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Quand je suis faible (2 Corinthiens 12,7-10)
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Prédication du dimanche 7 juillet 2024
Qui n’a pas le désir, le rêve, et même la volonté d’être fort ? Le physique de nos rêves ressemble peut-être à un acteur ou une actrice de cinéma, avec la beauté, la jeunesse, la taille, la minceur, l’athlétisme. Ce n’est pas le corps pour lui-même, mais le corps qui apporte la santé, la sécurité physique, l’amour, autant de besoins essentiels. Et au-delà, il y a des personnes qui exercent un magnétisme, un charisme, une autorité et un rayonnement par un corps éblouissant.
Et nous rêvons d’ajouter à la puissance physique la force de l’intelligence, intellectuelle, relationnelle, émotionnelle, une capacité à communiquer pour immédiatement comprendre les gens et être compris par eux. Nous admirons encore la volonté, la ténacité, le courage, la persévérance.
Enfin, pour Paul, et pour nous croyants, il existe aussi une ambition spirituelle. Être un homme de Dieu, d’une foi extraordinaire, être un saint, un grand prédicateur ou un théologien marquant, avoir la foi juste et éclairée, avoir éliminé les superstitions et choisi la meilleure Église. Réussir dans le domaine qui compte vraiment : la foi. « Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : ‟O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou encore comme ce collecteur des taxes” » (Luc 18,11). Spirituellement aussi il y a un orgueil et une tentation.
Mais profondément, c’est une quête d’identité, d’amour de soi. Nous cherchons à accomplir des actes pour définir qui nous sommes, et prouver que nous valons quelque chose. Et c’est une quête d’amour de l’autre. Je me dis que si j’ai toutes ces qualités, l’autre m’aimera, attiré par ma beauté, ma réussite matérielle, ma joie, tout ce que je peux lui apporter. Ou plutôt j’imagine que si l’autre ne m’aime pas, c’est qu’il me manque une qualité. À la rigueur je peux me contenter de mes imperfections, m’y habituer ; l’autre en revanche me les rappelle, ne les accepte pas et me les reproche.
Donc c’est bien ennuyeux d’être imparfait, mais c’est la réalité. Même le grand Paul a une faiblesse ; nous ne savons pas exactement laquelle, il emploie un langage figuré.
Parfois l’écharde ou l’adversaire, c’est l’autre. L’autre nous horripile, il ou elle révèle mes faiblesses, même celles que j’ignorais avoir. À son miroir, je me découvre atroce, je découvre que je suis très loin d’être parfait. Or j’ai besoin de cet autre ; je ne me suffis pas à moi-même. Je découvre aussi que l’autre, dont la présence est difficile, me manque en son absence. Je ne peux pas me passer de lui ou d’elle. Je suis dépendant, et non autosuffisant. Impossible de vivre avec l’autre, impossible de vivre sans l’autre.
Voilà donc que je vois mes faiblesses. Je ne suis pas celui que je veux être, ou que je voulais être. Je rêve d’être un grand artiste, et mon talent est médiocre. Je rêve de changer le monde, et je suis frustré de voir la réalité inchangée. Je rêve d’une vie extraordinaire, unique, et je vis simplement comme tout le monde. Mes actes sont imparfaits, ma foi aussi est imparfaite. Que faire de mes faiblesses ?
Je peux les cacher. Je les cache à la fois pour moi, pour paraître fort, et pour l’être, au moins dans le regard des autres. Et je cache mes faiblesses à la fois pour les autres. Me montrer fort c’est soutenir l’autre. L’aider, et ne pas me faire aider. Protéger, plutôt qu’avoir besoin de protection. Donner, et pas recevoir. C’est généreux, et cela rend heureux. Selon le livre des Actes, Paul dit : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. » (Actes 20,35). Oui mais attention au syndrome du bon Samaritain : la personne qui veut à tout prix aider les autres, même quand ils n’en ont pas besoin. Rendre service est devenu sa façon d’exister, une façon subtile de se placer au-dessus de l’autre, un nouvel orgueil spirituel. L’aide ne doit pas être toujours à sens unique, sinon nous entretenons une relation asymétrique de dépendance et domination. Il faut savoir recevoir de l’aide.
