Voir le ressuscité (Jean 20,19-31)

Prédication du dimanche 7 avril 2024

Croire à la résurrection du Christ ?

Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! Amen ?

 

Oui, beaucoup d’entre nous le proclament, simplement, avec foi. Mais pour beaucoup d’entre nous aussi, ce n’est pas si simple. Même prononcer ces mots, il est ressuscité, en y croyant pleinement et sincèrement, nous ne le pouvons pas toujours. Et pourtant nous sommes là au culte ce dimanche, pas forcément des chrétiens convaincus à 100 %, mais assurément des chrétiens engagés malgré nos doutes.

 

Et puis je suis du nombre de ceux qui proclament ces mots : il est ressuscité ; mais je ne comprends pas totalement ce que je dis en annonçant cela. J’y crois parce que c’est ce que disent selon Marc le jeune homme vêtu d’une robe blanche, selon Matthieu l’ange ou le messager, selon Luc les deux hommes en habits étincelants. Mais comment comprendre ces mots ?

 

« Il est ressuscité » se traduit plus simplement par « il s’est levé / relevé », « il s’est éveillé / réveillé », réveillé du sommeil ou relevé d’entre les morts. Mais le problème ne vient pas des mots, il vient de la difficulté à nous représenter l’événement, à la concevoir humainement, tant il diffère apparemment de notre expérience.

 

Par le témoignage des autres ?

La foi pour nous vient d’abord de ce que nous avons entendu, de ce qui nous a été rapporté, transmis (Romains 10,17). Elle se fonde sur une série de témoignages. Nous sommes ici dans le domaine de l’humain, où bien souvent les preuves n’existent plus. Nous devons donc prendre une décision sur la base d’un faisceau d’indices. C’est le cas des témoignages au tribunal. Et même en l’absence de preuve irréfutable, le jury va prendre en son âme et conscience, au nom de la justice, une décision de grâce ou de condamnation.

 

« Une nuée de témoins » nous a précédés (Hébreux 12,1). Si nous leur faisons confiance, si nous avons cette humilité et cette candeur d’enfant, nous pouvons donner crédit aux autres et à l’Église, nous dire que notre avis personnel n’est pas si important dans la recherche de la vérité, si eux sont mieux informés que nous-mêmes. Ou si ce sont des personnes de foi que nous admirons, que nous aimons, que nous sentons intuitivement être dans le vrai et auxquelles nous voudrions ressembler.

 

Mais bien sûr, tous les témoignages des autres ne nous suffisent pas. Nous voulons découvrir par nous-mêmes. Vérifier. Exercer un esprit critique. Discerner qui dit vrai au milieu des avis divergents. C’est ainsi que nous concevons la pensée dans la modernité, où l’individu s’affranchit de la force du nombre et du groupe pour s’affirmer lui-même comme singularité et sujet, comme unique et particulier. Et nous vivons dans l’ère du soupçon plus que de la confiance, du doute méthodique plus que de la foi.

 

Tous les témoignages n’y changeront rien ; quand la raison ne nous donne pas de preuves, nous ne croyons qu’à notre expérience personnelle, authentique, ou à notre intuition, notre intime conviction. Peu importe ce que disent les autres.

 

En croisant Jésus ?

Voici Thomas, dont le nom en hébreu signifie jumeau. Pourquoi Jean prend-il soin de le préciser ? Et pourquoi est-ce ici Thomas qui parle, et pas un disciple plus connu comme Pierre ou le disciple bien-aimé ? Eh bien Thomas est notre jumeau.

 

Tragiquement, il a manqué le sommet de l’évangile, quand Jésus vient ressuscité au milieu de ses disciples, et leur donne le Souffle saint. Pas de chance. Eh bien nous non plus, nous n’avons pas la chance d’avoir été là quand Jésus était présent ; nous ne l’avons pas connu physiquement, nous avons manqué sa visite sur terre, simplement parce que les années où il est venu, nous n’étions pas nés.

