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Sauver sa vie (Marc 8,27-35)
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Prédication du dimanche 15 septembre 2024
Jésus nous donne la parole. Et vous, qui dites-vous que je suis ? Jésus nous invite à exprimer en mots ce que nous ressentons pour lui. Jésus commence par nous laisser parler, et nous écouter.
Après les premières réponses – Jean Baptiste, Élie, un des prophètes, nous sentons que ces gens-là ont perçu quelque chose de spirituel en Jésus, d’inspiré par Dieu, mais qu’ils ne le connaissent pas encore vraiment, et qu’ils passent à côté de l’essentiel. Jésus n’est pas seulement un prophète de plus. Il y a en lui une nouveauté radicale, qui change tout, qui révolutionne la foi. Il n’est pas une répétition du passé. Il est unique et inédit.
Pierre, qui se fait souvent le porte-parole des disciples, répond : « Toi tu es le Christ. »
C’est une belle profession de foi. Et puisque nous sommes ici au 8e chapitre sur les 16 que compte l’évangile de Marc, on peut y voir le centre et le sommet de la bonne nouvelle, comme il l’annonce dès le premier verset : « Commencement de la bonne nouvelle de Jésus-Christ, Fils de Dieu ».
Dans le passage parallèle chez Matthieu, chapitre 16, Jésus répond à Pierre par une bénédiction, une béatitude :
« Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux. »
Oui quel bonheur de côtoyer Jésus, et de recevoir cette intuition divine pour le reconnaître tel qu’il est !
Le Christ, khristos en grec, est la traduction de Messie, mashiah en hébreu, et signifie celui qui a reçu l’onction, qui a été imprégné d’huile pour le consacrer à Dieu. Le grand prêtre, parmi les fils d’Aaron, est consacré par l’onction (Exode 40,13-15). Puis les rois également (1 Samuel 9,16 ; 16,13). Mais les rois d’Israël et de Juda sont rarement à la hauteur de ce qu’ils étaient appelés à devenir, et finalement ils sont vaincus et la royauté disparaît. Le peuple est exilé à Babylone. Alors Cyrus roi de Perse est appelé Messie (Ésaïe 45,1), lui qui conquiert l’empire babylonien, et qui autorise le retour et la construction du second temple de Jérusalem. De plus en plus, le peuple ne place plus son espérance dans les rois actuels, mais dans un Messie à venir qui le sauvera, le délivrera.
Mais ce Messie, envoyé de Dieu, porte encore cette puissance royale. Le Messie ressemble à Jésus qui entre à Jérusalem sur un âne, comme le roi Salomon sur une mule, et qui est acclamé comme roi.
Et chez Marc comme chez Luc, Jésus ne donne pas de félicitations. Il réagit de façon abrupte : « Il les rabroua, pour qu’ils ne disent rien à personne à son sujet. »
Et si Pierre, avec cette fierté de donner une réponse meilleure que les uns et les autres des humains, avait tout faux ?
Nous disons que Jésus est le Christ, le Messie ; et lui, que dit-il de lui-même ? Est-ce que nous lui renvoyons la question, ou est-ce que nous nous satisfaisons de déjà savoir la réponse ? Seigneur, qui es-tu ?
Car si je vous demande à chacun « qui es-tu ? », que répondrez-vous ? Une fois j’ai posé cette question à une amie, et elle m’a dit que c’était une question trop vaste, trop intime, trop embarrassante en somme ; ce n’est pas une question à poser. Car c’est toujours réducteur. Quand des gens me disent qui je suis, ça m’intéresse. Soit cela confirme ce que je sais déjà, soit cela me surprend. Mais je trouve que ce qu’ils disent reste bien limité. Et je m’étonne qu’ils affirment que je suis ceci ou cela, quand moi-même je ne sais pas totalement qui je suis. Et plus je connais intimement quelqu’un, moins je peux définir en un seul mot qui il est.
Jésus est le Christ, oui je peux dire cela, mais j’aimerais surtout que ces mots prennent sens.
Et Jésus est peut-être encore mystérieux, encore à découvrir, encore à écouter. Nous n’avons pas tout dit quand nous avons dit que Jésus est le Messie.
Et justement, Jésus va montrer une autre facette de lui-même, celle à laquelle ils ne s’attendaient pas. Peut-être sommes-nous au sommet de l’évangile, parce qu’à partir de là tout bascule, tout dégringole, les certitudes sont déconstruites, et Jésus marche vers la mort, dans la non-violence presque passive. Jésus ne prend pas le pouvoir, son royaume n’est pas de ce monde.
Suivre le héros qui attire les foules, qui guérit les malades, l’accompagner dans sa marche triomphale, c’était facile ; tout quitter pour lui, ce n’était pas un si grand sacrifice. C’était suivre le chemin du bonheur. Mais suivre Jésus sur le sentier de l’ombre de la mort, c’est plus ardu. Désolé, la foi chrétienne n’est pas une solution de facilité pour se rassurer à bon compte devant les angoisses existentielles. Le chrétien fait face aussi à la mort.
La réaction de Pierre, mais probablement aussi la nôtre, c’est de refuser cet itinéraire bien sombre. Mais non, Jésus, nous avons tout pour être heureux, pourquoi faire ces prédictions morbides ?
