Ému aux entrailles
Qu’est-ce qu’aimer ? Et si c’était d’abord voir, et ressentir ? Si je vois que je ne suis pas supérieur à l’autre, que je ne suis pas celui qui consent à donner à l’autre dans une pitié condescendante, je ne cherche plus à faire. J’accepte de ne plus seulement aimer, mais aussi simplement d’être aimé par le Samaritain. Ainsi nous serons mutuellement des prochains l’un pour l’autre, de manière égale.
Parce que j’ai été en situation d’être en détresse et de recevoir des secours, je comprends de l’intérieur ce que vit l’être humain volé, violenté et abandonné à demi-mort. Alors je pourrai être saisi aux entrailles comme le Samaritain. C’est parce qu’il est ému dans ses tripes, au fond du ventre où se creuse le sentiment maternel de miséricorde, que le Samaritain ne réagit pas comme les autres. Et Jésus invite à faire de même. Le spécialiste de la loi posait une question sur un plan intellectuel et abstrait ; Jésus répond au niveau du cœur : si tu es face concrètement à une personne en détresse, que feras-tu ? Ne sens-tu pas que tu es remué en profondeur, et que la réponse s’impose comme un élan d’amour ?
Alors l’amour n’est pas seulement une action à faire, même si ce verbe faire est répété pour indiquer la pratique concrète. Il y a une différence entre : « Tu feras du bien à ton prochain », ce qui relève de la morale, et « Tu aimeras ton prochain », ce qui t’emmène ailleurs. Avant de se traduire en actes, l’amour est un sentiment. Cette émotion violente d’être saisi aux entrailles, c’est de l’amour. Sans cet amour, impossible d’agir pour aider l’autre.
Cet amour vient du Christ. Lui seul nous apprendra à aimer. Quand j’accepte d’être aimé par lui, alors je peux à mon tour aimer mon prochain. D’après la première lettre de Jean :
« Et cet amour, ce n’est pas que nous, nous ayons aimé Dieu, mais que lui nous a aimés […] Quant à nous, nous aimons, parce que lui nous a aimés le premier. » (1 Jn 4,10.19).
Aimer, c’est vertigineux, ça nous fait perdre nos repères. Je croyais être face à un étranger et il est comme moi. Je croyais donner et c’est moi qui reçois mille fois plus. Je cherchais à aimer, et je découvre que je suis aimé. Je vois maintenant l’autre que je n’avais jamais vraiment vu. J’agis non plus par devoir mais par une émotion du plus profond de mon être. Je voulais sauver l’humanité tragique et c’est le Christ qui me sauve.
Quand son amour m’atteint, me touche aux entrailles et fait palpiter mon cœur, quand il me remplit, m’inonde, et déborde, alors aimer devient possible. Alors le monde connaît la paix. Car s’accomplit cette promesse et ce miracle : tu aimeras l’autre comme toi-même, et tu vivras.
Amen.