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Rassasiés (Luc 9,10-17)
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Prédication du dimanche 22 juin 2025
Jésus vient rencontrer les foules dans leur manque, il leur parle au cœur, il les comble. C’est une histoire de désir et de faim, une promesse d’abondance et de don.
Au départ, Jésus s’est retiré à l’écart, dans l’intimité, juste avec les douze apôtres de retour de mission. Nous imaginons cette retraite, ce besoin de se ressourcer paradoxalement dans un lieu désert, de se retrouver intérieurement, spirituellement. Il est beau de prendre ce temps à l’écart de l’agitation, ce temps pour soi, ce temps pour Dieu. Nous désirons arriver au cœur, dans notre vocation devant Dieu.
Et cet isolement n’est pas du temps perdu ; il est étonnamment lumineux, rayonnant, au point que les foules sont attirées. Jésus se laisse déranger ; il les accueille. Alors elles vivent un temps merveilleux, en écoutant les paroles du règne de Dieu, et en vivant des guérisons.
Mais le temps passe encore et soudain ce n’est plus aussi parfait, cela n’a plus la même saveur. Imperceptiblement l’ambiance a changé, s’est dégradée. Le jour décline, les couleurs ne brillent plus aussi vivement. Maintenant le corps se rappelle à nous, la fatigue se fait sentir, la lassitude nous prend et nous songeons à chercher un logement pour la nuit. La faim se réveille, et nous découvrons que ce lieu qui paraissait idyllique est à la base un lieu désert ; il n’y a rien ni personne, malgré la foule ; tout est sec et aride ; c’est un lieu pour des ermites et des ascètes, pour Jean-Baptiste ou pour Élie, un lieu d’épreuve et de tentation.
La foule qui était attirée par Jésus comme par un aimant change soudain de polarité et soudain ne désire plus que fuir, s’échapper, rentrer chez elle. Le règne de Dieu et les guérisons, elle en a assez ! Elle est désenchantée. Alors comment durer, comment persévérer, résister ? Comment garder l’intensité sublime des paroles célestes, et les bienfaits des guérisons ?
Au secours, Jésus ! Je pensais avoir trouvé mon lieu pour la vie, et en fait rien ne va plus. La civilisation décline. La planète est instable à cause du réchauffement climatique. Le monde est instable à cause des tyrans nationalistes qui ont pris le pouvoir dans les plus grands pays et les plus puissants. Oui le soir vient et le lieu est désert, le lieu saint déserté.
Les douze disent à Jésus de délier la foule, qu’elle se dissolve. Ce désert fait penser à la croix du Christ, où presque tous l’abandonnent. Qu’il est dur de tenir bon aussi quand la foi s’assèche, quand l’émotion vire ailleurs ! Comment raviver la flamme, renouveler l’enthousiasme, le désir et la passion de Dieu, le rêve et la ferveur qui nous avait saisis ?
Les douze proposent que tout le monde s’en aille, en somme, de fermer boutique et de mettre la clé sous la porte. C’est fini, la nuit tombe, c’est un temps de ténèbres. Mais Jésus a une autre solution. Car il est vivant, et ce n’est pas la fin ; ce n’est que le commencement. Ceux qui auraient été tentés de partir au déclin du jour n’auraient vécu que le premier verset du texte, ils auraient manqué l’essentiel.
Mais alors, se disent les disciples, comment faire ? Quand la foule ressent des manques et des besoins matériels, les disciples ressentent une grande impuissance. En effet, ils sont douze pour servir cinq mille hommes, sans oublier les femmes et les enfants qui doublent encore ce nombre. Ils constatent leur pauvreté, leurs limites, l’insuffisance de leurs moyens : ils font les comptes, cinq pains et deux poissons ; c’est tout. C’est un désastre logistique, une organisation totalement défaillante. Il n’y a pas de solution humaine, logique. Rationnellement il faudrait tout arrêter.
Et parfois dans l’Église, nous faisons un constat similaire : nous comptons nos forces et nous mesurons toute leur insuffisance face à l’ampleur de la tâche, toute la disproportion entre ce qu’il nous faudrait et ce que nous avons.
Nous n’avons que cela ; mais Jésus dit que nous avons assez. À nous de commencer, dans la foi, sans maîtriser tout le processus, en faisant juste confiance à Dieu.
Et voilà que le désir infini de la foule est comblé ; ils sont rassasiés au-delà de leurs attentes. Chacun des douze apôtres peut repartir avec tout un panier de restes, qui leur permettra d’être équipés pour la prochaine fois. Douze paniers pour douze apôtres, pour douze tribus d’Israël : il y en a pour tous en abondance.
Je pense à nos repas de paroisse. Bien souvent, après avoir bien mangé, je repars avec plus de nourriture que ce que j’ai apporté, plein de petits restes à emporter. Alors, la multiplication des pains, ça existe ! Je vous laisse méditer sur ce grand mystère. Car souvent nous repartons avec infiniment plus que ce que nous avons apporté.
Qu’a donc fait Jésus ? Il a regardé au ciel, il a levé les yeux. Et peut-être que tout est là, dans ce nouveau regard, dans cette réorientation. Il bénit les pains, une manière de bénir à la fois Dieu qui les donne et les humains qui les reçoivent. C’est-à-dire qu’il se place dans la louange et l’action de grâce.
