Reposez-vous (Marc 6,30-34)

Prédication du dimanche 21 juillet 2024

Reposez-vous un peu. C’est le commandement de Jésus aujourd’hui. Un commandement étonnant, inattendu. Mais peut-être faut-il le prendre au sérieux.

L’évangile du jour n’a que ces cinq versets. C’est reposant. On pourrait se dire que ce n’est qu’un passage de transition. Au début du chapitre, Jésus a envoyé les douze en mission, deux par deux. Et ici ils reviennent, ceux qui ne sont plus appelés les disciples, c’est-à-dire les apprentis, les apprenants, mais les apôtres, autrement dit les envoyés. Ils reviennent de mission, et ont donc besoin de se reposer avant le prochain événement qui arrive juste après : la multiplication des pains, où là aussi les disciples sont mis à contribution, en responsabilité.

Oui, entre tous les événements, il y a ces épisodes de creux, de vide, de silence. Et cet espace est important, ce temps de vie privée, secrète. La liberté se niche dans cet intervalle, qui ouvre une faille, un creux de désir. Or il y a mille manières de se reposer, et mille domaines où appliquer le principe du repos.

Repos dans la création

Eaux paisibles

Nous sommes en vacances, ou nous l’avons été, ou nous allons l’être. Ou bien nous n’avons pas de vacances. Mais l’été est là, qui joue sa petite musique avec les bourdonnements des abeilles ou des moustiques, avec les senteurs des fleurs et des foins, avec sa chaleur et son soleil sur la peau. Nous sommes enivrés d’un parfum de vacances.

 

C’est l’occasion de sortir, et de louer Dieu pour sa création. « Regardez les oiseaux du ciel », dit Jésus (Matthieu 6,26). C’est un temps pour voir et contempler. Nous respirons. « Sur de frais herbages, il me fait coucher ; près des eaux du repos, il me mène » (Psaume 23,2). Jésus voit la foule sans berger, alors il est ému aux entrailles, et les enseigne. Entre les lignes, il est vraiment le bon berger, le beau berger. Il est heureux parfois d’être un mouton, ça fait du bien, parfois nous pourrions envier leur vie. Nous avons beaucoup à apprendre des moutons, certes pas la stupidité, mais la simplicité, l’humilité, l’acceptation de ne pas être responsable de tout, l’appartenance à un groupe solidaire. Le pacifisme du mouton dans un monde de loups. Laissons-nous simplement conduire par le vrai berger. Il nous protège, nous pouvons vivre en confiance, en harmonie et en sérénité, dans de verts pâturages, et vers les eaux paisibles.

 

 

Mer calme

Jésus et ses disciples montent dans la barque, et voguent doucement sur l’eau. Pour une fois la traversée est sans histoire, pas de tempête ni personne qui se jette à l’eau. Dans la concision du récit, entre les mots, est suggéré le grand calme qu’aucune vague ne vient agiter. La barque glisse lentement, assez lentement pour que les gens à pied puissent la devancer, et qu’une grande foule vienne et soit en attente à son arrivée.

 

Nous avons besoin de repos physique, et voilà cette sagesse qui dit de prendre le temps d’une vraie pause, d’un bon sommeil, pour préserver notre équilibre et reconstituer nos forces.

 

C’est aussi un repos psychique, loin du bruit de la foule, dans le silence de la nature. Un temps de retrait et de recul, le temps du bilan, pour savoir où nous en sommes, où nous allons, pour nous poser les questions essentielles que nous oublions, que nous esquivons au milieu de l’action.

 

Un lieu désert

Le lieu de l’amour

Jésus est un bon psychologue. Il écoute. Déjà ce n’est plus lui qui enseigne, mais ses envoyés. De retour de mission, ils lui annoncent tout ce qu’ils ont fait et enseigné. Jésus ne les juge pas, ne donne pas des bons points à ceux qui ont chassé le plus de démons ou guéri le plus de malades ; il ne commente pas leurs résultats en nombre de conversions, ne critique pas leur théologie, ne donne pas de conseils.

 

Il dit seulement : « Venez à l’écart, dans un lieu désert, et reposez-vous un peu. »

 

Ce lieu désert, dans l’évangile de Marc, nous le retrouvons seulement au premier chapitre :

« Au matin, alors qu’il faisait encore très sombre, il se leva et sortit pour aller dans un lieu désert où il se mit à prier. » (Marc 1,35).

 

Ce lieu désert est le lieu de la prière. Le lieu, dans la Bible, c’est souvent le lieu que le Seigneur choisira pour y faire demeurer son nom, le lieu saint, le sanctuaire, le lieu indicible et imprononçable, le lieu intime et secret. La retraite alors devient spirituelle.

 

Et le désert, par son dépouillement, par l’éclat de sa lumière, par sa chaleur accablante, par son silence, ramène à l’essentiel.

 

Le prophète Osée donne l’image d’Israël comme l’épouse de Dieu devenue une prostituée. Dieu dit alors :

« Eh bien, moi, je vais la séduire ; je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. » (Osée 2,16).

Le désert est le lieu de l’amour de la jeunesse d’Israël, le lieu où Dieu s’est révélé.