Tout de même, il est bon de prendre sur soi, pour ne pas faire peser toutes mes faiblesses sur les autres. Eux aussi ont leurs failles, leurs problèmes, même s’ils les cachent bien ; ils ont besoin de quelqu’un de fort peur eux. Ils ne sont pas forts au point de pouvoir supporter toutes mes faiblesses. Donc il ne faut pas toujours exprimer ses faiblesses, mais aussi se montrer fort pour l’autre.
Inversement, je peux dévoiler mes faiblesses. Cela suppose une confiance, une sincérité, une humilité. Personnellement je suis très touché quand quelqu’un me livre ses faiblesses. Il me semble que je ne le connais pas seulement en façade, mais en profondeur. Dans cette intimité apparaît déjà une force de la faiblesse. La faiblesse dévoilée sort d’une logique d’apparence, de concurrence et de course à la perfection. Elle ne menace pas, elle désarme. Elle adoucit la vie.
Il n’y a pas deux catégories de personnes, les forts et les faibles. Classer ainsi les gens, c’est les juger, c’est très cruel. Et c’est mal les juger, c’est se contenter d’un préjugé rapide sur la première impression. Nous ne sommes ni forts ni faibles, mais les deux à la fois. Nul n’est toujours fort, même si nous ne voyons pas ses faiblesses. Et nul n’est toujours faible. Une fausse modestie pourrait nous faire nous présenter comme toujours faibles. Nous devenons victimes, nous nous apitoyons sur nous-mêmes. Cette faiblesse exposée, étalée fait horreur, fait fuir les autres. L’humilité réelle, c’est la vérité. Non je ne suis pas le plus malheureux du monde. J’ai des forces.
« Ma grâce te suffit », cette grâce est le don de Dieu. Qui suis-je pour ne pas m’aimer, si Dieu m’aime ? Qui suis-je pour ne pas me pardonner, si Dieu me pardonne ? Je suis une création de Dieu, une merveille. Je peux sentir le regard du Père sur moi, ou encore l’amour maternel de Dieu ; car les entrailles de miséricorde de Dieu sont un vocabulaire féminin qui évoque l’utérus maternel. Le Psaume 139 dit :
« C’est toi qui as produit les profondeurs de mon être, qui m’as tenu caché dans le ventre de ma mère.
Je te célèbre, car j’ai été fait de façon merveilleuse. Tes œuvres sont étonnantes, je le sais bien. » (Psaume 139,13-14).
Quand Dieu me comble de son amour, je suis réconcilié, en paix avec moi-même.
Face à mes faiblesses, je peux me révolter, comme Paul semble l’avoir fait en prière, en combat spirituel. Pourquoi je souffre ? C’est le désarroi, la plainte de Job. Pourquoi j’échoue ? Pourquoi le mal triomphe-t-il en moi? Pourquoi suis-je si faible ? Trois fois Paul supplie le Seigneur. Et apparemment sa prière n’est pas exaucée ; la faiblesse reste. Je ne reçois pas la toute-puissance. Mais je reçois la grâce, et cette parole : « Ma grâce te suffit ».
Dieu me donne sa puissance, son miracle, sa dynamique, sa force qui met en mouvement.
Dieu se loge dans ma faiblesse, la faille par laquelle il pourra entrer. L’amour de Dieu s’insère dans les fissures et les béances de mon cœur. Lui seul comble l’immensité de ma soif, de mon désir.
Ma force est en Dieu. Je ne peux dire cela qu’après avoir découvert que ma force n’est pas en moi, que par moi-même je suis faible. Mais Dieu vient habiter la faiblesse humaine, dans l’incarnation. La naissance de Jésus change Dieu, et change l’être humain. La faiblesse humaine est remplie par l’Esprit-Saint ; et Dieu dans sa force connaît aussi la faiblesse. Et cela s’accomplit sur la croix, mortelle faiblesse de Dieu. Mais dans la profondeur même de la faiblesse totale de la mort, apparaît la vie : Dieu crée une force de résurrection. Le ressuscité est fort, mais d’une façon différente, il n’ignore pas la faiblesse, il l’a traversée et vaincue.
Boèce, philosophe chrétien romain autour de 500 après Jésus-Christ, écrit : « Surmontée, la terre donne les étoiles » (« Superata tellus, sidera donat »).
Nous avons les qualités de nos défauts. Nous pouvons convertir nos faiblesses en forces. Nous pouvons déconstruire les forces et les faiblesses.