Et qu’a fait la foule ? Elle s’est installée ; ce n’est peut-être pas anodin si tant de détails sont donnés. Elle s’est assise, s’est inclinée, comme le soleil a décliné. N’y a-t-il pas là un indice ? Ne pas chercher absolument à rester debout alors que nos forces s’épuisent ; découvrir une autre attitude, plus douce et moins orgueilleuse, moins exigeante. Accepter nos limites et nous mettre en position de recevoir, simplement, ce qui nous sera donné et que nous ne connaissons pas encore.
Le peuple avait vécu le don de la manne dans le désert. Dépouillé, précaire, souffrant, il a fait l’expérience du Dieu vivant, qui nous donne cette assurance : le Seigneur est avec moi, « Je ne manquerai de rien » (Psaume 23,1). Non pas que le désert soit aboli ; mais Dieu nous accompagne au désert, et au cœur même de la canicule et du néant, il nous désaltère et nous nourrit. Dieu ne nous abandonne pas. Il prend soin de nous. Il pourvoit à tous nos besoins.
Humainement nous n’avons pas assez ; en Christ nous avons assez ; il dit :
« Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. » (2 Corinthiens 12,9).
Dans une autre scène, la pauvre veuve n’avait que deux piécettes à donner au temple. Or Jésus dit :
« Cette pauvre veuve a mis plus que tous ; car c’est de leur abondance que tous ceux-là ont mis des offrandes, mais elle, elle a mis, de son manque, tout ce qu’elle avait pour vivre. » (Luc 21,3-4).
Nous aussi, pauvrement, nous pouvons donner notre manque au Christ. Lui donner notre vie, ou notre manque de vie, toute notre existence.
Et ici je vous propose de quitter Luc un instant pour approfondir avec l’évangile de Jean le sens de cette image du pain.
« Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit : ‟Donne-moi à boire”, c’est toi qui le lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » (Jean 4,10).
Quel est ce don de Dieu ? Quelle est cette surabondance de grâce qui vient combler tous les manques, et rassasier notre désir ? Si souvent nous sommes avec la foule, insatiables de bonheur, assoiffés de vie et régulièrement insatisfaits. Et même avec le ventre plein, la faim nous tenaille ; nous sommes remplis un moment, et nous avons encore faim, faim de vie.
Dans l’épisode de la Samaritaine, de fait, les disciples sont partis à la ville acheter de la nourriture ; mais cela n’apporte rien. Jésus leur dit : « Moi, j’ai à manger une nourriture que vous, vous ne connaissez pas. » (Jean 4,33).
« Moi, j’ai à manger une nourriture que vous, vous ne connaissez pas. » (Jean 4,33).
Jean nous invite ainsi à aller au-delà du sens de la nourriture que nous croyons connaître. Qu’est-ce que la nourriture, qu’est-ce qu’elle symbolise ?
La nourriture est un besoin de base, essentiel et vital. Elle donne l’énergie, elle fait vivre. Elle entre en nous et nous remplit, nous comble, nous rassasie, et apaise même la faim la plus tenace qui serre le ventre et empêche toute autre pensée, la faim qui devient une obsession. La nourriture est assimilée et s’incorpore à nous ; elle est la matière dont nous sommes faits. Et puis au-delà du besoin, se nourrir est une joie, et même plus précisément un plaisir.
Jésus donc nous fait devenir qui nous sommes, nous fait vivre, répond à notre besoin existentiel, nous donne plaisir et bien-être, et nous remplit de bonheur. Voici ses paroles, selon Jean :
« Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. […] Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ; et le pain que je donnerai, c’est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde. » (Jean 6,35.51).
Jean est donc très explicite sur une interprétation symbolique, et centrée sur Christ, de la distribution des pains en abondance.
Jésus entre en nous et nous vivifie. Il s’unit à notre chair même, c’est-à-dire à notre fragilité, à notre humanité. Avec lui nous devenons, comme l’homme et la femme, une seule chair.
Bien se nourrir, ce n’est pas une question de quantité, mais de qualité. Si nous mangeons des aliments pleins d’eau, de sel, de graisse et de sucre, nous avons faim à nouveau ; mais il y a une nourriture équilibrée, riche en protéines et en vitamines, qui nous rassasie mieux et plus durablement. De même aujourd’hui, nous passons souvent beaucoup de temps à nourrir nos pensées et nos cœurs, jusqu’à l’indigestion ; mais les nourrissons-nous de ce qui nous fait du bien et nous rassasie ? Les nourrissons-nous du Christ, ou de choses ordinaires ?
***
Seigneur, tu es la source de la vie, intarissable. Toi seul peux rassasier notre désir infini de bonheur. Nous voulons puiser en toi, nous désaltérer de toi. Tu combles notre cœur. Sois notre nouveau régime qui détoxifie, purifie, libère ! Viens en nous ! Viens et surabonde, et deviens en nous source d’eau jaillissante vers la vie infinie !
Redonne des forces à ton Église. Que nous puissions nous asseoir et partager simplement, sans limite, l’immensité de tes dons. Que nos petites compétences voient leur effet multiplié, par ton regard au ciel. Que le désert se change en oasis, que la terre aride se couvre de fleurs, au passage de ta grâce !
Quand le jour baisse, que notre foi s’anime et brille, qu’elle étincelle ! Que ton Esprit souffle sur elle et la rende incandescente !
Amen !