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Un enfant dans les bras (Marc 9,30-37)
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Prédication du dimanche 22 septembre 2024
À écouter au choix :
1. Texte biblique et prédication seulement
2. Culte audio complet incluant aussi les chants (27 minutes)
Feuille de culte téléphonique consistorial
Je me reconnais beaucoup dans ces disciples qui rivalisent pour être le premier. À l’école je voulais avoir les meilleures notes. Et souvent encore aujourd’hui j’ai cette volonté perfectionniste, cette ambition d’excellence. Je désire me prouver à moi-même ma valeur, par mes actes. Je désire exister, être, devenir et accomplir quelque chose. Je ressens alors une impression d’exaltation, je me sens vivant.
Les jeux olympiques et paralympiques proposent aussi une compétition, pour chercher l’émulation et le dépassement de soi. Cette force de vie est belle. Dieu notre Père nous a créés en nous donnant ce premier commandement, qui est une bénédiction :
« Fructifiez, multipliez, emplissez la terre, conquérez-la. » (Genèse 1,28).
Oui mais parfois ma volonté désespérée d’exister se heurte à l’autre. L’autre aussi désire légitimement être le premier. Mais il ne peut y en avoir qu’un. Notre orgueil connaît alors la frustration, la jalousie, la dépression. Est-il juste de voir notre nombril et ma petite personne au centre de l’univers ? Tu aimeras ton prochain comme toi-même ; c’est bien un futur, un inaccompli.
Et puis nous grandissons, nous nous développons, mais un jour aussi nous découvrons nos limites. Nous connaissons l’échec. Nous connaissons la perte. Nous ne savons plus faire ce dont nous avons été capables. Nous oublions. Et vient la mort, ce tabou, dont Jésus parle.
Cette partie de la vie est moins représentée dans l’imaginaire des livres et des films. Nous préférons montrer l’image la plus positive de nous-mêmes, même si c’est en partie un masque. Il faut une grande confiance pour se laisser voir vulnérable.
Alors survient Jésus. Il renverse notre hiérarchie avec nos complexes d’infériorité et notre soif de supériorité. Le premier n’est pas l’homme à supplanter ; le dernier ou même le second, le suivant, a autant de valeur. Celui qui suit dans l’ombre n’est pas moins important. Le serviteur est aussi grand que le maître. L’enfant est aussi grand que l’adulte.
Jésus annonce cette égalité radicale, non seulement une égalité sociale, mais une égalité dans le regard que nous posons sur les gens, dans le respect, dans l’estime, et dans l’amour que nous avons pour chacune et chacun. Presque inconsciemment, nous classons les gens, nous focalisons notre attention sur quelques-uns et nous négligeons les autres. Nous admirons les uns et nous méprisons les autres. Nous avons des préjugés, et très vite aussi, trop vite, nous nous faisons un jugement sur les gens. Mais Dieu ne juge personne. Il ne connaît pas les classements et les étiquettes. Il aime chaque être dans sa singularité unique et incomparable.
En apparence, il attaque et critique notre volonté, il nous culpabilise peut-être même. Mais en réalité, il nous libère. Il nous libère de nous-mêmes et de nos ambitions qui ne mènent à rien. Il nous ouvre les yeux sur la merveille de l’autre que nous n’avions pas vu.
Notre Père nous fait exister, et c’est suffisant. Quelque soit notre valeur aux yeux des hommes ou à nos propres yeux, nous avons une grande valeur devant ses yeux, devant sa face. Il nous donne d’être, par pure grâce. Nous n’avons rien à faire pour être quelqu’un, car nous le sommes déjà. Nous sommes déjà aimables et aimés, aimés d’un amour parfait. Dieu nous emplit le cœur, et nous ne manquons de rien. Nous sommes comblés.
Jean-Paul Sartre disait : « L’homme est condamné à être libre », condamné à agir et à être responsable de ses actes, condamné à définir qui il est, parce qu’il existe d’abord comme une page blanche, et qu’il n’est d’abord rien. Dieu nous donne notre être, notre essence. En Actes 17 nous lisons : « car en lui nous avons la vie, le mouvement, et l’être » ; « car en lui nous vivons et nous nous mouvons et nous sommes ». Nous sommes libérés de l’impératif désespéré d’agir, alors que nos actes ne sont jamais à la hauteur de ce que nous voulons. Nous ne sommes pas nos actes ; nous serons toujours plus que nos actes.
Alors le sage, avec la profondeur de toute son expérience, redécouvre l’enfant. L’enfant candide, simple, confiant, spontané, vrai. Nietzsche écrit : « L’enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, une sainte affirmation. » L’enfant sait éclater de rire quand l’adulte est devenu trop sérieux. L’enfant joyeux sait jouer au milieu des guerres et des champs de bataille. L’enfant philosophe peut dédramatiser. L’enfant sait être heureux quand l’adulte se l’interdit.
La Sagesse personnifiée dit en Proverbes 8 :
« J’étais à ses côtés comme un maître d’œuvre, je faisais jour après jour ses délices, jouant devant lui en tout temps, jouant avec le monde, avec sa terre, et trouvant mes délices parmi les humains. » (Proverbes 8,30-31).
Accueillir l’enfant, c’est accueillir le Fils de Dieu, et c’est accueillir le Père.
Devenir comme un enfant et comme un serviteur, l’Église l’a trop souvent interprété comme un sacrifice de soi. L’interdiction de s’affirmer, l’interdiction de réussir. L’obligation de viser seulement des objectifs modestes, le renoncement à agir. Mais en réalité pour Jésus l’enfant et le serviteur sont tout sauf petits, tout sauf passifs.
Le serviteur, le serveur pourrait-on dire, est celui qui sert à table quand son maître allongé se prélasse en picorant. Le maître est oisif, le serviteur agit. Aux noces de Cana, qui sont peut-être une image du royaume des cieux, il est souligné avec ironie, en parlant de l’organisateur du repas : « il ne savait pas d’où venait ce vin, tandis que les serviteurs qui avaient puisé l’eau le savaient » (Jean 2,9). Oui les serveurs en coulisses en savent plus que leur maître.
Selon l’étymologie en grec, le serviteur est celui qui s’empresse, et soulève de la poussière en courant. Et Jésus déclare en Jean 12 : « Si quelqu’un me sert, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera. » (Jean 12,26). Suivre Jésus, ce n’est plus être le premier, mais cela mène plus loin et plus sûrement.
Et l’enfant explose de vie, il court, il saute, il pétille, il est vif et plein d’énergie. Il ne cesse de grandir et de se dépasser. Il est plein de rêves et de projets. Oui, libéré du poids de l’être, il peut faire.
Nicodème demande à Jésus :
« Comment un homme peut-il naître, quand il est vieux ? Peut-il entrer une seconde fois dans le ventre de sa mère pour naître ? » (Jean 3,4).
Oui Jésus peut-être nous fait redevenir enfants. Mystérieusement, Jésus annonce une nouvelle naissance, d’en haut, une renaissance, une régénération. Dieu nous donne l’enfant comme signe du royaume qui vient. Il nous donne une vie nouvelle, une vie du ciel.
Même nous, les derniers, nous sommes les bienvenus. Jésus nous révèle cette beauté passée inaperçue : qu’il est beau d’être un serviteur et un enfant !
Amen.