ce n’était pas un bon moment pour le solliciter. Donc nous sommes bénis de ne pas avoir faim, de ne peut-être même pas avoir connu la faim. Nous pouvons penser aux SDF qui mendient en écrivant sur un panneau en carton : « j’ai faim ».

 

Je comprends donc la détresse du peuple au milieu du désert. Et même sans avoir faim, je réagis comme eux. C’est tellement humain.

 

 

Aujourd’hui

Par exemple, je fais un achat. Ce n’est pas un achat compulsif, je réfléchis bien à mes besoins, je compare les caractéristiques de différents produits, et les prix de plusieurs magasins. Et finalement j’achète ce dont je rêvais. Et le lendemain, j’ai une autre idée, une envie nouvelle, je convoite l’achat d’un nouveau produit.

 

Vous pouvez l’adapter au produit qui fait envie, un vêtement, un livre, un film, un voyage, un produit high-tech, une décoration, une voiture, des fleurs… Nous avons et nous désirons encore plus.

 

Mais il y a d’autres situations où j’obtiens ce que je voulais absolument, et je suis légèrement déçu, car je ne me sens pas encore heureux et comblé, et je me plains encore.

 

Il m’est arrivé de pouvoir choisir le métier que je veux faire, de candidater pour l’emploi qui paraît presque parfait pour moi, et après quelques échecs, de finalement l’obtenir. Tout était merveilleux, j’avais trouvé ce que j’allais faire toute ma vie, c’était un soulagement et un confort d’avoir assuré ma vie professionnelle et mon autonomie financière. Et puis, au bout d’un an ou deux, j’ai déchanté un peu, je me suis lassé, j’ai critiqué. C’était devenu un travail ordinaire, et je me surprenais à rêver d’autre chose, à envisager un changement.

 

Dans les relations aussi, nous aimons une personne, et si cet amour est impossible, cela paraît être une tragédie, un malheur insupportable. Et si cet amour est possible, si nous épousons l’amour de notre vie, la vie n’est pas toujours toute rose pour autant. Il n’est pas si facile au quotidien d’aviver la braise et la flamme de cet amour.

 

Alors le peuple esclave a été libéré. Il a crié vers Dieu, et Dieu l’a entendu, l’a fait sortir d’Égypte avec de grands signes et prodiges. Et il murmure, il marmonne, il maugrée, il grommelle, il grogne, il grinche.

 

 

Après le signe des pains abondants

Au début de ce chapitre 6 de Jean, Jésus a donné le pain en abondance pour cinq mille hommes, puis il a marché sur la mer, et il s’est déplacé jusqu’à l’autre rive apparemment sans barque. Pourtant les gens demandent encore quel signe il fait ; c’est leur condition pour voir et croire. Les signes sont là et ils ne les ont pas vus. Jésus leur a déjà tout donné, ils murmurent et réclament encore.

 

Nous avons la même incohérence. Moi aussi je suis stupide, ingrat de me plaindre.

 

Nous avons prié Dieu, et Dieu a répondu, et nous a exaucés. Est-ce que nous pensons à nous souvenir de tous ses dons, à le louer, à lui dire merci ? Est-ce que nous vivons dans l’action de grâce, en êtres humains sauvés, nés de nouveau ?

 

Revenez à Dieu. Lui ne nous déçoit pas. Vous êtes croyants. Alors demandez à Dieu d’être votre pain. Il y a une raison pour laquelle vous croyez. Allez le chercher. Souvenez-vous. Vous êtes sortis d’Égypte. Il vous a libérés. Partez de là, du don passé de Dieu pour espérer le don futur de Dieu. Votre vie ne sera plus jamais la même.

 

Dieu qui est, qui était et qui vient

Le peuple au désert regrettait l’Égypte, et voilà que la foule devant Jésus regrette le désert. Et nous peut-être nous regrettons Jésus. Toujours dans l’envie d’autre chose, nous idéalisons un passé que nous n’avons pas connu.

