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Perte et joie et vie (Luc 15,1-32)
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Prédication du dimanche 14 septembre 2025
Voici trois paraboles de la persévérance et de la joie.
Elles parlent aussi d’argent, et de perte ; perdre un mouton, perdre une pièce d’argent, perdre un fils. Gâcher sa vie, soit en partant et en dilapidant tout comme le fils cadet, soit en restant et en économisant trop comme le fils aîné.
Malgré tout, je reste attaché à ce que j’ai, je voudrais en avoir plus et je regrette ce que j’ai perdu. Les erreurs, les échecs, les actes manqués de ma vie. Or voici que Jésus nous annonce une grande joie : ce qui est perdu est retrouvé, redonné. Rien n’est perdu.
Cette joie se partage. Et justement, il y a une ombre avec le fils aîné, qui ne veut pas ou ne peut pas se réjouir avec les autres. Il ressent de la colère, de l’injustice, de l’exclusion. Alors le père aurait pu lui faire des reproches, comme il aurait pu faire des reproches à son jeune frère. Or le père l’accueille, et lui dit cette belle parole pour lui : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ». Le père a compris que son premier fils avait besoin lui aussi de sentir l’amour de son père. Et il le comble d’amour.
A nous d’imaginer la fin de l’histoire : le fils aîné peut-être sera lui aussi retourné par le père, réconforté et changé. Et il viendra dans la maison faire la fête, en redécouvrant le bonheur d’avoir un frère.
Je voulais commencer par la joie qui traverse ces trois paraboles, et les illumine. Croire à cette joie, nous y ouvrir, la partager avec notre famille et le ciel tout entier, c’est le premier message.
Je voudrais maintenant approfondir cet autre point commun entre les trois histoires : la perte.
Perdre quelque chose ou quelqu’un, c’est un deuil. C’est une émotion forte. Et il arrive à plusieurs d’entre nous de nous énerver quand nous perdons un objet, de nous acharner à le chercher fébrilement jusqu’à le retrouver.
La perte déclenche toutes les recherches du berger qui a perdu une brebis, et de la femme qui a perdu une drachme. C’est étonnant ; l’énergie et la rage mise à chercher paraît disproportionnée. N’est-il pas déraisonnable d’abandonner les 99 autres brebis, ou de ne pas se contenter des 9 autres pièces ? Pourquoi ne pas accepter la perte ? Ce n’est pas rationnel ou logique.
La troisième parabole nous donne une réponse à cette question. L’amour. Car dans la troisième parabole, ce n’est plus un animal ou un objet qui est perdu, mais un fils. Un fils non pas parmi cent, ni parmi dix, mais un fils sur seulement deux fils. Parce que c’est un être humain et que les fils sont rares, et surtout par l’intensité du lien qui attache un père à son fils, là nous comprenons l’intensité de la tristesse du père. Perdre un enfant est peut-être ce qui peut arriver de pire à des parents, y compris les enfants morts-nés qui sont nommés injustement une fausse couche, et niés jusque dans la façon de ne parler d’eux, ou un enfant mort en bas âge. Curieusement la troisième parabole reste très pudique sur l’expression de cette tristesse. Le père demeure et attend, il ne part pas à la recherche d’un fils qui a décidé de le quitter, il le laisse libre ; simplement à la fin il court à sa rencontre, ce qui laisse penser que tous les jours il n’avait cessé de guetter son retour.
En réalité la brebis et la drachme représentent aussi des humains (même si les images choisies ne sont pas neutres : cela révèle la valeur d’un seul animal, aussi précieux que l’argent, et la valeur d’un seul être humain). Dieu nous dit : Tu es précieux à mes yeux, tu es unique, et je t’aime, je ne veux pas te perdre !
Tu es ma fille ou mon fils. Et cet attachement du père fait écho au récit de Jacob et Joseph. Jacob a perdu son fils Joseph, que ses frères ont fait passer pour mort, et qui était en réalité emmené comme esclave en Égypte. Des années plus tard, à cause de la famine, Siméon a été retenu en prison en Égypte ; et maintenant on lui demande de se séparer de Benjamin. Jacob s’y oppose d’abord en disant : « Vous me privez de mes enfants ! Joseph n’est plus, Siméon n’est plus, et vous prendriez Benjamin ! » (Genèse 42,36). Mais après un long plaidoyer de son fils Juda, il y consent :
« Que le Dieu tout-puissant vous fasse trouver grâce devant cet homme, et qu’il laisse revenir avec vous votre autre frère et Benjamin ! Et moi, si je dois être privé de mes enfants, que j’en sois privé ! » (Genèse 43,14).