Ces forces que nous n’avons pas, que nous admirons tant, sont aussi des faiblesses. L’assurance, la confiance en soi ont pour revers la vantardise, et peuvent cacher un besoin de validation et de reconnaissance. Une personne décidée et volontaire risque de devenir un tyran qui décide seul et trop vite. La force peut dériver en violence. La beauté peut engendrer un sentiment de supériorité, une cruauté. Sur toutes les qualités, l’égocentrisme guette.
J’ai aimé ce qui a été dit de moi dans l’évaluation de mon proposanat ; je vous en remercie. Les gens voient assez vite que j’ai une certaine timidité. Certes, mais timide, ce n’est pas ainsi que je me définis, je me sens beaucoup d’autres choses, qui se voient peut-être moins immédiatement. Vous m’avez dit que j’étais timide, mais que cela permettait aussi un espace pour l’écoute et la discussion ; et que malgré tout je savais ce que je voulais. Vous avez pris le temps de me connaître, et vous me présentez un portrait fin et nuancé. Là je m’y reconnais.
Même la faiblesse physique peut être l’occasion d’une douceur, d’une délicatesse, d’une légèreté. Un aveugle développe une excellente audition, peut devenir un excellent musicien. Le sentiment souvent est vu comme une faiblesse, parce que nous ne le contrôlons pas. Des pleurs nous échappent, la peur nous paralyse, nous perdons nos moyens. Oui mais cette sensibilité permet aussi un sens artistique ou une psychologie, une compréhension de l’autre. Les sentiments, les émotions, sont une force extrêmement puissante.
Les faiblesses nous rendent humains, finalement. Vivre avec une personne parfaite serait insupportable, je me sentirais sans cesse jugé, sans cesse incapable en comparaison. La faiblesse nous relie, elle laisse une place à l’autre.
Devant Dieu, je suis faible et sauvé. Sa grâce n’enlève pas ma faiblesse, ne me rend pas parfait ; mais elle me donne la vie, d’une force vitale que je ne trouve pas en moi, que je ne possède pas, que Dieu me donne à chaque instant. Nous vivons de cette dépendance à Dieu, comme un nouveau-né est infiniment faible, mais porteur d’une puissance de vie qui ne vient pas de lui. Dieu nous nourrit, nous buvons sa grâce qui surabonde.
Devant Dieu, je suis faible et sauvé. Sa grâce n’enlève pas ma faiblesse, ne me rend pas parfait ; mais elle me donne la vie, d’une force vitale que je ne trouve pas en moi, que je ne possède pas, que Dieu me donne à chaque instant. Nous vivons de cette dépendance à Dieu, comme un nouveau-né est infiniment faible, mais porteur d’une puissance de vie qui ne vient pas de lui. Dieu nous nourrit, nous buvons sa grâce qui surabonde.
Je suis et je serai, je deviens, par la grâce de Dieu, ce que je ne suis pas encore. Par la dynamique de Dieu, la faiblesse n’est pas une fatalité, elle est convertie en puissance d’amour, par sa grâce. Et l’autre, mon prochain, ma voisine, a les forces qui me manquent ; et réciproquement, j’ai les forces qu’il n’a pas. Il m’est arrivé de me disputer avec quelqu’un, puis nous nous sommes réconciliés, et nous étions devenus plus proches qu’avant, vraiment amis. Avec Dieu aussi, le lieu même de notre faiblesse, devient un lieu de grâce. Là s’accomplit non pas notre œuvre, mais l’œuvre de Dieu.
Paul dit : « pour que la puissance du Christ repose sur moi. » Et ce verbe traduit par repose donne une belle image. Christ déploie sa tente sur nous. De même Jean écrit dans le prologue de son évangile : « La Parole est devenue chair ; elle a fait sa tente en nous. » (Jean 1,14). Et dans l’Apocalypse, en parlant d’une grande foule en robe blanche, des branches de palmier à la main : « Celui qui est assis sur le trône fera sa tente sur eux. » (Apocalypse 7,15).
C’est l’image intime du nid, de l’abri. Dieu nous donne d’être, de demeurer, simplement. Je suis libéré de l’impératif de faire. Je suis, non par mes actes ou mes compétences, mais parce que Dieu déploie sa tente sur moi.
Dieu m’aime donc je suis. Je suis au sens de l’existence, car Dieu me donne la vie. Et je suis quelqu’un, je déploie l’essence de mon être, car Dieu donne contenu, orientation et sens à ma vie, à qui je suis.
Amen.