 

Donc pour nous, aucune possibilité de rencontrer l’homme Jésus, de lui poser des questions, d’entendre de sa bouche une parole personnelle qui change notre vie, de croiser son regard jusqu’au fond de l’âme, de le toucher, peut-être d’être guéri de nos maladies. J’imagine que tout serait plus simple en le voyant. Sauf que ceux qui l’ont vu n’ont pas tous cru en lui. Ceux qui l’ont questionné l’ont ensuite crucifié. Et les disciples n’ont presque rien compris de son vivant ; c’est après sa mort qu’ils ont découvert comme le centurion que vraiment, cet homme était le Fils de Dieu.

 

Pas de regret donc, ni de jalousie, mais la question persiste : comment croire, sans avoir vu ?

 

Par la raison ?

Nous pourrions chercher à croire par la raison. De préférence, nous partons de la foi, et la foi cherche à comprendre ce qu’elle vit. Mais si la foi nous manque, nous pouvons partir de la raison, et la raison cherche la foi, nous cherchons Dieu. Et les deux démarches se rejoignent et se ressemblent. Jésus est le chemin, la vérité et la vie. Il y a un va-et-vient et une unité entre la quête intellectuelle de la vérité, l’expérience de la vie de foi ; Jésus est le chemin qui relie vérité et vie. La physique se fonde sur un va-et-vient entre théorie et expérience : la théorie doit se soumettre à l’épreuve du réel sinon elle n’est qu’un échafaudage abstrait et inutile ; l’observation expérimentale doit être expliquée, interprétée par une théorie, sinon ce ne sont que des données brutes qui ne font pas sens et ne nous apprennent rien.

 

Longtemps, dès l’Antiquité et jusqu’à la fin du Moyen-Âge, physique, philosophie et théologie n’étaient pas séparées : il s’agissait toujours de comprendre la réalité du monde. Puis avec le développement scientifique, ces disciplines ont pris leur autonomie. Le philosophe Emmanuel Kant formalise cette séparation entre les connaissances scientifiques et la religion, qui appartient à une autre sphère, une autre dimension, humaine, personnelle et subjective. Aux XVIIIe et XIXe siècles, science et foi s’opposent de façon de plus en plus radicale : le positivisme prétend tout expliquer par la science seule, jusqu’à marginaliser Dieu ou le rendre inutile. L’Église paraît retarder derrière le progrès et entraver la science, depuis Galilée jusqu’à Darwin.

 

Nous entendons cette expression : « Moi je suis comme Saint Thomas, sans preuve, je n’y crois pas. » Pourtant il serait faux de faire de Thomas le modèle du matérialiste sceptique. Si nous sommes comme Saint Thomas, alors croyons comme Saint Thomas qui s’écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Thomas n’est pas saint pour son incroyance, mais pour sa foi. Simplement Thomas peut nous ressembler, il autorise les questions et les doutes et les réconcilie finalement avec la foi.

 

Au XXe siècle, la science perd de son orgueil de toute-puissance. La guerre, la bombe atomique, les horreurs du nazisme et du stalinisme montrent que la technique doit s’accompagner d’une éthique humaine, d’une conscience morale. La science découvre combien elle ignore encore. Alors que les matérialistes athées défendaient que le monde avait toujours existé, la théorie du big bang découvre qu’il a un commencement, et que l’univers est en mouvement, ce qui repose la question de l’origine, de la cause première du mouvement. L’ADN est découvert, qui interroge sur la profondeur du mystère de la vie, de sa complexité : qui a écrit le code génétique ? Quelle intelligence a conçu un tel univers ajusté, équilibré, beau, que le hasard seul ne suffit pas à expliquer ?

 

La quête de Dieu par la raison montre ainsi qu’il n’est pas absurde de croire en Dieu. L’athéisme laisse autant de questions insolubles que la foi. Le monde garde de nombreuses zones inconnues de la science, comme un espace de Dieu. Cependant, si nous voulions des preuves, nous n’y sommes pas. Ce Dieu des philosophes, et même ce Dieu créateur, reste abstrait et lointain. Il nous manque l’expérience de Dieu. La révélation de son amour.