Voilà qui illustre l’amour d’un père pour ses fils, jusqu’à même accepter de les perdre, un amour dépouillé et non possessif. Un amour qui laisse libre, et nous entendons combien cela coûte d’accepter la perte.
De son côté, le fils plus jeune de la parabole commence à lui aussi ressentir le manque, le besoin matériel, la faim, et le regret, et le désir. Lui aussi vit une perte, la perte de son père. Quand il entre en lui-même, alors il se passe quelque chose qui lui fait faire un demi-tour complet. Il se lève, il ressuscite, et revient vers son père. Que nos manques se transforment en désir de Dieu. Que le lieu de nos faiblesses, de nos erreurs ou de nos insatisfactions, de notre faim inassouvie, deviennent le lieu de la grâce et de Dieu qui donne tout en abondance, nous comble, nous rassasie. Dieu change nos pertes en retrouvailles, nos malheurs en bénédictions, nos sentiments de mort en joie de la vie. Dans nos manques il met sa plénitude.
Voici le passage magnifique où Jacob apprend que Joseph son fils est vivant :
« Ils lui dirent : Joseph est encore en vie, c’est lui qui gouverne toute l’Égypte ! Mais son cœur resta insensible, parce qu’il ne les croyait pas. Ils lui dirent tout ce que Joseph leur avait dit. Il vit les chariots que Joseph avait envoyés pour le transporter. C’est alors que Jacob, leur père, reprit vie ; Israël dit : Cela suffit ! Mon fils Joseph est encore en vie ! Que je le voie avant de mourir ! » (Genèse 45,26-28).
Jacob avait cessé de vivre, cessé d’aimer la vie, depuis la disparition de Joseph. Et voilà qu’il revient à la vie. Ce n’est n’est donc pas seulement le fils qui était mort, et qui est vivant. Le père aussi ressuscite avec le fils. Le père se mourait et il vit, il respire dans cette joie inimaginable !
Que fait le père alors ? Jacob se met debout et part en Égypte, en terre de Goshen.
« Joseph attela son char et monta vers Goshen, à la rencontre d’Israël, son père. Dès qu’il parut, il se jeta à son cou et pleura longtemps à son cou. Israël dit à Joseph : Je peux mourir maintenant, puisque j’ai vu ton visage et que tu es encore en vie ! » (Genèse 46,29-30).
Il y a ce même élan où père et fils vont à la rencontre l’un de l’autre. Et le fils se jette au cou du père.
Enfin il reste un détail qui donne de l’espérance pour le fils aîné : les frères de Joseph ont vécu les mêmes effusions que le père et son fils, l’émotion débordante et qui coule en larmes, la réconciliation, et la vraie fraternité enfin trouvée :
« Il se jeta au cou de Benjamin, son frère, et se mit à pleurer ; Benjamin aussi pleura à son cou. Il embrassa tous ses frères, en pleurant. Après cela, ses frères purent parler avec lui. » (Genèse 45,14-15).
Nous pouvons, nous aussi, retrouver notre père du ciel et retrouver la vie, et trouver des frères et sœurs. Dieu redonne ce qui était perdu, il sauve ceux qui étaient mourants. Il donne par avance tout l’héritage, tous les moyens d’existence, son corps et son sang, l’essence de sa vie.
Que nous aussi, nous fassions ce voyage intérieur qui nous conduise à le trouver comme jamais, ce retour plein de joie. Le père nous attend, et si nous le voulons, il est prêt à aller nous chercher jusqu’au bout du monde. Tombant à notre cou, il nous serre très fort dans ses bras.
Dieu nous donne son fils, ce fils qui est parti distribuer les richesses du père même au milieu des païens et des cochons. Ce fils qui n’a rien gardé pour lui, au point de mourir, mourir de faim, mourir de la haine humaine, mourir comme l’agneau de Dieu. Il est ressuscité, et il est revenu à son père. Et c’est une grande fête dans le ciel.
Le Christ est avec nous. Nous ne manquerons de rien ; car il emplit nos manques. Réjouissons-nous ! Amen !