Vivacité (Marc 1,29-39 et 1 Corinthiens 9,16-23)

Prédication du dimanche 4 février 2024

Ce texte peut nous dérouter à première vue, parce que tout va très vite. Marc ne raconte pas en détail les événements dans un récit développé, mais juste leur succession résumée. En fait cela nous permet de prendre un peu de recul, sans entrer dans telle ou telle situation particulière.

 

Voilà un aperçu de la journée de Jésus, son emploi du temps. Le jour du shabbat, il va à la synagogue, puis il se repose chez la belle-mère de Pierre. Le soir, c’est déjà le lendemain, car le jour se termine quand la nuit tombe. Alors puisque ce n’est plus le shabbat, les gens lui amènent tous les malades. Enfin, le matin, Jésus s’isole pour prier, avant de se remettre en route sans tarder.

 

Qu’est-ce que cela peut nous apprendre sur nos propres priorités ? Je voudrais proposer trois points : notre agenda, le service, et l’annonce de l’évangile.

Retrouver le temps

Jésus organise ses journées en équilibrant des temps pour Dieu, des temps pour les autres, des temps pour soi. Les jours comptent toujours 24 heures, et pourtant cela nous semble souvent trop court, et le temps nous échappe. Mon grand-père, qui a de l’humour et le goût des formules, appelait internet « la machine à perdre son temps ». Et il m’arrive d’avoir l’impression que mes occupations peuvent être plus souvent dictées par l’arrivée des appels téléphoniques et des courriers électroniques, par la facilité du traitement du court terme et de l’urgence, que vraiment choisie et décidée selon les vraies priorités.

 

 

Du temps pour Dieu

Jésus suit la sagesse biblique en consacrant le shabbat comme jour de repos et de fête pour le Seigneur, jour de liberté comme délivrance de la servitude du travail, et souvenir de la sortie d’Égypte. Mais se repose avec liberté, sans s’interdire d’agir, pour que le shabbat ne devienne pas un jour de contrainte par le poids des interdits religieux. Ce serait un comble d’inverser ainsi le sens du jour de la liberté et du temps libre ! Dans le passage qui précède, Jésus a donc enseigné à la synagogue, et guéri un être humain tourmenté par un sale esprit.

 

À ce premier temps pour Dieu, le shabbat, s’ajoute ce temps que Jésus prend le matin, pour prier. Si Jésus a besoin de se reconnecter à Dieu, n’est-ce pas important pour nous aussi ?

 

Ce n’est pas facile. Dans le jardin de Gethsémani, dans cette situation dramatique où Jésus va être arrêté, condamné à mort, et crucifié, au creux de l’angoisse où la prière devient fervente et désespérée, vitale, Jésus dit :

« Simon, tu dors ! Tu n’as pas été capable de veiller une heure ! Veillez et priez, afin de ne pas entrer dans l’épreuve ; l’esprit est ardent, mais la chair est faible. » (Marc 14,37-38).

 

 

Pourtant c’est important de prendre du temps pour Dieu. Je vous propose d’essayer ou de réessayer, d’avoir cette fidélité pour prier Dieu chaque jour. Pour cela, nous suivons l’exemple de Jésus, et nous demandons au Père l’Esprit-Saint, pour qu’il nous parle et nous fasse sentir l’intensité de sa présence, dans le silence, dans le désert, c’est-à-dire un lieu de solitude et de dépouillement.

 

 

Du temps pour l’autre

Après du temps pour Dieu, du temps pour les autres. Le temps passé en prière n’est pas du temps perdu, il permet de se ressourcer, de se reposer, de reprendre des forces, de se recentrer sur l’essentiel. Quand il s’achève, nous sommes pleins de joie et d’une énergie nouvelle pour affronter les activités de la journée.

 

Jésus se laisse déranger par l’autre, qui vient bouleverser nos projets. Cet homme dans la synagogue, il faut le guérir ; la belle-mère de Pierre aussi ; puis tous les malades. Simon et ceux qui sont avec lui poursuivent Jésus jusque dans son lieu de solitude. Et il ne les repousse pas, il part avec eux, encore ailleurs, vers d’autres personnes dans d’autres villages, vers l’inattendu des rencontres, vers l’aventure. Donc son agenda compte à la fois des points fixes fondamentaux pour la prière, et la souplesse pour s’adapter à l’autre.

 

Paul dit aux Corinthiens : « Je me suis fait tout à tous » (1 Co 9,22). Ce n’est pas être caméléon et camoufler son identité pour se fondre dans le décor par mimétisme. C’est rester authentique, tout en s’ouvrant à l’autre pour accueillir en nous une part de lui. L’autre nous altère, et nous change, nous assouplit, et nous fait découvrir des choses nouvelles. Il nous conduit parfois à abandonner des idées ou des activités que nous aimions, pour donner une place aux idées de l’autre et aux activités qu’il ou elle désire. Vivre ensemble, c’est faire des compromis c’est-à-dire des échanges qui nous rapprochent de l’autre ; c’est cela aimer.