 

La foule dit à Jésus : « Nos pères ont mangé la manne dans le désert, selon ce qui est écrit : Il leur donna à manger du pain venu du ciel. » Il leur dit : « Amen, amen, je vous le dis, ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel, c’est mon Père qui vous donne le vrai pain du ciel. » Ils ne sont pas heureux, mais Jésus corrige leur représentation de la réalité. Il les reprend sur quatre points :

  • celui qui donne le pain n’est pas Moïse mais notre Père ;
  • ceux qui reçoivent le pain ne sont plus les pères mais nous-mêmes ;
  • le pain n’a pas été donné, au passé, mais il est donné, au présent ;
  • ce n’est pas un pain simplement physique, c’est le vrai pain du ciel.

 

Ce n’est pas seulement dans le passé que Dieu prend soin de nous. Le passé n’est plus, ni l’abondance de l’Égypte, ni la manne du désert, ni la présence physique de Jésus. Mais Dieu veille encore. Il ne redonne pas l’Égypte, mais toute la terre, qui ruisselle de lait et de miel (Exode 3,8) ; pas la manne du désert, mais le pain vivant descendu du ciel, celui qui vient sur les nuées (Apocalypse 1,7), la cité sainte qui descend du ciel (Apocalypse 21,2), le royaume des cieux. Dieu nous donne le ciel. Le Dieu qui a tant donné par le passé donnera encore sans mesure à l’avenir. C’est notre espérance, une foi qui s’appuie sur une histoire avec Dieu, sur les faits par lesquels il a prouvé son amour pour nous. Connaître Dieu et ses actes passés fonde notre foi. Mais Dieu est au présent. Demain sera encore plus beau qu’hier.

 

Nous pouvons tout voir en noir, ou bien attendre de Dieu d’être sauvés.

 

Notre espérance est sûre, car malgré nos incohérences et nos oublis, Dieu est fidèle. Malgré notre grognement qui tient lieu de prière, Dieu répond. Il voit notre besoin, notre malheur, notre déception, notre faim persistante. Il ne nous fait pas de reproches. Au contraire, il fait des miracles. Il exauce sans juger, il pourvoit à nos besoins. Il donne ce que nous demandons. Il donne infiniment plus, il donne le vrai pain du ciel, il donne la vie à l’univers, il donne Jésus.

 

Avec lui, nous n’aurons plus jamais faim ou soif. Nous n’aurons plus ce creux qui nous ronge le ventre et ces grognements d’ours affamé. Nous n’aurons plus ce bout de carton « j’ai faim » qui résume notre misère.

 

Inconnu

Notre Père nous donne un pain inconnu, inattendu. La manne, c’est quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Les Israélites posent la question. Et nous ne sommes pas sûrs de savoir ce que c’était. Mais la manne, c’est quoi ? En araméen tardif, mân (מַן) est le pronom interrogatif « quoi » [en hébreu, mah (מָה)]. Le nom du pain est une question. Dieu nourrit son peuple de questions, d’étonnements, de choses nouvelles, inédites et inouïes. Les fils d’Israël ne savaient pas ce que c’était.

 

La manne, dit Moïse, « c’est le pain que le Seigneur vous donne à manger. »

 

Jésus clarifie encore et affirme : « Moi je suis le pain de la vie. » Il est ce pain inconnu, ce pain donné à l’affamé, ce pain qui fait vivre et qui ouvre un avenir. Il est ce pain de grâce donné gratuitement à celui qui espère et croit. Et cette foi c’est l’œuvre de Dieu. La gloire du Seigneur apparaît dans la nuée. C’est dans les nuages de notre vie que Dieu se fait voir dans sa gloire. Levons les yeux. Nous vivons et nous croyons parce que nous avons vu sa gloire (Jean 1,14). Sa gloire étonnante, nouvelle, inconnue comme la manne, comme le mystère de Dieu.

 

« Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. » (Matthieu 6,11).

Viens Seigneur Jésus, descends du ciel, donne vie au monde !

« Seigneur, donne-nous toujours ce pain-là. »

 

Amen.

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