« Je vous ai conduits pendant quarante années dans le désert ; vos vêtements ne se sont pas usés sur vous, tes sandales ne se sont pas usées à tes pieds ; vous n’avez pas mangé de pain et vous n’avez bu ni vin ni boisson alcoolisée, afin que vous sachiez que je suis le SEIGNEUR, votre Dieu. » (Deutéronome 29,4-5).

Après la sortie d’Égypte, la traversée du désert a été une épreuve pour Israël, mais aussi un temps de croissance et de purification, un temps où Dieu a pris soin de son peuple, au jour le jour, en lui donnant l’eau et la manne, le pain quotidien.

 

 

La manne spirituelle

Dans notre évangile, Marc dit : « Ils n’avaient pas même le temps de manger. » Il y a là quelque chose d’étonnant, d’exagéré, une hyperbole. Qui oublierait de manger ? Les apôtres revenant de mission sont-ils comme un chercheur passionné ou comme un médecin humanitaire débordé, qui saute des repas ? Sont-ils anorexiques, ont-ils des troubles de l’alimentation ? Sont-ils à la limite du burn-out ? Dans ce cas oui, bien évidemment, Jésus a la sagesse de leur dire de se reposer, de restaurer leurs forces.

 

Et si Jésus parlait d’abord de nourriture spirituelle ? Parfois nous avons cette absurdité, cette folie d’oublier de nous nourrir spirituellement. Nous pensons : nous n’avons pas le temps de manger, c’est-à-dire de prier, de nous rassasier de l’amour du Christ. Car il est la vraie nourriture, le pain qui descend du ciel, la manne dans le désert, le pain de vie et de survie, notre subsistance, notre substance.

 

C’est dans le lieu désert que Jésus va enseigner et nourrir cinq mille hommes. Dans un autre passage, et dans l’évangile selon Jean, avec la Samaritaine, Jésus dit :

« Moi, j’ai à manger une nourriture que vous, vous ne connaissez pas. […] Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. » (Jean 4,32.34).

 

Jésus nous invite donc à prendre le temps de manger, c’est-à-dire de nous rapprocher de Dieu, de communier avec lui. Auprès du puits de Jésus, nous serons ressourcés. Il dit : « Venez déjeuner ! » (Jean 21,12).

« Venez à moi, vous tous qui peinez sous la charge ; moi, je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et laissez-vous instruire par moi, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. Car mon joug est bon, et ma charge légère. » (Matthieu 11,28-30).

Ce repos, c’est laisser Dieu agir, c’est la grâce.

 

Le shabbat

Un jour de liberté

Dieu donne ce commandement paradoxal du repos du shabbat, une pause, une manière de s’arrêter. C’est un commandement facile et agréable.

 

« Vous observerez le sabbat, car il est sacré pour vous » (Exode 31,14). Il est pour nous. C’est un temps pour Dieu, mais également pour nous. Le shabbat est fait pour l’être humain.

 

Deux raisons sont données, car ici les deux versions des dix commandements diffèrent. Selon le Deutéronome, le shabbat fête la sortie d’Égypte, et la libération de l’esclavage. Nous sortons de la terre de nos angoisses et du stress, nous sommes libérés du travail qui est un service, mais devient aussi une servitude.

 

Et certes six jours nous travaillons. Il est bon d’agir, et l’action reste la réalité de notre vie, simplement il faut aussi savoir s’arrêter, éviter l’activisme. Nous protestants qui parlons de grâce, nous avons en même temps un sens de la responsabilité qui nous pousse à l’engagement. Et parfois cette responsabilité devient un fardeau lourd, le nôtre et pas celui du Christ, nous culpabilisons des malheurs du monde et de notre impuissance à y remédier. Mais Christ nous libère de l’esclavage, et nous donne le repos du shabbat, la paix intérieure. Je ne sauverai pas le monde, c’est lui qui sauve le monde. Dieu donne un repos moral.

 

Le shabbat s’applique aussi à la terre selon le Lévitique, et le repos de la terre invente déjà la jachère et la permaculture. La croissance économique est bonne, mais il faut aussi savoir s’arrêter, pour ne pas devenir esclave du dieu de la productivité qui exige des sacrifices humains. Le repos fixe une limite qui libère.

 

 

Le septième jour de la création

Selon l’Exode, une autre raison est donnée au shabbat :

« Car en six jours le SEIGNEUR a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve, et il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le SEIGNEUR a béni le sabbat et en a fait un jour sacré. » (Exode 20,11).

 

Le septième jour est aussi un jour d’attente, un entre-deux. Le septième jour, Dieu se repose, il se retire en apparence de sa création, il se fait discret, invisible. Le samedi saint, Jésus est au tombeau, il se repose. Mais nous attendons le huitième jour, c’est-à-dire le premier jour d’une nouvelle semaine, d’une nouvelle création. C’est le dimanche, le jour dominical, c’est-à-dire le jour du Seigneur, le jour de la résurrection. L’obscurité prépare le rayonnement de sa gloire. Le sommeil prépare le réveil. Dans nos lieux déserts, le Christ vient. Le repos crée un vide, mais un vide qui se remplit d’espérance.

 

Amen.

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