 

 

Du temps pour soi

Enfin Jésus s’accorde aussi du temps pour lui-même, dans l’isolement, un temps de repos qui rejoint d’ailleurs le temps pour Dieu, dans ce secret de la chambre où Dieu est présent, dans l’intériorité intime où habite Dieu. Oui quand nous sommes seuls, Dieu n’est jamais loin.

 

Que Dieu nous redonne un emploi du temps libérateur et non contraignant. Qu’il nous offre un temps retrouvé plutôt qu’une impression de temps perdu. Qu’il nous apprenne le secret de sa vivacité dynamique, de l’allégresse légère de sa marche.

Servir

Parmi ces autres auxquels Jésus donne de son temps, je voudrais m’arrêter un instant sur la belle-mère de Simon. Un peu plus haut dans le même chapitre, nous pouvions imaginer ce que ressentait Zébédée dans la barque en voyant ses deux fils Jacques et Jean le quitter pour suivre Jésus. Jésus a peut-être séparé certains de ses disciples de leur famille, mais visiblement ici Simon n’a pas rompu les liens familiaux, au contraire sa famille fait partie de l’aventure. Et sa belle-mère participe en les servant.

 

Elle les servait, qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que la belle-mère faisait la cuisine pour Jésus et sa bande d’apôtres, encore une fois ? Le texte ne dit pas exactement cela, il dit simplement servir. Deux racines grecques sont souvent traduites par servir ou serviteur. La première [douleuô] se réfère à la servitude d’un esclave, mais ce n’est pas celle qui est employée ici. Il s’agit ici de diakonéô, qui a donné les noms diacre et diaconesse. Il peut même se traduire par être ministre, exercer un ministère, car un ministre est un serviteur.

 

Donc la belle-mère de Pierre est peut-être serveuse ou servante, elle est peut-être aussi ministre de l’Église. D’autres femmes dans l’évangile soutiennent Jésus et ses disciples, sans doute d’un point de vue matériel, logistique et financier. La belle-mère subventionne, parraine les activités de Jésus, comme tant de dames patronnesses déjà à cette époque.

 

Nous aussi, une fois guéris, éveillés, relevés, nous sommes appelés à servir Jésus, à devenir diacres et diaconesses, à rendre service en retour. À prendre soin les uns des autres. Et les deux sacrements protestants sont au départ quelque chose de très simple : un bain et un repas. C’est le fondement de l’hospitalité. Le baptême et la Sainte Cène. Et derrière cette simplicité de la vie quotidienne, derrière l’apparence du service à table, un précieux mystère s’accomplit. L’hygiène et la nourriture sont des besoins de base ; à travers le signe des sacrements, Dieu nous donne l’hygiène spirituelle et la nourriture spirituelle. Donc oui, servir est une belle mission pour nous tous.

Proclamer

Et puis nous recevons une deuxième mission, comme Jésus, comme Paul : aller, parler, diffuser, raconter, propager la joie de son message. Jésus dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, pour que là aussi je proclame ; car c’est pour cela que je suis sorti. » (Marc 1,38). Et Paul s’exclame : « quel malheur pour moi, si je n’annonçais pas la bonne nouvelle ! » (1 Co 9,19).

 

Le temps qui manque, le sentiment d’urgence, c’est l’urgence de l’évangile. Les guérisons, les vies changées pour devenir disciple et serviteur, c’est l’évangile en actes. L’évangile est une tornade, tout va très vite et nous sommes emportés sur son passage. Jésus a en lui une passion et une folie à transmettre. Le zèle, c’est littéralement un bouillonnement, une ébullition, et c’est cet élan que Marc indique par la rapidité de l’enchaînement des événements et des miracles.

 

La bonne nouvelle selon laquelle Jésus survient devant nous comme une révélation nous sauve vraiment la vie. Alors impossible pour Paul, pour nous, de ne pas annoncer la bonne nouvelle. Une bonne nouvelle ne peut pas être tue, elle court, elle vole, elle explose, elle retombe en feu d’artifice. Si quelqu’un est amoureux, dans sa joie, il veut l’annoncer à tout le monde !

 

Le prophète Jérémie exprime ce sentiment :

« Si je dis : ‟Je ne l’évoquerai plus, je ne parlerai plus en son nom”, c’est dans mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os ; je me fatigue à le contenir, et je n’y parviens pas. » (Jérémie 20,9).

 

Voilà la flamme intérieure, voilà le souffle, l’enthousiasme de celui ou celle qui est saisi par Dieu, mis debout, empli de force et de paroles brûlantes et irrépressibles. Retrouver le temps, offrir son service, avoir un cœur comblé jusqu’à déborder et qui pousse à parler, à agir, voilà le mouvement que Dieu nous donne. Seigneur, oui, s’il te plaît, donne-nous ce temps nouveau, cette liberté, ce désir de servir, ce feu !

 

 

Amen.

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