 

Voir Jésus

Thomas voit Jésus

Oui, cela manque à Thomas, et il ne croit pas. Il veut voir, toucher, concrètement, en faire l’expérience empirique. Ce désir, ce besoin, même s’il n’est pas dit comme une prière, Dieu l’entend. Et il y répond.

 

Jésus offre cette délicatesse, cette grâce incroyable : pour Thomas en particulier, il revient, d’une façon semblable, il redit sa paix, il remontre ses mains et son côté. Jésus donne des séances de rattrapage. Il n’est jamais trop tard. Après un rendez-vous manqué, il ne se lasse pas, il ne fait pas de reproches, il propose un nouveau rendez-vous.

 

Nous ne savons pas si Thomas a avancé son doigt et sa main comme Jésus le lui a proposé. Nous ne savons pas si les mains de Jésus portaient des plaies vives, ou cicatrisées ou même totalement effacées. Mais Jésus portait l’empreinte des clous, l’empreinte de sa souffrance ; il était marqué au moins intérieurement. Nous ne savons pas comment le côté transpercé a pu guérir, ou si Jésus vivait en perdant encore du sang et de l’eau. Mais nous savons qu’il a donné son sang et son eau vive. Il portait sa blessure à la plèvre, tout contre le cœur. Il portait comme Adam sa blessure au côté, une perte et un manque, une incomplétude mais aussi un désir, et une blessure d’amour. Thomas a dû voir ce Jésus abîmé par la croix, transformé par la mort ; et devant cet homme il sait, il le reconnaît, ça ne s’explique pas, il le sent, ses barrières tombent, sa raison rend les armes, il dit : « Mon Seigneur et mon Dieu. »

 

Job voit Dieu

Thomas me fait penser au livre de Job. Job n’a pas existé, mais il a beaucoup souffert… et s’est posé beaucoup de questions existentielles. C’est sans doute une œuvre de fiction, mais toute ressemblance avec la réalité ne serait pas qu’une coïncidence, et révélerait un peu de ce qu’a vécu son auteur, et de ce que nous pouvons vivre. Et là se trouve la vérité du livre de Job.

 

Job, comme Thomas, se pose beaucoup de questions ; il doute et s’arrache les cheveux. Mais aussi, à la fin, Job, comme Thomas, fait une belle confession de foi, dans ses dernières réponses au Seigneur :

« — Ainsi j’ai parlé, sans comprendre, de choses étonnantes qui me dépassent et que je ne connais pas. […] Mon oreille avait entendu parler de toi ; maintenant mon œil t’a vu. » (Job 42,3.5).

Après 41 chapitres, tous les débats, les arguments, les polémiques cessent, pour une unique raison : « mon œil t’a vu. »

 

La vraie vue de l’Esprit

Les témoignages des autres ne suffisent pas, la raison ne suffit pas, il suffit de voir Dieu. Que veut dire voir Dieu ? Quand nous disons que Dieu parle et que nous l’entendons, c’est la pauvreté du langage qui nous fait employer ces mots par analogie. Cela ne se passe pas dans nos oreilles mais dans notre cœur. Quand les disciples voient Dieu, cela se passe peut-être aussi ailleurs que dans les yeux. Dieu est réel, nous pouvons le voir. Nous verrons Dieu présent et agissant dans notre vie, et notre vie sera illuminée, éblouie de cette vision céleste, de cette vision terrestre. Au-delà des yeux qui voient Jésus, nous prenons de lui le Souffle saint qui change tout, qui donne des yeux pour voir et la foi pour être ses envoyés. C’est une réalité. Un don de Dieu qui répond aux prières.

 

Heureux vous qui avez vu Dieu dans votre vie, vous recevez la foi comme une grâce ! Heureux aussi vous qui croyez sans avoir vu, qui croyez en aveugles, et qui croyez douter, Dieu vous connaît, vous aime et vous bénit tout autant, d’une autre manière, en secret ! La paix soit avec vous !

 

Amen.

 

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