La réaction de Jésus tombe, effrayante et incompréhensible : « Va-t’en derrière moi, Satan ! » Satân en hébreu signifie l’adversaire, l’attaquant, l’accusateur. Voici la tentation de posséder, de prendre le pouvoir, d’enlever la liberté des humains, d’imposer la foi par la force. Marc écrit de Jésus au premier chapitre : « Il passa quarante jours dans le désert, mis à l’épreuve par le Satan. »
Dans le jardin d’Éden, le serpent nous incite à glisser vers la satisfaction immédiate du désir, à mettre la main sur le fruit beau à regarder et appétissant. Peut-être qu’au lieu de manger et détruire donc la beauté, nous pourrions la regarder encore un peu, laisser mûrir le fruit, et le planter pour qu’il produise à son tour un arbre qui croisse et multiplie. Ne pas cueillir le fruit, c’est une écologie.
Y renoncer, c’est une petite mort. Pourtant, en réalité, c’est à partir du jour où nous voulons nous emparer du fruit que nous mourons (Genèse 2,17).
Il faut que le Fils de l’humain, autrement dit le Fils d’Adam, soit tué. Là encore, comment ne pas se révolter devant cette nécessité affirmée, irrémédiable, « il faut » ? Mais n’oublions pas qu’il reste l’arbre de vie, comme une promesse. « Et il prendra aussi de l’arbre de la vie, et mangera, et vivra pour toujours. » (Genèse 3,22).
Cette question de vie ou de mort est résumée par la phrase paradoxale, déroutante de Jésus : « Car quiconque voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera. »
Deux personnes qui s’aiment peuvent se donner l’une à l’autre sans crainte de se perdre. Aimer va jusqu’à donner sa vie pour l’être aimé, mais c’est là que la vie prend sens et commence à naître. La vie est faite pour être donnée, ne plus s’appartenir mène au bonheur. C’est là que nous devons être.
La vie, c’est accepter de perdre et de donner, ne pas retenir, mais être généreux. Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir, dit le livre des Actes des Apôtres. Il faut risquer sa vie, la dépenser, puisque de toute façon elle passe.
Jésus va mourir, c’est inévitable, Jésus en est conscient parce qu’il sait ce qui est dans le cœur des gens. Mais il y a quelque chose de plus grand que de chercher à sauver sa vie à tout prix.
Jésus souffre, et devient proche de tous ceux qui souffrent. Il aurait pu rester au ciel, et ne pas souffrir, mais aurait-il été un Dieu d’amour ? Le Dieu d’amour est un Dieu qui vient, qui vient au plus près de l’humain et jusque dans la mort. Dieu a vraiment de l’empathie pour nous. Il n’est pas impassible, il souffre avec nous.
Dieu aurait peut-être été plus heureux sans souffrir avec l’humanité. Mais quel serait ce bonheur privé d’amour, ce petit bonheur égoïste dans l’indifférence à l’autre qui souffre ?
Dieu veut la même chose pour nous. Une vie faite d’émotion, de peurs mais aussi de joies. Une vie libre, et non pas de l’exercice du pouvoir de l’un sur les autres.
Jésus perd sa vie mais il la sauve, voici le mystère de la résurrection. Au moment où Jésus entre dans le royaume des morts, ce royaume devient son royaume. La mort n’est plus le lieu de l’absence de Dieu ; car Jésus est présent, même là. Quand Jésus et la mort entrent en contact, ce n’est pas Jésus qui meurt, c’est la mort qui est vaincue, et qui devient puissance de vie.
De quelle vie parlons-nous ? Et de quelle mort ? Dans le grec du Nouveau Testament, la vie éternelle se dit zoê. Dans la version grecque de la Genèse, la femme d’Adam ne s’appelle pas Ève, mais Zoé. Le même mot est utilisé pour l’arbre de vie.
Mais dans cette parole de Jésus, la vie que nous perdons n’est pas zoê mais psukhê, comme dans psychique ou psychologique. C’est difficile à traduire. Dans un premier sens concret c’est l’haleine, la respiration, le souffle. De là c’est ce qui nous met en mouvement, nous anime, ce qui s’appelle anima en latin et qui a donné âme en français. Mais l’idée d’âme est devenue très désincarnée. Psukhê désigne la personne ou l’être.
Nous nous donnons à perdre haleine, nous avons le souffle coupé, perdons-nous la vie pour autant ? Et si nous perdons cette vie finalement humaine et physique, n’y a-t-il pas une vie dans un sens plus spirituel ?
Jésus qui est Christ nous appelle à l’accompagner, à marcher sur ses traces, vers la vie qu’il nous propose. Une vie qui à vue humaine semble finir à la mort.
Mais Jésus nous demande : As-tu confiance en moi ? Me suivras-tu même sur des sentiers étroits, même si la marche devient une souffrance ? Je serai avec toi.
C’est la réalité de notre vie : nous souffrons et nous mourons. Jésus ne nous fait pas la fausse promesse d’une vie toute rose et sans peine. Mais il affronte avec nous la vie et la mort.
Si nous lui donnons notre vie, nous la sauverons. Même si certains jours c’est dur de lui donner notre vie, même si certains jours nous mourons avec lui, nous ressuscitons aussi avec lui. Il nous sauve, il est notre vie.
« J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta descendance, en aimant le SEIGNEUR, ton Dieu, en l’écoutant et en t’attachant à lui : c’est lui qui est ta vie » (Deutéronome 30,19-20).
Amen.